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Pourquoi il n’y aura pas d’hooligans belges à la Coupe du Monde

« Lille c’était sympa, ce n'était qu’à deux heures de route. Partir tous ensemble en Russie par contre, c'est carrément autre chose. »

L’équipe nationale belge, Les Diables Rouges, jouent le 28 juin prochain contre L’Angleterre dans le cadre du championnat du monde de football en Russie. En principe, ça devrait être le rêve de tout bon hooligan belge. Les Anglais et les Russes sont effectivement des adversaires excitants si l’on tient compte de leur historique en terme d’affrontements violents. De plus, le match se jouera à Kaliningrad, l’enclave russe coincée entre la Pologne et la Lettonie, soit le territoire russe le plus proche de la Belgique. Une question subsiste néanmoins : le hooliganisme belge existe-t-il vraiment dans un pays où la tendance à la division entre néerlandophones et francophones est de plus en plus importante ? VICE a décidé de se pencher sur la question.

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Pas un seul fan des Diables Rouges ne se souvient d’un excès de violence de la part des hooligans belges. Au cours des années 1990, les Diables Rouges évoquaient surtout l’image de stades à moitié vides où des joueurs comme Philippe Clement, Eric Van Meir et Yves Vanderhaeghe pouvaient difficilement espérer autre chose qu’un simple match nul contre un nouveau pays balkanique lors d’un triste mardi après-midi. Mis à part lors du match entre l’Angleterre et l’Allemagne à l’Euro 2000, où l’on a pu assister à de furieux lancers de sièges, la Belgique n’avait jamais été confrontée au hooliganisme patriotique. Cette période de tranquillité a cependant pris fin en 2016, aux alentours de Pâques, lors d’une journée qui n’avait rien à voir avec le football.

Cinq jours après les attaques terroristes qui frappèrent Bruxelles le 22 mars, les hooligans belges se sont unis pour la première fois et ont mis sur pied les « Casuals Against Terrorism ». Ils avaient pour mission de faire entendre leur voix au cours de la veillée mortuaire qui attira, de façon abondante, la presse nationale et internationale. L’initiative rappelait de façon très similaire une autre manifestation de ce genre ayant eu lieu quatre ans auparavant, couverte à l’époque par VICE News, qui avait pour le moins dérapé.

À Bruxelles aussi, ça s’est mal terminé. Les confrontations avec les personnes endeuillées ont vite fait se lever les poings au milieu des fleurs et des cierges, ce qui a soudainement placé nos hooligans sous le feu des projecteurs internationaux. Avant cet événement, personne n’aurait soupçonné l’existence de ces derniers.

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Que ce soit vérifié ou non, le hooliganisme est, dans la majorité de l’Europe, associé à l’extrême droite, le fascisme et le nationalisme. Prenons un exemple concret, celui des Casuals United, ancien gang de bagarreurs se rattachant au mouvement politique anti-islamique EDL (English Defence League) dont VICE vous avait parlé. Les Casuals United sembleraient avoir inspiré les Casuals United Belgium, une des factions ayant participé à Casuals Against Terrorism, mais idéologiquement, rien n’indique que les Belges soient aussi extrêmes que leurs pendants britanniques. Les préférences en termes d’idéologies politiques sont bien plus diversifiées, allant de l’anti-fascisme et belgicisme (les supporters du Standard de Liège, une équipe de la partie francophone de la Belgique) à l’extrême droite et au nationalisme flamand (Le Club de Bruges, issu de la partie néerlandophone).

En Belgique, le terme de « nationalisme » n’évoque pas le patriotisme, mais se rattache plutôt à la volonté d’indépendance de la Flandre. Rien que la semaine dernière, la journaliste politique Linda De Win avançait le fait que des politiciens de la Nouvelle Alliance Flamande (N-VA) avaient été briefés pour ne pas s’exprimer à propos de l’équipe nationale. À partir de là, il est apparu évident que ce combat pour l’indépendance ne voulait pas se rattacher aux Diables Rouges. De plus, le président du Parlement Flamand, le nationaliste flamand Jan Peumans, aurait ordonné ordre de retirer les drapeaux belges de supporters de la salle de réception du Parlement.

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Dans ‘t Pallieterke, un périodique nationaliste flamand se décrivant lui-même de manière quelque peu euphémique comme « het weekblad met een hartje voor Vlaanderen » (littéralement « la revue avec un cœur pour la Flandre») un hooligan de Bruges justifiait sa participation au « Casuals Against Terrorism » de la façon suivante : « Je suis membre du noyau dur du Club de Bruges, et même si nous sommes de fervents nationalistes flamands, il s’agit ici de politique nationale, il faut donc mettre certaines idées de côté ». Ce n’est pas le football mais bien la menace terroriste qui a mené les hooligans flamands et wallons à l’unité. Le désintérêt qu’ils éprouvent face à l’équipe nationale est devenu apparent lors des conversations que VICE a pu avoir avec certains de ces hooligans flamands. Xander, affilié au Beerschot-Wilrijk, exprime son amour pour sa terre natale : « Je m’en fous si les Diables se font sortir au premier tour. La plupart d’entre nous se sentent bien plus Flamands que Belges. » Ce choix, malgré tout, n’est pas guidé par des motivations politiques. « On n’en a rien à battre de la politique, d’ailleurs. »

Casuals Against Terrorism in Brussel (Getty Images)

Thomas, qui connaît bien ce milieu-là, nous confirme que les fans de Bruges sont « vraiment très à droite », mais qu’à Anvers, cette ville où le maire, Bart De Wever, est quand même à la tête du parti N-VA, ce ne serait pas le cas. Les hooligans du Racing Genk, de la province du Limbourg, sont issus de cultures bien trop différentes pour adhérer aux mouvances identitaires Flamandes ou Belges. L’ultra de Genk, Jonathan, confirme ces propos. « Plusieurs membres de notre groupe ont des origines italiennes, roumaines ou turques. Pendant la coupe du monde, chacun supporte son propre pays. Les supporters qu’il reste, flamands et belges, regardent aussi, mais nous n’allons certainement pas nous mobiliser en tant qu’hooligans. » Jonathan préfère ne pas parler de ceux qu’il suspecte être des hooligans. « Je ne peux vraiment pas vous donner de noms », dit-il. « Si je vous donne le nom qu’il ne fallait pas, ça va mal se terminer pour moi. »

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Cela dit, il ne s’inquiète pas de potentielles violences belges pendant la Coupe du Monde. « Le truc avec la Russie, c’est que personne ne sait à quoi s’attendre. » Les hooligans russes, que VICE avait présenté comme entraînés, violents et organisés, ne jouent pas dans la même cour. D’après Thomas, depuis la démonstration de force des hooligans russes lors de l’Euro 2016, rares sont ceux qui oseraient encore se mesurer à eux. La façon dont les Anglais bien alcoolisés se sont fait massacrer à Marseille en a refroidi plus d’un.

Même les instances qui surveillent le hooliganisme en Belgique ne s’attendent pas à la moindre violence de la part des Belges pendant la Coupe du Monde, en regard des expériences précédentes. Gaetan Willems, qui travaille au Ministère de l’Intérieur à la « Cellule Football » annonce : « En Belgique, nous n’avons pas cette culture du hooliganisme rattachée à l’équipe nationale. » Guy Theyskens, qui fait partie de la Police Fédérale, déclare qu’il n’a jamais connu d’incidents reliés directement aux supporters des Diables Rouges. Cependant, il y a deux ans à Lille – deux jours après les affrontements russes à Marseille – une poignée d’hooligans belges ont été arrêtés lorsque la Russie et l’Angleterre allaient jouer leur prochain match de poules. Theyskens : « Il y avait en effet quelques Belges connus parmi les hooligans présents ce jour-là. »

« Lille c’était sympa », nous explique Maarten, un des hooligans derrière le mouvement Casuals United Belgium. « Se donner rendez-vous, conduire deux heures et s’enfiler quelques bières. Par contre, aller tous ensemble en Russie, c’est encore autre chose. » Ce hooligan de longue date issu du Royal Antwerp Football Club ne s’attend à aucune action belge pendant la Coupe du Monde. « Dans tous les cas, la plupart de nos équipes n’ont pas les moyens de se défendre face aux Russes ou aux Allemands. » Cependant, Maarten rêve de projets plus ambitieux. « On s’est toujours demandé : pourquoi est-ce qu’on ne ferait pas comme les Anglais ? Pourquoi est-ce que ça ne marcherait pas entre nous ? Si l’on rameutait tous les Casuals Belges ensemble, on se retrouverait avec une équipe balèze. » Selon Maarten, les raisons pour lesquelles ceci n’a pas lieu sont avant tout idéologiques. Pas à cause du nationalisme flamand, mais par manque de fierté belge. « La raison pour laquelle nous avons du mal à mobiliser des gens pour la Coupe du Monde, c’est dû à cent pour cent au fait que nous ne sommes pas très patriotes. Notre pays est scindé. Et je ne sais même pas si ça va un jour s’arranger. J’ai bien peur que non. »

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Guy Theyskens, de la Police Fédérale, explique que certains hooligans flamands se rendent aux matchs de l’équipe nationale, mais qu’ils se comportent de façon complètement différente pendant la partie. « C’est peut-être dû au fait que les Diables Rouges n’étaient pas très performants par le passé. » Même si certains « observateurs » au sein des forces de police restent vigilants pendant la Coupe du Monde, et que trois équipes de la Police font le déplacement en Russie, selon Theykens, aucun nom belge n’a été transmis aux autorités russes. Et la Cellule Football n’a d’ailleurs transféré aucun dossier à ses collègues du Ministère des Affaires Étrangères. Gaetan Willems : « Nous n’avons reçu aucune indication au sujet de personnes impliquées dans le hooliganisme belge qui feraient le déplacement en Russie. »

Supporters tijdens een wedstrijd van de Rode Duivels (Alamy)

Que ce soit à cause de la durée du voyage, de la réputation des hooligans russes ou d’un mélange des deux, Maarten lui est convaincu que c’est principalement l’unité qui manque – or, selon la devise belge, c’est bien cette union qui fait la force : « Nous ne sommes pas si nationalistes. Les Anglais, les Allemands, ça, ce sont des nationalistes. Ici, les gens se tapent constamment les uns sur les autres. S’il y a un souci, c’est toujours la faute des Flamands ou la faute des Wallons. Si jamais nous arrivons à faire cesser cela, peut-être qu’un jour on aura un vrai pays. » Et les hooligans qui vont avec.

*Les noms cités dans cet article ont été modifiés. Les vrais noms sont connus de la rédaction.

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