Est-ce que la prison, c’est vraiment le Club Med ?
Image extraite d'une vidéo YouTube de Bibicraveur

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Est-ce que la prison, c’est vraiment le Club Med ?

On a demandé à l’Observatoire international des prisons de réagir à vos commentaires sur Facebook.

Le 9 août dernier, la diffusion d'un clip tourné par des détenus dans la prison d'Aiton, en Savoie, a donné lieu à une belle foire d'empoigne sur les réseaux sociaux. Entre remarques racistes et approximations de plus ou moins mauvaise foi, tout le monde semble y être allé de son petit commentaire sur les conditions de vie en détention, chacun se considérant légitime pour parler d'un environnement pourtant très peu connu du grand public – sans même évoquer les réactions politiques, jamais en reste.

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C'est d'autant plus dommage qu'au même moment, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté levait le voile sur les conditions de détention désastreuses à Château-Thierry, une prison où 80 % des individus incarcérés auraient besoin de soins psychiatriques. Certains internautes se sont alors étonnés du contraste saisissant entre ce rapport et le clip diffusé par « Bibicraveur » et ses potes, traduisant une idée qui revient souvent dans les discours : la prison, c'est le Club Med, et si les cellules sont dégueulasses, c'est parce que les détenus sont des paresseux infoutus de faire le ménage, qui fument des joints et trafiquent toute la journée.

Pour essayer d'y voir un peu plus clair, nous avons contacté François Bès, coordinateur du pôle « enquête » de la section française de l'Observatoire international des prisons (OIP). Sur le terrain depuis 20 ans, ancien militant d'Act Up, François Bès connaît bien le sujet : son travail consiste à lire tous les courriers adressés par des personnes détenues ou leur famille et à enquêter, systématiquement, sur des atteintes aux droits, ou sur des dysfonctionnements. À la louche, avec son équipe, il traite un peu plus de 5 000 sollicitations par an.

Avant de réagir à quelques commentaires publiés sur Facebook, assez représentatifs de l'opinion de nombreux Français, l'observateur des prisons a tenu à rappeler quelques vérités générales : « Les différentes études et rapports, pilotés notamment par l'Union européenne, montrent que la France est un élève très moyen – sur les suicides, notamment, mais également sur les conditions de détention. C'est plutôt sur la santé et l'accès aux soins qu'on s'en sort correctement. » Il insiste sur le fait que la surpopulation carcérale nationale, évaluée à 117 %, cache en réalité de très grandes disparités, avec des maisons d'arrêt atteignant 300 % d'occupation.

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Quand il commence à lire les commentaires sur Facebook pour apporter quelques éléments de réponse, François Bès boit un grand verre d'eau et reprend son souffle.

Est-ce que la prison, c'est le Club Med ?

François Bès : En général, quand on va au Club Med, c'est un choix. La prison, c'est la privation d'aller et venir. C'est, en soi, une énorme contrainte, extrêmement dure à vivre, même quand les locaux sont propres et que vous avez droit à une cellule individuelle.

À travers cette remarque, les gens veulent dire que c'est un peu du tourisme, de l'hôtellerie, de l'amusement. Dans la réalité, ce n'est pas ça du tout. La plupart des gens en maison d'arrêt passent 22 heures par jour enfermés dans leur cellule, avec simplement deux heures de promenade. Il est difficile de comparer ça au Club Med, d'autant plus que la grande majorité des établissements pénitentiaires sont dans un état de vétusté et d'hygiène peu compatible avec « les vacances ».

A-t-on le droit à plusieurs menus en prison ?

François Bès : Alors non, on n'est pas au restaurant. Il y a effectivement des possibilités, dans certaines prisons, de choisir entre deux ou trois menus. La plupart du temps, il n'y a qu'une seule proposition. Maintenant, quasiment tout est géré par les entreprises qui s'occupent des cantines scolaires, des hôpitaux, etc.

Par contre, et heureusement, il y a l'obligation de respecter des régimes alimentaires liés aux différentes religions et à des impératifs médicaux.

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Est-ce que la prison, c'est tellement bien que les détenus souhaitent y retourner ?

François Bès : C'est vrai, il y a des détenus qui veulent retourner en prison. Ça existe, et on le lit régulièrement dans les chroniques judiciaires. Il s'agit généralement de SDF qui, dehors, ont une vie tellement pourrie qu'au bout d'un moment, ils n'en peuvent plus. Du coup, ils font quelque chose pour essayer de retourner en prison, parce que là-bas, ils auront un peu chaud, et trois repas par jour.

C'est terrible, c'est monstrueux de se dire qu'on évolue dans une société où des gens en arrivent à souhaiter retourner en prison parce que c'est le seul endroit où ils ont quelque chose.

Par contre, la majorité des détenus ne souhaitent pas retourner en prison, c'est clair.

Est-on mieux en prison que dans une maison de retraite ?

François Bès : C'est un peu toute la question : la société dysfonctionne dans plein d'endroits. Il ne s'agit pas de retirer aux uns pour donner aux autres, il s'agit de faire en sorte que la société s'améliore partout. Ce n'est pas parce que des personnes, à un moment donné, ont enfreint la loi, qu'il faut considérer qu'elles doivent vivre la pire des situations. Tout le monde devrait mener une vie digne. On ne peut pas comparer les deux situations, c'est impossible.

Est-ce que la prison, c'était mieux avant ? Quand les détenus dormaient par terre au beau milieu des rats ?

François Bès : Dormir par terre, c'est le quotidien de 1 600 personnes sur 70 000 détenus. Dormir par terre avec des rats, c'est également une réalité. Il y a Fresnes, dont on a beaucoup parlé parce que la prison était infestée de rats, mais il y a également Sequedin, à côté de Lille, ou encore Toulouse-Seysses – pourtant inaugurée il y a moins de vingt ans… La présence de rats et de nuisibles est répandue en prison.

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Est-ce que tout est gratuit en prison ?

François Bès : Il est important de préciser tout cela. Les soins gratuits, c'est la loi. Les personnes détenues ont le droit aux mêmes soins que l'ensemble de la population. Comme dehors, ils doivent payer pour ce qui n'est pas gratuit : les prothèses dentaires, auditives, etc. La télévision n'est absolument pas gratuite, par contre – elle coûte 14 ou 15 euros par mois. Vous pouvez avoir accès à une console de jeux si vous l'achetez – à des prix souvent supérieurs à ceux que l'on trouve à l'extérieur.

Les activités sportives existent, et heureusement, parce que c'est à peu près la seule chose à faire. Selon les établissements, effectivement, la qualité des infrastructures varie. L'accès au sport se limite généralement à une salle de musculation, et à une cour de promenade avec un terrain de foot. La plupart du temps, les détenus font de la musculation en cellule en soulevant des packs de bouteilles d'eau.

Les détenus sont-ils paresseux ?

François Bès : À peine un quart des détenus arrivent à avoir du travail, et beaucoup sont demandeurs – énormément de détenus sont sur une liste d'attente. Ils ont besoin d'argent, comme tout le monde, et ont donc besoin de travailler.

Par contre, quand on s'intéresse aux conditions de travail, c'est encore autre chose : le droit du travail s'arrête à la porte de la prison. Il n'y a pas de contrat de travail, par exemple. On est sous-payé, puisqu'au mieux on peut espérer 45 % du SMIC. On reçoit en permanence des courriers de détenus qui demandent des formations professionnelles, un accès à du travail, etc.

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Pourquoi laisse-t-on entrer les téléphones portables en prison ?

François Bès : En fait, bon nombre de détenus sont systématiquement fouillés à nu en revenant du parloir ou de l'extérieur. Le problème, c'est que si l'on voulait vraiment fouiller tout le monde tout le temps, il faudrait un surveillant par détenu.Ce qui est intéressant, c'est d'analyser pourquoi de tels objets sont apportés en prison. Dans le cas du portable, il s'agit de maintenir un lien social, familial, avec les proches.

On rétorque souvent que les détenus s'en servent pour leur business. Vous savez, quand il n'y avait pas de téléphone portable, celui qui voulait continuer son business le faisait déjà, par un autre moyen. La plupart des personnes détenues ne sont pas des businessmen. Ce sont plutôt des gens qui sont là pour des courtes peines, des petits faits de délinquance. Ils veulent simplement garder le lien avec leurs proches.

Pourquoi n'y a-t-il pas de brouilleurs de téléphones ?

François Bès : Les brouilleurs existent, mais ils sont rapidement obsolètes. Soit on décide d'investir un paquet d'argent pour changer les brouilleurs tous les trois mois, soit ça ne sert à rien. Aujourd'hui, on brouille des vieux téléphones, mais pendant ce temps-là, les nouveaux rentrent, avec des nouvelles formes d'accès au réseau.

Entre les images de la prison de Château-Thierry et celles du clip, où se trouve la vérité ?

François Bès : La vérité est forcément dans les deux. Le clip met en avant des images filmées à un instant T, où les détenus n'étaient pas surveillés. En général, ce n'est pas du tout ça la vie en prison : on y est surveillé en permanence.

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Y a-t-il 75 % « d'Afro-musulmans » en prison ?

François Bès : Non. On dénombre 17 % d'étrangers dans les prisons françaises – avec un bon nombre de personnes d'Europe de l'Est, notamment en Île-de-France.

Les prisonniers fument-ils des joints en permanence ?

François Bès : En ce qui concerne les stupéfiants, tout le monde sait que ça circule. Quand on veut un peu emmerder les détenus, on fait une fouille, mais tout le monde laisse plutôt faire. Je me souviens d'un rapport du ministère de la Justice datant de 1996. Directeurs et surveillants se retrouvaient sur un point : quand les détenus ont un peu fumé, ils sont beaucoup plus calmes. En fait, on va lutter contre les stupéfiants seulement quand ça nous arrange.

Y a-t-il des malades mentaux en prison ?

François Bès : Un quart des personnes détenues à l'heure actuelle en France présentent des troubles psychiatriques graves. Pour comprendre cette situation, il faut s'intéresser à l'histoire de la psychiatrie en France depuis les années 1970. On a fermé des lits parce qu'on a considéré que l'enfermement en psychiatrie n'était pas normal – ce qui est une bonne chose. Mais l'idée, à côté de ça, était de mettre en place une psychiatrie de proximité, en charge du travail de prévention. Ça n'a jamais été fait. Du coup, d'un côté, on a fermé des lits et de l'autre, les malades ont échappé au soin, à la prévention – et ont fini par se heurter à la Justice.

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Parallèlement à ça, le nombre de personnes déclarées irresponsables par les experts a fortement baissé en vingt ans. Du coup, on se retrouve avec des malades en prison. Dans les chiffres, c'est environ 7 % de schizophrènes et 21 % de malades psychotiques. On demande à la prison d'effectuer un travail de soin, alors que ce n'est pas le lieu pour ça.

Y a-t-il des meurtres et des suicides en prison ?

François Bès : Dans les comparatifs avec les autres pays européens, la France est parmi les plus mauvais élèves en matière de taux de suicide. Il y a à peu près 120 suicides par an. C'est un chiffre qui stagne, parce que la prévention du suicide est mal pensée. À l'heure actuelle, la prévention du suicide, vue par l'administration, revient à contraindre les gens à ne pas mourir. Toutes les mesures prises visent à empêcher les gens de passer à l'acte : on met les détenus sous surveillance avec des rondes toutes les demi-heures, on leur enlève leurs effets personnels, etc.

Pour les meurtres, on dénombre deux ou trois homicides par an. Ça existe, mais ce n'est pas fréquent. Derrière ce chiffre, il y a des centaines d'hospitalisations. Surpopulation, promiscuité et non-accompagnement créent un cocktail hyper-violent. Vous ne choisissez pas avec qui vous vivez. Tout à coup, on vous colle trois codétenus, enfermés avec vous 22 heures sur 24 : la personne la plus calme et posée, à un moment, peut avoir des envies de meurtre.

Merci François pour toutes ces explications. On laisse le mot de la fin à un internaute.

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