molly matalon
Culture

Le nu masculin à travers un regard féminin

Dans son nouveau livre When a Man Loves a Woman, la photographe Molly Matalon offre une alternative au regard masculin sur une virilité dépouillée de ses artifices.

Depuis la nuit des temps, notre construction du genre a été dominée par le « male gaze » (le regard masculin). Nous nous sommes tellement accoutumés à une idée de la féminité définie par ceux qui n’en ont pas fait l’expérience, et une masculinité qui n’existe que par opposition, que nous oublions parfois à quel point cela est illusoire. Mais à quoi ressemblerait un renversement de cette dynamique, dans laquelle la masculinité serait conçue à partir d’une perspective purement féminine ?

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Tout cela ne constituait pas exactement l’objectif du nouveau livre photo de Molly Matalon, When A Man Loves A Woman. Pourtant, celui-ci nous offre des éléments de réponse très pertinents. « Mon intention n’était pas de renverser le scénario en mettant l’homme dans la position de la femme » explique Molly. « Il s’agissait plutôt de voir les hommes et des les regarder d’une manière que je trouve attrayante et séduisante. » Molly, photographe qui vit à New York, s’est fait la main au lycée, en prenant des photos pour des salles de concerts punk, des comptes Instagram de cuisine, et le profil de rencontres en ligne de sa mère. L’inspiration pour ce livre lui est venu en 2015 lorsqu’elle travaillait sur Olive Juice, un projet collaboratif avec le photographe Damian Maloney, qui explore les relations entre hommes et femmes. « C’était la première fois que je photographiais un homme, réellement. J’étais ensuite curieuse de photographier d’autres hommes qui étaient dans ma vie. »

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Cette série photographique nous plonge immédiatement dans l’intensité du moment. Nous nous trouvons assis en face du modèle, à la table de la cuisine, ou bien debout au-dessus de lui, alors qu'il se prélasse sur le canapé ou s’allonge, levant les yeux comme pour initier des préliminaires. Comme lors d’un premier rencard, les premiers pas sont maladroits ; on se remue les méninges pour trouver quelque chose à dire -- n’importe quoi -- pour combler les silences, on contrôle nos propres faits et gestes afin de donner la meilleure image de soi. Cette gêne, mêlée à l’excitation, est bien présente dans les photos, truffées de fleurs séchées, chaussettes sales, gâteaux émiettés et fruits à moitié mangés. Rencart ou non, ces photos ne sont pas forcément romantiques. Les modèles y sont des amis, des amants et des connaissances de Molly, ou bien des camarades pour lesquels elle admet toutefois avoir des sentiments qui ne sont pas réciproques.

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« Je voulais déconstruire les attentes traditionnelles que nous avons vis-à-vis de la photographie masculine, de l’amour romantique et du désir, » dit-elle. Son style s'inspire d’une lignée de photographes iconiques tels que Stephen Shore, William Eggleston, Katy Grannan et Rineke Dijkstra. « Il m’a paru naturel et instinctif de photographier ces hommes de telle manière, de les voir couchés, de pouvoir observer les détails imparfaits de leurs corps. Cette manière historiquement stéréotypée « féminine » de les contempler me semblait juste. »

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D’une certaine manière, la position que prennent ces modèles masculins nous rappelle les nus des peintres modernes comme Picasso et Braque, précisément l'approche que la photographie visait parfois à remettre en question. Mais contrairement aux oeuvres de ces artistes, les photos de Molly ne visent pas à définir le genre opposé. « Il s’agit d’une collaboration entre ces modèles et moi. Se sentent-ils à l’aise ? Comment pouvons-nous prendre une photo qui respecte mon intention tout en leur donnant la possibilité de suggérer des idées ? Ces questions sont importantes dans mon éthique de travail, qui consiste à aller au-delà du regard pour participer et collaborer. » En conséquence, Molly crée, comme elle le décrit elle-même, « une lecture de la masculinité plus variée que ce que l'on peut habituellement observer. » On nous présente une masculinité dépouillée de ses artifices, contextualisée dans une sphère historiquement féminine.

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Si le titre du livre vous paraît familier, c’est parce qu’il partage celui d’une chanson de Percy Sledge de 1966, reprise en 1991 de manière quelque peu ringarde par Michael Bolton, et qui est devenue un classique des mariages, boums et autres comédies romantiques. Les paroles décrivent l’amour qu’éprouve un homme pour une femme de son point de vue, biaisé par ses sentiments romantiques et son incapacité à voir comment elle pourrait lui faire du mal. Mais dans les photos de Molly, il ne s’agit pas de voir la vie en rose. « Au début je voulais prendre des photos sexy et érotiques, mais au final je pense que le résultat est plus contrasté ainsi, » dit-elle. « C'est intéressant pour moi, compte tenu de la portée de la sexualité et du désir féminin, tout cela est beaucoup plus compliqué à décrire et à définir que ce que nous le pensons.»

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When a Man Loves a Woman est publié par Palm* Studios et est actuellement disponible à la précommande.

Credits


Photographies : Molly Matalon

Cet article est paru initialement sur i-D UK.