Hongkonh
Société

Du black bloc parisien à Hongkong, itinéraire d’un jeune photographe français

Après avoir traîné son boîtier dans le black bloc parisien, Thaddé Comar est parti suivre les manifestations pro-démocratie hongkongaises pour en ramener des photos aux accents futuristes.
Pierre Longeray
Paris, FR

Alors que les manifestations continuent dans les rues d’Hongkong – qui fait aussi face à l’arrivée du coronavirus –, un jeune photographe français commence à faire le point sur les deux mois passés là-bas à l’automne dernier. Thaddé Comar, diplômé en photo de l’Écal à Lausanne, a vécu les débuts de la révolte hongkongaise avec son appareil en main et un objectif un peu différent des nombreux journalistes étrangers présents en première ligne des manifestations pro-démocratie.

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Comar y a embrassé une démarche à la fois documentaire et artistique visant à fragmenter au mieux les temps et les acteurs des manifestations, ce à quoi il s’était déjà essayé dans le black bloc parisien dans la foulée du mouvement contre la loi Travail. Sortant de l’image photo-journalistique classique, Comar livre une série de photos aux accents futuristes intitulée « How was your dream? », où se croisent des manifestants, des drones, des lasers, des flics et des parapluies. Rentré depuis à Paris, on lui a passé un coup de fil pour discuter structures en bambous, AirDrop et anonymat.

VICE : Avant de partir suivre les manifestations à Hongkong, tu avais passé pas mal de temps dans le black bloc parisien. Qu’est-ce que tu y cherchais ?
Thaddé Comar : Quand j’étais à l’école à Lausanne, j’avais pas mal de potes parisiens qui participaient au bloc à Paris, un ami était fiché S à cause de ça d’ailleurs. Cette proximité a fait que, petit à petit, je me suis mis à m’intéresser à tout cet univers de l’extrême gauche. Ma première manif, ça devait être celle après la journée de l’hôpital Necker [le 14 juin 2016, NDLR]. Après ça, je me suis mis à faire des allers-retours réguliers entre la Suisse et Paris pour venir en manif. J’avais envie de comprendre ce qui s’y jouait en y étant, de vivre ce moment, d’en être témoin tout en essayant de trouver une nouvelle approche photographique de cet événement.

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Dans le black bloc à Paris. Série « 2017 n'aura pas lieu »

Qui consistait en quoi ?
Je cherchais à sortir de l’image photojournalistique classique. L’idée était de fragmenter les différents aspects de la manifestation pour aboutir à des images qui soient comme des icônes représentant chacune un sujet, un acteur de la manifestation.

Le travail de photographe n’est pas aisé en manifestation, comment tu t’en es sorti ?
C’est vrai que la police est hyper chiante avec les gens comme moi qui n’ont pas de carte de presse. Et dans le bloc, les photographes ne sont pas vraiment acceptés, ce que je comprends après ce qu’il s’est passé avec l’affaire du Quai de Valmy. Mais bon, je connaissais quelques personnes dans le bloc, puis n’étant pas dans une démarche journalistique je n’avais pas besoin de toujours être là, à photographier les moments décisifs de violence. Je savais aussi comment me comporter : ne pas pointer les visages, garder ton appareil vers le bas et faire un bon edit de tes images pour ne pas partager celles où on voit des visages. Puis, le principe du bloc c’est justement la non-identité, l’anonymisation de chaque individu ; donc la bonne manière de photographier le bloc, c’est de ne pas montrer de visages.

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Hongkong, 2019.

Après ton projet à Paris, tu décides de partir à Hongkong. Comment est venue cette idée ?
En fait, j’avais gagné une bourse en Suisse il y a quelque temps, et je comptais l’utiliser pour aller photographier le G8 à Biarritz en août dernier. Mais j’avais des galères d’autorisations. Puis j’ai vu ce qui se passait à Hongkong, ce qui permettait d’ouvrir un nouveau chapitre de mon projet parisien. J’ai pris un billet d’avion et trois jours plus tard, j’étais à Hongkong.

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« En première ligne, tu as les mecs avec les parapluies. Derrière eux, tu as ceux qui lancent des cocktails Molotov. Ensuite, ceux qui éteignent les palettes [de gaz lacrymogène] »

Quand tu débarques sur place, as-tu des contacts ou un fixeur pour te filer un coup de main ?
Je n’avais pas prévu de fixeur, mais si c’était à refaire j’essayerais d’en trouver un. Je ne connaissais vraiment pas grand monde. Un pote m’avait simplement filé l’adresse d’une auberge de jeunesse. Je me suis pointé là-bas puis tout s’est très vite enchaîné. Puisque toute la ville était
« en lutte », tu te retrouvais abreuvé d’informations sur les manifestations. Il y avait des tracts de partout, puis dans le métro si tu activais ton AirDrop, tu recevais énormément d’infos anonymement, notamment en anglais. Autre point important, il y avait beaucoup de journalistes anglo-saxons sur place, qui étaient très organisés. Ils avaient créé un groupe WhatsApp où tu avais des infos comme : où trouver un masque à gaz, quel avocat appeler si tu te faisais attraper, mais aussi où se passaient les manifestations en direct. Du coup, je me suis assez rapidement retrouvé dans les bonnes manifestations.

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Si tu dois comparer avec ton expérience parisienne, c’était plus facile pour toi de prendre des photos ?
C’est différent, mais j’ai trouvé ça un peu plus facile. À Hongkong, la police flippait un peu des journalistes étrangers, ils ne voulaient pas créer de problèmes avec la presse étrangère. Par contre, les journalistes locaux se faisaient régulièrement arrêter. Ce qui changeait aussi, c’était que la population locale était très avenante avec nous. Beaucoup de gens nous remerciaient, nous invitaient au resto, refusaient qu’on paye le taxi. Avec les manifestants, le rapport était aussi plus fluide qu’en France. Je pense que cela est principalement dû au fait qu’en France, les médias qui couvrent les manifestations ont des positions moins faciles à identifier. Tandis qu’à Hongkong, tu pouvais facilement te dire que la plupart des médias étrangers avaient une position pro-démocratie.

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Un manifestant à Hongkong, 2019.

La question de l’anonymat s’est aussi posée j’imagine…
S’il y a bien un truc que les manifestants me disaient tout le temps, c’est « no face, no face ». C’était une évidence pour moi de respecter cela. Quand je prenais des portraits, je leur disais bien de ranger leurs oreilles. Là-bas, les manifestants encourent de longues peines de prison pour
« rioting », puis la justice use abondamment de photos de presse.

« L'urbanisme de Hongkong et la manière dont la police procède permet aux manifestants d'utiliser certains outils qu'on ne pourrait pas voir en France »

Vu de France, l’inventivité des techniques utilisées par les Hongkongais en manifestation a beaucoup impressionné. Quel a été ton ressenti ?
C’était vraiment très impressionnant, surtout pendant mes premières manifs. Ce qui est le plus frappant par rapport à la France, c’est la précise répartition des tâches qui existe chez les frontliners. En première ligne, tu as les mecs avec les parapluies. Derrière eux, tu as ceux qui lancent des cocktails Molotov. Ensuite, ceux qui éteignent les palettes [de gaz lacrymogène]. Puis tu as tous les autres qui approvisionnent en eau, qui soignent… Cette extrême organisation se décline aussi en dehors des manifestations avec des gens qui récupèrent des sous pour avoir des espaces médiatiques ou encore ceux qui payent du matos aux manifestants. L’organisation de tout ça est hyper ingénieuse et permet de stimuler et diffuser une créativité. Par exemple, vers le milieu de mon voyage, certains ont commencé à faire des structures en bambous avec des serre-flex pour bloquer des rues. Et bien, très vite, il y en avait de partout. Tout le monde avait compris que c’était super relou pour les flics.

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Après il y a eu la technique des pavés posés au milieu de la rue pour empêcher la progression de la police. C’était aussi hyper chiant pour les camions de police. Mais il ne faut pas s’arrêter à ça et saluer aussi tous les trucs philosophiques derrière comme les idées du « Be water » ou « Blossom everywhere ». Ils avaient même mis au point un dictionnaire sur le vocabulaire des manifestations mais je n’ai pas réussi à le récupérer.

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Un drone utilisé par les manifestants honkgongais pour repérer la police.

As-tu réussi à comprendre comment ils stimulaient cette créativité ?
Il faut se dire que la forme de la manifestation n’est pas la même qu’en France, ni même l’espace urbain. Ce qui change aussi pas mal la donne, c’est que les manifestants sont très peu fouillés en amont des manifestations, alors qu’en France c’est sacrément galère de faire rentrer du matos. Là-bas, tu tombes sur des mecs avec des armures corporelles, des masques à gaz intégraux, des casques. D’autres arrivent à faire rentrer des matraques télescopiques, des caisses à outils pour démonter des barrières dans la rue, des drones pour surveiller la police mais aussi des gros lasers. Si tu veux, l'urbanisme de Hongkong et la manière dont la police procède permet aux manifestants d'utiliser certains outils qu'on ne pourrait pas voir en France.

La police fait aussi usage de techniques disons « créatives » ?
La police dispose de gros moyens. Ils ont évidemment des hélicos, des caméras, de la reconnaissance faciale, mais aussi des armes non-létales comme les « beanbag » – des petits sacs de billes projetés à haute vitesse –, des sortes de flash-ball, du gaz poivre, du gaz lacrymogène, et d’autres. Ils utilisent aussi des canons à eau français, qu’ils remplissent de liquide marquant indélébile ou de liquide au poivre.

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Un policier à Hongkong, 2019.

Tu n’es pas journaliste, mais artiste. Comment fais-tu pour rester dans ton rôle ?
C’est un sujet qui me demande forcément de faire partie des manifestations, qui sont à la base couvertes par la presse. Donc forcément, il y a cette esthétique de la photo de presse qui en ressort un minimum. Mais le but est d’avoir une démarche artistique, de se défaire des codes du photo-journalisme, trouver un type de représentation nouveau avec une esthétique où les images ne représentent pas un moment spécifique, mais plutôt un symbole. Si mes photos étaient là pour accompagner un article d’info, elles seraient consommées d’une manière différente que si je les expose dans une galerie.

Tu voudrais continuer ce projet dans d’autres pays ?
Oui j’ai l’impression que mes projets à Hongkong ou à Paris pourraient devenir des chapitres d'un projet plus global. D’autres pays connaissent des épisodes comparables comme le Chili ou le Liban pour ne citer qu’eux. L’idée serait d’y aller et de témoigner à nouveau de la manière singulière dont les peuples se débrouillent contre des systèmes opprimants.

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Un manifestant au sol à Hongkong dans un nuage de gaz lacrymogène.

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