Avec les collectionneurs de fèves des Rois

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Avec les collectionneurs de fèves des Rois

On est allé au Mondial des fabophiles parler céramique, galette des Rois et tradition qui bat de l'aile, au milieu des passionnés.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

« FÈVES SALON -> ». Le carton fait maison, maladroitement calé derrière les essuie-glaces d'une camionnette, indique la direction de la salle MIR de l'espace Charenton, dans le douzième arrondissement à Paris.

C'est là que, coincé entre les voies ferrées qui quittent la capitale et le cimetière de Bercy, se déroule le Mondial des collectionneurs de fèves des Rois – et accessoirement celui des capsules de champagne. On est dimanche 8 janvier, il fait -2° en température ressentie et le ciel est vachement lourd comme on dit dans les livres.

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Ici se rencontrent ceux pour qui l'Épiphanie a encore un sens ; les fabophiles, dont l'activité consiste à collectionner les fèves des galettes des rois. Dans le salon, de la taille d'un petit gymnase, on retrouve leur principal représentant, Thierry Storme qui, à 67 ans, organise l'événement « presque à ses frais ».

Avec son t-shirt noir siglé CCF, Thierry, président du Club de collectionneurs de fèves, se bat un peu contre des moulins. Il s'occupe de la caisse à l'entrée (cinq euros par tête de pipe), claque des bises aux habituées, serre des pognes aux habitués, recense certaines transactions ou, les mains en porte-voix, fait de la réclame pour les fèves exclusives qu'il a préparé, histoire de bien célébrer la 25e édition du salon.

« J'organisais déjà des salons de collectionneurs de cartes postales. Il se trouve qu'il y avait une place à prendre à Paris pour les fèves, explique Thierry. J'ai demandé au président d'un des plus grands clubs de France s'il souhaitait prendre en charge l'organisation. Il n'a pas voulu donc j'ai décidé de le faire moi-même. 'Storme', ça veut dire tempête, ouragan – même si je suis Français, je suis un vrai volcan ».

« Pourquoi la fève ? C'est un peu accidentel », concède-t-il. « Ma fille est tombée dedans et j'ai tout fait pour qu'elle y reste. Les fèves, c'est petit et c'est beau mais elle a fini par se lasser. En grandissant, on regarde les garçons, la mode Moi, j'ai continué, c'est un truc qui me plaît ».

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La plupart des collectionneurs croisés sur le salon racontent la même histoire. Celle d'une passion née un peu fortuitement, au hasard d'une brocante avec les parents par exemple. « J'ai commencé à 16 ans. On faisait beaucoup de vide-greniers pour se meubler et parfois, je m'embêtais. Mes parents m'avaient donné des fèves anciennes. Ça ne coûtait pas très cher et ça rentrait dans une petite boîte », se rappelle Monique Joannès.

On ne sait pas quel pâtissier a commencé à mettre des petits sujets dans la galette mais il y a des textes où l'on peut lire 'Oh je me suis cassé une dent sur un objet' et 'c'était mieux avant'.

Monique tente de transmettre son savoir d'une voix douce. Elle connaît l'histoire de la fève sur le bout des doigts, des haricots du Moyen-Âge aux premiers écrits en 1880 qui font état de minuscules poupées. « On ne sait pas quel pâtissier a commencé à mettre des petits sujets dans la galette mais il y a des textes où l'on peut lire 'Oh je me suis cassé une dent sur un objet' et 'c'était mieux avant' ».

Elle raconte aussi comment la Grande Guerre a eu raison des modèles d'actualité allemands, biplans ou dirigeables, et de la porcelaine de Saxe. Elle tend une petite fève en porcelaine blanche. Il faut quelques secondes pour que l'œil se fixe et que l'on distingue un petit cochon avec un casque à pointe.

Ces fèves traditionnelles, qui représentent plus généralement un enfant ou des sabots, sont les plus prisées des collectionneurs. Parce qu'elles sont rares et donc chères mais surtout symboliques d'une époque où la fève voulait « encore dire quelque chose ».

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Pour Monique, la plupart des collectionneurs, à quelques exceptions près, ont commencé dans les années 1980, à l'époque des « porte-clés publicitaires ». Sur le salon, on en trouve une vingtaine. Pas question de se trimballer la vraie collec' et les pièces qui comptent, ils ont installé leurs doubles. Des milliers de fèves alignées comme à la parade, brassent tous les thèmes, allant d'une série sur les Minions aux onze titulaires du PSG saison 1997-1998.

Gérard Fradetal a démarré il y a une trentaine d'années, alors qu'il était encore dans le métier. « Jtais pâtissier dans le 91. C'est un peu ça qui m'a aidé à me lancer. Aujourd'hui, je suis à la retraite mais j'ai continué, comme un passe-temps. Je fais des salons, en Vendée, dans la Sarthe et surtout en Île-de-France. Je viens pour le contact. À force, on se fait une clientèle, mais aussi des amis. On se connaît tous ici. »

Comme les autres, Gérard préfère les fèves traditionnelles : « Plutôt française qu'allemande, même si on trouvait de jolies choses. J'ai récupéré des lots en porcelaine parce qu'une personne se débarrassait de sa collection, mais sur les brocantes, il n'y en a presque plus. Peut-être qu'il en reste au fond d'un grenier. »

Je collectionne aussi les couronnes, dont certaines datent des années 1970, les sacs à galette et tous les documents d'origine qui en parlent.

Pour Marie et Thierry, c'est la belle-sœur secrétaire d'une fédération de boulangerie qui leur a mis le pied à l'étrier. « Elle commandait pour le syndicat un certain nombre de fèves exclusives. Nous, on cherche d'abord la beauté et l'originalité. On aime particulièrement les fèves pâtissières comme celles de Fauchon ou d'Hermé ».

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L'ambiance est bon enfant. Sur un stand, on mange une galette et on a fait péter le champagne pour rester dans le thème. Les collectionneurs font quelques transactions avec des amateurs, s'échangent parfois les séries entre eux. Il y a un monsieur qui s'envoie une blanquette de veau et une dame plongée dans la lecture du western Des clairons dans l'après-midi d'Ernest Haycox.

Parfois, il y a des petites mesquineries entre collègues, Monique Saffroy se souvient d'un salon Porte de Versailles où elle avait vu deux exposantes presque en venir aux mains pour des questions de tarifs.

Plus que les fèves, Monique collectionne tout ce qu'il y a autour : « Les couronnes, dont certaines datent des années 1970, les sacs à galette et tous les documents d'origine qui en parlent. Comme j'aime chiner, je ne rentre jamais vraiment bredouille. »

Monique a une théorie sur sa passion : « Je suis d'une famille de libraires et j'ai baigné dans les livres anciens. Comme je suis biologiste de formation et que la biologie vous demande de confirmer toutes vos croyances, j'en ai eu marre d'entendre des marchands me dire, 'Ça c'est XVIIIe siècle' alors qu'en 1940, on mettait encore des haricots dans les galettes. Je me suis donc mise à chercher l'origine du passage du légume à la porcelaine. »

La plupart des fèves qu'on trouve aujourd'hui dans les galettes, viennent des usines des grandes marques comme Nordia, Arguydal, Prime ou Alcara, qui fabriquent pour la plupart à l'étranger avant d'écouler en France, une situation que Monique Joannès déplore.

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« Jusqu'aux années 1970, la production est assurée par deux fabricants à Limoges, précise-t-elle. Ensuite, après l'arrivée du plastique, il faut attendre Poilâne pour qu'un boulanger-pâtissier décide de faire appel à un créateur qui lui dessine des fèves uniques. Les autres lui ont emboîté le pas ».

Contrairement à la majorité des producteurs industriels de fèves qui pratiquent les « décalcomanies », tout est fait au pinceau

Il existe encore en France des céramistes qui font les fèves de manière artisanale : « Vous avez par exemple Colas, qui est passé à l'air semi-industriel avec des moules en série mais qui fait de la fève dont la barbotine est coulée et pas estampée. Il défend son patrimoine », poursuit-elle.

C'est aussi le cas de Christel Nexe. Installée en Lorraine à la tête de l'entreprise familiale qu'elle a reprise il y a onze ans, elle vend aux boulangeries, aux pâtisseries et aux collectionneurs un peu partout en France. « Au départ, je donnais des coups de main sur la déco à mes parents. Et puis de fil en aiguille, je suis tombée dedans. Quand ils ont voulu arrêter, j'ai repris ».

Christel fait des fèves en faïence et revendique un « artisanat pur ». Un biscuit de terre, décoré, émaille puis cuit. Toutes les écritures sont faites au pinceau, contrairement à la majorité des producteurs industriels qui pratiquent le « chromo » comme s'ils appliquaient sur la fève des décalcomanies de « la tête du boulanger ou de la fontaine du village ».

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Les collectionneurs rencontrés sur le salon ont parfois fait preuve de méfiance. Certains n'acceptent pas toujours d'être pris en photo : « On ne donne pas nos noms ou nos adresses, on n'a pas envie d'avoir de la visite. » Mais cette crainte s'estompe dès qu'il s'agit de parler des fèves, d'une camionnette Poujauran ou d'un éclair au chocolat Hédiard.

L'arrivée d'Internet a bouleversé la vie de ces collectionneurs qui ont vu débarquer une nouvelle clientèle mais aussi une belle palanquée d'arnaqueurs. Monique Joannès a justement sorti avec son mari un livre, Des fèves @ tout prix, qui recense la cote de certaines pièces pour contrecarrer le plan des profiteurs qui surenchérissaient volontairement en ligne sur les fèves les plus rares.

Les salons aussi ont changé : « Quand les gens ont commencé à acheter des fèves sur internet, ça a facilité les échanges et les transactions, mais ça aussi crée un marché de l'arnaque, raconte Monique. Parce qu'une petite fève blanche coûte deux euros, mais la même avec trois petits points rouges ou bleus, entre 15 et 100. Et ce n'est pas très compliqué d'ajouter trois petits points. »

Ma belle-fille, quand elle vient à la maison, elle compte une fève et l'argent qu'il y a derrière. On est incompris. On est fous.

Il y a aussi une forme de résignation qui pèse sur certains stands. Nombreux sont les exposants qui s'interrogent sur l'avenir de leur collection. Huguette se souvient de ses débuts en 1997 : « Mon mari avait été opéré du cœur et il fallait qu'il marche. On a fait beaucoup de brocantes avec ma fille, qui avait 14 ans à l'époque, et on trouvait des petites fèves. Elle a accroché. »

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« Maintenant, je trie. Je ne fais que ce qui est beau. J'aime bien les grands pâtissiers, Fauchon, Lenôtre. Je ne ferais plus d'églises ou de cathédrales. Parfois, je me demande : 'Pourquoi on a collectionné des trucs comme ça ?'. »

« On sait que, s'il arrive quelque chose à l'un de nous deux, on sera obligé d'arrêter. Nos enfants ne prendront pas la relève. Ma belle-fille, quand elle vient à la maison, elle compte une fève et l'argent qu'il y a derrière. On est incompris. On est fous. Aujourd'hui, on a perdu le respect de l'objet. Vous avez quelque chose à vous qui est cassé, vous allez le jeter. Nous, on va essayer de le réparer parce qu'on se dit : 'Ça se trouve, ce n'est pas foutu'. »

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Même Thierry Storme, qui doit aussi gérer son magasin de farces et attrapes à Persan, cherche la relève ; quelqu'un capable de s'occuper du salon et de le soulager de certaines tâches. Là, il se targue surtout d'avoir rempli son contrat : « Ce matin, c'était noir de monde. On ne pouvait plus bouger. »

Certains collectionneurs ont déjà commencé à ranger leur stand. Le ballet des cageots, valises et papier bulle signe la fin du salon. Mais les fabophiles se retrouveront déjà dans quelques jours à Wittenheim, en Alsace, autour des même fèves. Pour passer le temps.

Toutes les photos sont de Mila Olivier