On a jasé avec un délinquant sexuel
Photo par Iz zy via Unsplash

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On a jasé avec un délinquant sexuel

« Dans ma tête, je suis pas un agresseur, je suis un gros niaiseux qui est tombé en amour et qui n’a pas su comprendre la vie. »

Qu’est-ce qu’un délinquant sexuel? C’est quelqu’un qui a commis une ou plusieurs infractions au Code criminel de nature sexuelle : contacts sexuels ou incitation à des contacts sexuels avec un enfant âgé de moins de seize ans, exploitation sexuelle, inceste, bestialité, pornographie juvénile, exhibitionnisme, père, mère ou tuteur servant d'entremetteur, agression sexuelle, agression sexuelle armée, menaces à une tierce personne ou infliction de lésions corporelles, agression sexuelle grave.

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Bref, ça va de la personne qui a pincé une fesse dans le métro (si la victime porte plainte et si elle est crue par les policiers) au gars qui a séquestré et violé sa victime pendant 24 heures avec l’intention de la tuer.

Simon, 27 ans, s’est confié à VICE. Il travaillait dans une école secondaire et a eu une relation amoureuse avec un étudiant pendant quelques mois. « Dans ma tête, je suis pas un agresseur, je suis un gros niaiseux qui est tombé en amour et qui n’a pas su comprendre la vie. Avant, j’étais le premier à juger sévèrement les profs qui font les manchettes pour avoir couché avec une étudiante. »

Son nom et quelques renseignements personnels ont été modifiés afin de préserver l’anonymat de sa victime, mais aussi parce que, quand on a fait de la prison, ce n’est pas la première chose qu’on veut mettre de l’avant.

Comment as-tu été dénoncé?

À un certain moment, j’ai pensé en finir avec la vie. J’ai appelé pour avoir de l’aide. J’étais en peine d’amour et je savais que ça ne se pouvait pas, que c’était pas normal ce qui se passait et je voulais avoir des ressources pour passer au travers. La personne au bout du fil m’a dénoncé. C’est correct, je le comprends.

Je vois que c’est difficile pour toi de dire « ma victime », pourquoi?

Ça a pris du temps avant que je sois capable de le dire parce qu’on était amoureux. Dans ma tête, je ne suis pas un agresseur. Je serais jamais capable de dire que je l’ai agressé parce que ma définition d’un agresseur, c’est quelqu’un qui décide de passer à l’acte malgré la volonté de l’autre, pis ça a jamais été le cas. Je comprends aussi que l’âge de ma victime faisait en sorte qu’il ne pouvait pas consentir.

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Penses-tu que le mouvement #MeToo a joué pour quelque chose?

Selon mon avocate, oui. On aurait eu plus de marge de manœuvre pour des négociations avant. Je n’aurais pas pu éviter la détention, mais l’ouverture du procureur aurait pu changer la durée de la détention et mes conditions.

Et si l’affaire était sortie dans les médias?

Ça aurait été plus difficile. Parce qu’il aurait fallu gérer les parents furieux et les dommages collatéraux.

Penses-tu que, puisque ta victime est du même sexe que toi, c’est « moins grave »?

Définitivement.

Qu’est-ce que tu ressens envers ta victime?

(Soupir) J’ai tout de suite plaidé coupable, j’ai rien nié. Je voulais l’épargner. Je voulais pas qu’il vive la tempête médiatique. Ce que je trouve un peu triste, c’est qu’on le victimise plus que ce que lui ressentait. C’est correct qu’il comprenne ce qui s’est vraiment passé aux yeux de la loi, mais on était tous les deux très amoureux. Ça faisait cinq mois qu’il me courait après, il était conscient de ce qu’il voulait. Je trouve juste ça plate qu’on lui dise que sa première relation amoureuse, avec tous ses beaux moments de folie pis de rires, « c’est pas bien, ton premier amour est un agresseur ».

Et j’ai réalisé que même si on était en amour, il était peut-être plus en amour avec la figure d’autorité que j’étais… comme on tripe sur un chanteur ou une vedette… sauf que dans le cas d’une vedette on est plus enclin à l’indulgence.

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Après ça, qu’est-ce qui s’est passé?

Une mise à pied temporaire, l’enquête, mon congédiement, le procès, la thérapie et beaucoup d’angoisse pendant tout le processus judiciaire. Ça a pris deux ans.

En prison, est-ce qu’il y a eu des moments où tu as eu peur?

Quand je suis arrivé, les deux détenus qui m’ont fait entrer dans leur cellule pour m’expliquer les règlements des prisonniers, je me suis dit : « Ça y est, c’est ici que je me fais battre et violer. » Il y a eu un autre moment. Pendant ma détention, j’étais pas dans la population générale… pour ma protection. Les autres détenus ne savent pas nos délits, mais ils savent qui on est. On n’est jamais censé les croiser, mais c’est arrivé. Les agents correctionnels interviennent seulement quand ils peuvent maîtriser la situation, bref faut pas se fier à eux. Je suis avec un autre détenu qui a un petit gabarit comme le mien, on voit s’en venir un gars qui a la shape d’un frigo deux portes. Mon codétenu me dit : « Oh shit. Sois baveux pis cours vite. » Quand on est arrivés près du frigo, il m’a regardé droit dans les yeux et il m’a dit : « Toé, c’est les petits gars ou les petites filles? » J’ai répondu : « Toé, y a combien de monde qui sont morts à cause de la drogue que t’as vendue? » « C’est beau, t’as de la répartie, je t’achalerai pas. »

La détention c’est-tu plus comme Unité 9 ou Orange Is the New Black ?

Unité 9. On l’écoutait en dedans.

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Est-ce que c’est réaliste ou pas?

Des choses oui, des choses non. Des gardiens pas le fun, y en a, des corrects aussi, mais tu sens qu’ils te feront jamais confiance, qu’ils ont toujours un petit doute. Des fouilles où ils décalissent ta cellule pour aucune raison valable, y en a pas juste à TV. La fouille à nu, c’est pas si pire, pour un homme en tout cas, pour une femme ça doit être différent. Ce qui est vraiment humiliant, c’est quand tu arrives avec tes affaires toutes bien pliées et qu’on te redonne ça en te garrochant un sac tout pété avec tes photos éparpillées abîmées.

As-tu eu des relations sexuelles en prison?

J’ai pris la PrEP (un médicament qui aide à réduire le risque de contracter le VIH), pas parce que je voulais m’amuser, mais parce que j’avais peur. J’aurais eu l’occasion.

La maison de transition, ça ressemble à quoi?

Au début, t’es bien content. Enfin des intervenants qui te regardent dans les yeux, pas derrière une vitre teintée, et t’es pas obligé de te pencher pour parler dans un passe-plat. Après ça tu commences à comprendre qu’ils ont une job à faire et que les questions qu’ils te posent, c’est pas par intérêt pour qui tu es, mais plutôt pour surveiller tes faits et gestes. Ils essaient de te coincer, ils te demandent de confirmer l’adresse de tes amis en te donnant le mauvais numéro d’avenue. Ah pis je dois appeler trois fois par jour d’une ligne fixe pour dire où je suis et avec qui. Connais-tu beaucoup de monde qui ont une ligne fixe? Essaye de trouver une cabine téléphonique en cinq minutes. À chaque fois que je me déplace, je dois les avertir. Même si je vais juste chercher un dessert, ils doivent le savoir.

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Est-ce que tes communications sont surveillées?

Non, parce que dans mon délit, il n’y a pas eu de sollicitation, c’est lui qui est venu vers moi. Il n’y a rien dans mon cas qui fait que, si j’ai internet, je représente une menace pour la société. J’étais content parce qu’en 2018 sans Netflix, c’est long longtemps. Et pas d’internet ni de cellulaire, il y a beaucoup de choses qui sont plus difficiles à faire. Le soir, quand je rentre à la maison de transition, je dois laisser mon cellulaire, parce que d’autres résidents n’ont pas le droit d’en avoir.

As-tu eu de la difficulté à trouver un emploi après?

Je suis excessivement chanceux. Ma famille, mes amis sont encore là. Grâce à un ami, je me suis trouvé un emploi à temps plein avec de bonnes conditions. Par contre, ça reste excessivement difficile de se trouver un emploi quand on est judiciarisé.

En théorie, on n’a pas le droit de discriminer quelqu’un parce qu’il a fait de la prison, mais s’il y a encore des gens qui discriminent des femmes qui parlent d’avoir des enfants, imagine quand tu as un casier judiciaire.

Es-tu obligé de dire que tu es un délinquant sexuel?

J’ai pas d’obligation de le dire, mais il y a des crimes plus graves où ils doivent le dire après une heure.

Maintenant que tu es en libération conditionnelle, qu’est-ce qui reste à ton dossier?

Comme je suis une personne positive, que je m’implique dans ma thérapie et que mon entourage est présent, j’ai eu moins de conditions que certains autres cas.

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Pendant 20 ans, je vais être inscrit au registre des délinquants sexuels. Chaque année, je dois prendre un rendez-vous pour le registre. Il faut que j’appelle si je change d’emploi, si je déménage, si j’ai une nouvelle poque sur mon char, si je vais faire une journée de remplacement dans un autre bureau, si je me fais un nouveau chum, si je veux être ailleurs que chez moi pendant plus de sept jours consécutifs, etc. Et si j’oublie, je suis en bris de condition, c’est un délit et c’est minimum 30 jours en prison. À cause du registre, je ne peux pas non plus faire de demande de pardon.

Si un policier scanne ma plaque d’immatriculation, la première chose qui apparaît, c’est mon casier judiciaire : délinquant sexuel, contact sexuel avec un mineur. Il ne me connaît pas, il sait pas que je suis un bon gars. C’est certain qu’il va partir les cerises et vérifier.

J’ai une interdiction d’aller dans un parc ou un endroit où pourraient se trouver des mineurs. Normalement, ça vient avec un interdit de parler à des mineurs, compte tenu de la nature de mon délit. Je n’ai pas l’interdit de contact, si un jeune me pose une question, j’ai le droit de répondre.

Comme je suis actif dans ma thérapie, que la sexologue et la psychologue ont démontré à plusieurs reprises que je ne représente pas un danger, que je n’ai pas « ça » en moi, j’ai des conditions un peu différentes.

Qu’est-ce qui est le plus difficile à accepter?

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Ma peine est définie en fonction de mon délit, trois mois dans un établissement carcéral et les conséquences de mon casier judiciaire sont les mêmes, ou presque, que quelqu’un qui a tué sa femme pis ses enfants. C’est un peu comme si ton frère, qui a cassé la fenêtre du voisin, pis toi qui a tiré les cheveux de ta sœur, vous étiez privés de jeux vidéo tout l’été.

Qu’est-ce que tu dirais à quelqu’un qui est sur le bord de commettre le même délit que toi?

Demande-toi si ça vaut vraiment la peine, si tu es bien conscient de toutes les conséquences que ça implique. Pas juste de perdre ta job. Va chercher de l’aide avant qu’il soit trop tard. Appelle-moi, on va aller prendre une bière et jaser.

Es-tu capable de te projeter dans le futur?

J’y vais un jour à la fois, mais j’aimerais ça plus tard faire des conférences pour pas que tout ça ait servi à rien. C’est peut-être l’intervenant en moi qui parle, mais je crois que les gens qui vont travailler avec des jeunes devraient être conscientisés sur à quel point la ligne est mince. Avec la quantité de cas qu’on voit dans les journaux tous les trois mois…

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Je me suis rendu compte d’à quel point il n’y a aucun support pour les gens qui auront à traverser tout ça. Je suis chanceux, j’ai des parents aimants, des études… Y a des gars qui ont de la difficulté à remplir un formulaire et qui se débarrassent de tout ce qu’ils ont avant de rentrer en dedans. Juste avoir quelqu’un à qui tu peux parler, qui est passé par là et qui n’est pas là pour te juger, ça pourrait grandement aider à la réinsertion. Un genre de parrainage, comme les A.A.

Zoé Lamontagne est sur internet ici et .