Le fils d'un sobre : le jour où j'ai accompagné mon père à une réunion des alcooliques anonymes
L'auteur en compagnie de son père. Photos appartenant à l'auteur

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Le fils d'un sobre : le jour où j'ai accompagné mon père à une réunion des alcooliques anonymes

Comment j'ai appris à accepter l'alcoolisme de mon paternel et à ne plus m'en faire.

Cet article a été initialement publié sur VICE Suède.

Il y a sept ans de ça, juste après avoir fêté ma majorité, mon père m'a annoncé qu'il faisait partie d'un groupe des alcooliques anonymes, et ce depuis six ans – ce dont je n'avais aucune idée. Je savais simplement que mon père était incapable de ne boire qu'un verre, et qu'il changeait radicalement de comportement lorsqu'il avalait une seconde pinte. Ma relation avec lui était quelque peu distendue – d'autant plus que je m'étais rendu compte qu'il buvait trop au moment de son divorce d'avec ma mère. Ça m'avait rendu triste, en colère. Lorsqu'il buvait, je devais m'occuper de lui, et je ne le supportais pas.

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Le jour où il m'a parlé de son groupe d'alcooliques anonymes, il m'a immédiatement proposé de l'accompagner. Je ne savais pas grand-chose sur le fonctionnement d'un tel groupe, hormis ce que j'avais vu dans les films, à savoir une ribambelle de types assis sur des chaises en cercle, qui se présentaient toujours en disant : « Salut, je m'appelle X, et je suis alcoolique. » J'étais également conscient des critiques entourant l'organisation, de son côté presque mystique, voire sectaire, et de l'absence d'ancrage scientifique au niveau du traitement. Curieux – et un peu ému par la vulnérabilité de mon père – j'ai accepté de l'accompagner.

Cette réunion a eu lieu un jour d'été, alors que le soleil était écrasant. J'étais dans la voiture avec mon père, quelque part dans la banlieue d'une grande ville suédoise. Je me suis rapidement senti assez nerveux et inquiet quant à l'accueil que j'allais recevoir. Je me demandais également ce qu'il allait en être de ma capacité à entendre des histoires souvent très dures. De plus, je m'inquiétais de l'effet que pourrait avoir ma présence. Les gens allaient-ils se confier de la même manière alors que j'étais là ? Mon père a tenu à me rassurer en me disant qu'il avait prévenu l'ensemble du groupe.

Mon père s'est garé devant un immeuble quelconque, appartenant à l'Église suédoise, et qui accueille le groupe quelques jours par mois. Dans la pièce accueillant la réunion, 15 chaises avaient été placées en cercle. Nous étions en avance. Un type, en charge de la réunion, nous a accueillis. Son visage affable était agrémenté d'un accent on ne peut plus américain. « Ton père nous a tout raconté sur tout, et tu as de la chance de l'avoir. Il a un cœur gros comme ça, et il a aidé tout un tas de gens ici. Je suis ravi que tu sois là ! » C'était tellement sympa que je n'ai pas su quoi répondre.

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De nouvelles personnes ont fait leur apparition – la plupart étaient des hommes, âgés de 30 à 50 ans. Tout juste majeur, je me sentais tel un enfant. Rapidement, nous avons pris place sur les chaises. Le type qui m'avait chaleureusement accueilli quelques minutes auparavant a pris la parole.

« Salut, je m'appelle David*, et je suis alcoolique. »

« Salut David », a répondu l'intégralité du groupe – sauf moi. C'était comme dans les films.

David a souhaité la bienvenue aux présents, et m'a présenté comme étant le fils d'Andres*. J'étais le seul proche d'un alcoolique à avoir fait le déplacement, et j'étais bien trop stressé pour pouvoir m'exprimer. Observer me convenait parfaitement, tant j'étais incapable de me confier devant des inconnus.

« Qui veut commencer ? », a demandé David.

Lentement, un homme a levé la main.

« Je me lance. Je m'appelle Mats, et je suis alcoolique. »

« Salut Mats. » Cette fois-ci, j'ai participé à cette salutation.

Tout le monde a l'occasion de parler au cours d'une telle rencontre. Si toutes les histoires sont uniques, elles charrient souvent des thématiques communes – la rechute, la honte, la tristesse.

L'auteur en compagnie de son père

Après 20 minutes, alors que la personne à ma droite venait de finir de parler, tous les regards se sont tournés vers moi. J'ai paniqué, car je n'avais rien d'intéressant à dire.

« Salut, je m'appelle Charlie, et je ne suis pas alcoolique », ai-je alors murmuré.

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Ça sonnait très mal, et les gens avaient l'air surpris par cette phrase d'accroche. Malgré tout, certains m'ont gentiment répondu. « Salut Charlie. »

J'ai réfléchi à ce que je tenais à dire. Ma relation à l'alcool est assez complexe. Je bois quand je sors avec des amis – parfois trop. Quand je vois mon père alors que je suis en gueule de bois, je me sens assez mal. Un jour, lors de la fête des pères, c'est devenu un calvaire – il était déçu de moi, et je me sentais comme une merde. Parfois, quand je me sens stressé, ou mal, je bois. C'est à ce moment-là que je pense à mon père, et que je me tempère. J'espère ne jamais boire afin de ne plus rien ressentir. D'une manière égocentrique, on peut dire que quelque chose de positif est sorti de l'alcoolisme de mon père.

« Je suis là aujourd'hui pour voir à quoi ressemble une réunion des alcooliques anonymes, ai-je dit devant le groupe. Je voulais en savoir plus, vu que j'ai compris que vous aviez aidé mon père pendant des années. » Là, mon père m'a souri afin de m'encourager. « Je vous remercie pour ça, vraiment, et je vous remercie de m'avoir accepté aujourd'hui parmi vous. »

Et c'était fini. Je me souviens toujours de cette sensation d'oppression qui paralysait ma gorge au moment de livrer ces quelques mots.

Après, c'était au tour de mon père, qui n'a pas manqué de commencer son discours par un rappel de son alcoolisme. Heureusement, ce jour-là, il avait décidé de ne pas rappeler des évènements s'étant produits avant qu'il ne devienne sobre, alors que je n'étais encore qu'un enfant. J'en avais très peur au moment d'accepter son invitation – revivre ce que j'avais vécu quand j'étais très jeune ne m'intéressait pas le moins du monde. J'étais heureux que mon père laisse ça de côté, qu'il aille de l'avant. Je savais qu'il avait déjà raconté les moments les plus difficiles de son existence au cours de ces nombreuses réunions, mais je lui étais reconnaissant de s'être concentré sur le futur le jour où j'étais présent.

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J'étais donc très fier de mon père, et heureux d'être avec lui, mais je ne pouvais m'empêcher d'être triste en imaginant toutes les souffrances qu'il avait endurées. Vers la fin de la réunion, tout le monde s'est levé et s'est pris la main. Le groupe a déclamé la Prière de la Sérénité, que je ne connaissais pas.

Plus tard, j'ai pris la peine de discuter avec mon père. J'ai évoqué directement avec lui l'aspect « religieux » d'une telle réunion, de son organisation. Il s'est contenté de me répondre que personne n'obligeait personne à croire au sein des alcooliques anonymes. Malgré tout, il m'a avoué que « croire en quelque chose de plus grand que soi » aidait énormément à rester sobre, tout en insistant sur le fait que le vrai pouvoir était entre les mains des autres participants aux sessions – ce qui m'a fait comprendre que ma relation avec mon père était l'une des raisons qui me poussaient à m'améliorer au fil des années.


Aujourd'hui, ça fait 15 ans que mon père est sobre. Il se rend toujours aux réunions des alcooliques anonymes, et il ne sait pas s'il serait capable de résister à un verre s'il venait à dire adieu à ses camarades des AA. « Je vais toujours aux réunions pour me rappeler que je fais partie des gens qui ne devraient pas boire une goutte d'alcool au cours de leur vie », m'a confié mon père.

Je sais bien que je n'oublierai jamais les moments difficiles que j'ai pu traverser alors que je n'étais encore qu'un enfant. Je n'oublierai jamais ce que mon père a fait subir à ma famille – mais j'essaie de passer au-dessus. Nous allons beaucoup mieux aujourd'hui. Les alcooliques anonymes, s'ils ne constituent pas l'unique moyen de se débarrasser d'une addiction à l'alcool, ont tout de même permis à mon père de se remettre, et d'être aujourd'hui autre chose qu'un étranger à mes yeux.

Les prénoms ont été modifiés.