Belgian pride 2019 reclaim the pride violences policières
Laurane Bindelle
LGBTQ

Avec le collectif anti-pinkwashing victime de violences policières lors de la Belgian Pride

« On voulait reprendre cette journée pour en faire une vraie lutte, et pas uniquement une fête. Parce que sincèrement, on n’a pas grand-chose à fêter. »
Marine Coutereel
Brussels, BE
LB
Brussels, BE

Ce samedi, quelques 100.000 personnes ont défilé dans les rues à l’occasion de la 24e édition de Belgian Pride Parade. Pour beaucoup de personnes LGTBQIA+, c’était l’occasion de faire entendre leur voix et d’affirmer leur présence lors d’une journée placée sous les couleurs de l’arc-en-ciel. Mais à côté des chars pleins d’espoir, des slogans prônant l’égalité et des baffles enjoués, une autre réalité a eu lieu. Moins joyeuse, mois festive. Beaucoup moins tolérante. Celle du collectif Reclaim the Pride, qui a été empêché de manifester pacifiquement et à qui la police a bloqué l’accès au cortège.

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Ayant eu vent de leur existence par le biais des réseaux sociaux et voulant leur donner la parole, j’avais rencontré deux membres du collectif âgé d'une vingtaine d'années et souhaitant rester anonymes autour d’un café le jeudi précédant la Pride. Assez fatigués mais très motivés, ils m’avaient expliqué plus en détails leurs revendications, qui trouvent une résonance toute particulière en cette veille d’élections.

« Il faut mettre en place de vraies campagnes de sensibilisation dans les écoles. L’école, c’est la base. C’est là où tu grandis, où tu acquières tes valeurs. C’est aussi là où tu vis tes premiers traumatismes. »

« Le concept Reclaim the Pride s’est créé en réaction à l’appropriation politique et marketing de la Pride à Bruxelles. Le blé, le tourisme, il n’y a plus que ça qui compte. C’est du pinkwashing à l’extrême. » Selon eux, au-delà même de la communauté LGBTQIA+, beaucoup de citoyens (notamment les travailleurs du sexe, les demandeurs d’asile et les associations antiracistes, féministes ou anticapitalistes) prennent conscience que les discriminations, les violences et la précarité rencontrées résultent d’un manque d’actions concrètes et de prise de décision de tous ces politiques. Ils pourraient véritablement impulser des changements sociétaux, pourtant rien ne bouge. Propagande déguisée, esbroufe, récupération médiatique, ça s’arrête là.

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« Lors d’un événement supposé être un jour de lutte, on devrait se taire et défiler aux côtés de ceux qui nous oppressent ? N-VA, PS, grosses multinationales comme Procter and Gamble ou Deloitte… On essaie de nous vendre des goodies, de nous recruter… On va même jusqu’à nous vendre notre propre drapeau. Et c’est censé être normal ? Nous, on veut reprendre la Pride, nous réapproprier le concept qui a commencé il y a tout juste 50 ans avec les émeutes de Stonewall. C’était une vraie manif’. On pense qu’il y a pas mal de gens qui ont envie de reprendre ce jour pour en faire une journée de lutte, et pas qu’une fête, parce que pour l’instant, franchement, on n’a pas grand-chose à fêter. »

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« Il faut cesser l’hypocrisie. Toute l’année on entend des discours gris, mais à la Pride, les chars sont colorés. Ça n’a aucun sens. »

Effectivement, si on regarde de plus près les chiffres en Belgique, on se rend compte que l’on est dans une recrudescence d’agressions et de violences aussi bien racistes que sexistes, transphobes ou homophobes. Du coup, quand je leur demande ce qu’ils souhaiteraient voir changer, ils insistent sur l’éducation, tout en écartant la législation actuelle qui pour eux, n’apporte rien de concret. « Il y a clairement un truc à soulever. Sensibilisation, éducation, information… Rien n’est mis en place. Il faut tirer la sonnette d’alarme. Il faut mettre en place de vraies campagnes de sensibilisation auprès des jeunes, il faut en parler. L’école, c’est la base. C’est là où tu grandis, où tu acquières tes valeurs. C’est aussi là où, en tant que personne LGBTQIA+, tu vis tes premiers traumatismes. Au niveau politique, ce sont des fausses lois. Oui, tu peux aller porter plainte quand tu te fais insulter, mais c’est quoi le suivi après ? Ça veut dire que tous les jours, je dois aller au commissariat pour porter plainte, une plainte qui ne mènera à rien, uniquement pour gonfler les chiffres ? Ce sont de fausses alternatives qui n'ont aucun effet et ne nous protègent pas du tout. Il faut instaurer de vrais changements et cesser l’hypocrisie. Toute l’année on entend des discours gris, mais à la Pride, les chars sont colorés. Ça n’a aucun sens. »

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Si l’enthousiasme était contagieux et les poings levés, quelques craintes subsistaient en cette avant-veille de Pride. « On redoute qu’on nous bloque le passage et que la police nous accuse de troubles à l’ordre public. Mais troubler l’ordre public, c’est l'essence même de la Pride ! De notre côté, on veut mener une action non-violente, entièrement pacifiste. C’est une marche en hommage aux victimes et aux personnes tuées. On n’a donc aucun intérêt à être violents. On ne combat pas la violence par la violence. On a également peur qu’ils profitent de ce moment-là pour choper les personnes sans-papiers dans nos rangs. » Je les quitte sur ces angoisses, qui, comme un mauvais présage, s’avéreront être le reflet de la journée de samedi.

« Juste derrière le barrage, Elio Di Rupo, notre ancien premier ministre homosexuel, qui nous a regardés en rigolant quand on lui a demandé ce qu’il se passait. Il a fait un selfie avec deux filles, puis il est parti. »

Contactés dimanche soir par téléphone, Reclaim the Pride me raconte que lorsqu’ils sont sortis des locaux d’ADES à Saint-Josse samedi midi, une policière était déjà postée devant, sans doute en contact avec la police du centre-ville. Arrivés à côté de la gare centrale, ils ont été directement bloqués. « Et juste derrière le barrage, Elio Di Rupo était là, notre ancien premier ministre homosexuel, qui nous a regardés en rigolant quand on lui a demandé ce qu’il se passait. Il a fait un selfie avec deux filles, puis il est parti. »

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C’est à ce moment-là, à peine vingt minutes après leur arrivée, qu’ils se sont fait encercler rue Ravenstein, avec les participants.tes des groupes cortège VNR, Queers Support the Migrants BXL et Collectif de lutte Trans. Selon le Foyer des Luttes, la stratégie de la nasse (encercler les gens afin de les priver de liberté) est utilisée de manière très récurrente par la police bruxelloises face aux mouvements sociaux combatifs. « Ils nous ont reproché le fait de ne pas nous être inscrits. Seules les personnes et les entreprises qui s’inscrivent ont le droit de participer à la Pride. » Repoussés sans ménagement, ils dénoncent les violences policières injustifiées. « En nous poussant, ils ciblaient bien la gorge pour nous couper la respiration. C’était extrêmement violent. Comme ils étaient disposés en deux rangées, les caméras ne pouvaient pas le voir. On leur a dit plusieurs fois qu’on était pacifistes, mais ils n’en avaient rien à faire. »

« J’ai vu deux membres de la police pleurer. Quand ils ont vu les violences injustifiées qu’on a subi, ils ont craqué. »

Autour de ce cordon de policiers, pas mal de gens sont venus les soutenir. La police aurait d’abord lancé les premiers gaz lacrymogènes sur ces gens-là, pour ensuite s’en prendre aux personnes bloquées à l’intérieur du cordon, qui étaient une quarantaine. Parmi eux, Zoé Genot, députée bruxelloise Ecolo récemment au centre de l’actualité suite à son implication dans l’affaire du tract électoral polémique, et une journaliste du Soir. Elles auraient reçu le même traitement que les manifestants. « J’ai vu deux membres de la police pleurer. Quand ils ont vu les violences injustifiées qu’on a subi, ils ont craqué. Sur le visage de certains, on pouvait voir qu’ils étaient effarés par les agissements de leurs collègues » me raconte Reclaim the Pride, avec une émotion toujours palpable de l'autre côté du téléphone.

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Au final, deux personnes auraient été arbitrairement et violemment arrêtées, pour ensuite être libérées sans poursuite. L’ensemble du groupe a été relâché vers 18h, après de longues négociations entre policiers et manifestants afin de s'assurer que toutes les personnes présentes soient directement relâchées, qu'elles aient leurs papiers d'identité ou non.

« On est très tristes et en colère. Cette violence n’était pas justifiée. Mais d’un autre côté, on est aussi remplis d’amour. On a reçu énormément de soutien des gens extérieurs. Ils nous ont lancé des bouteilles d’eau et du sérum physiologique pour nettoyer le lacrymo sur nos visages. C’est vraiment magnifique de savoir qu’on a quand même été entendus et que nos convictions sont partagées. C’était d'ailleurs la première fois qu’on était fiers de participer à la Pride, la première fois que la Pride de Bruxelles ressemblait à autre chose qu’à un bon gros cirque. »

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