Michael Dhaspe chef belges
Alle beelden door Michaël Dehaspe

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Food

Cet homme prend des photos absurdes des plus grands chefs étoilés belges

À moitié nus, un poisson dans la bouche ou habillés d'un sac en jute : le photographe belge Michaël Dehaspe capture nos meilleurs chefs d'une façon peu conventionnelle.

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Il y a quelque temps, je suis tombée sur une photo de Sergio Herman. On l’y voit à la campagne, tenant artistiquement une pomme de terre devant son œil droit. Il y a pas mal de terre sur sa main, ce qui nous laisse penser qu’il vient juste de l’arracher. L’espace entre sa main et son visage est situé exactement au bon endroit pour permettre au soleil de transparaître dans l’image. Grâce à la précision de cette position, des petits rayons de soleil effleurent délicatement la pomme de terre. L’ensemble rendrait les photographes de vacances all-in en Turquie fous de jalousie.

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Maintenant, je comprends mieux ce que cette photo essaye de faire passer : en plus d’être chef, Sergio Herman fait aussi des frites. Mais je ne peux en même temps pas m’empêcher de réfréner un sourire alors qu’une petite voix surgit dans ma tête : pourquoi cette photo, Sergio ? Pourquoi ?

Chaque grand chef a besoin d’une bonne photo. Une photo qui dit : me voilà en train de bosser et c’est comme ça que je veux que le monde me voie. Ensuite, cette image servira soit pour la presse, soit pour agrémenter leur profil LinkedIn, ou même simplement pour récolter plus de matches sur Tinder. Ces photos de chefs sont souvent décalées et j’ai toujours été fascinée par ça.

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Lors d’une de mes nombreuses errances sur internet, j’ai découvert que les grands chefs belges se faisaient tirer le portrait de façon très excentrique, bien plus que des chefs néerlandais ou américains. Ils portent des moutons sur leurs épaules, tiennent des poissons morts dans leur bouche et posent nus avec pour unique cache-sexe un gros chou-fleur. Ce qui est encore mieux, c’est que toutes ces photos ont été prises par le même photographe, Michaël Dehaspe, qui est apparemment le photographe star des chefs en Belgique.

En regardant son travail, on comprend immédiatement : il est l’homme qui fait avec les chefs ce qu’Anne Geddes a fait avec les bébés. Parce qu’il est assez facile de se perdre dans le contexte de ses photos, j’ai appelé Dehaspe pour lui poser des questions sur la genèse de ses idées, le déroulement des tournages, et comment il convainc de si grands chefs de poser de cette façon.

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VICE : Salut Michaël, comment en es-tu venu à photographier des chefs ?
Michaël Dehaspe : Il y a six ou sept ans, une agence de tourisme de Flandre occidentale, Westtoer, m’a demandé si je voulais prendre des chefs en photo pour une de leur campagne. Le shoot se passait uniquement en cuisine et j’ai trouvé ça incroyablement ennuyeux. Après quelques prises de vue, j’ai dit qu’on allait faire ça autrement. Et voilà ! Jusqu’à l’année dernière, j’ai également bossé chaque année pour Jong Keukengeweld de Tourism Flanders. Parfois, on shootait septante chefs sur un mois de temps. Je n’ai pas continué cette année, parce qu’ils ont nommé un autre photographe pour des raisons compliquées.

C’est difficile de photographier des chefs?
C’est un super job, mais très fatigant. Les chefs ne sont pas mannequins. Ils peuvent vite devenir nerveux et mal à l’aise devant l’objectif. En plus de ça ils sont super occupés et ont donc très peu de temps à me consacrer. Tout doit aller vite. J’ai cinq minutes pour décider de ce que nous allons faire et cinq à dix minutes pour shooter. Je dois vite trouver où et avec quels accessoires on va prendre la photo. En plus de ça, je dois démarcher une cinquantaine de chefs pour être sûr qu’un d’entre eux me répondra. L’expérience m’a appris qu’appeler à huit heures du matin c’est la bonne technique, parce qu’à ce moment là ils ne sont pas encore sous pression. Dès l’après-midi, ils deviennent plus nerveux et la communication sera difficile. Les chefs ont parfois du mal à lâcher du lest. En tant que photographe, vous devez être très clair et assertif. Une fois, je suis allé jusqu’à Bruges pour un chef qui n’a finalement pas eu de temps à m’accorder. Il arrive souvent que les chefs n’aient pas envie de collaborer avec moi. Dans ces cas-là, on fait vite une photo plus « basique ». Heureusement, la plupart des chefs sont ouverts et collaborent avec moi parce qu’ils savent très bien ce qu’une bonne photo peut amener comme publicité.

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Chaque chef est représenté d’une manière différente. Comment imagines-tu le concept de tes photos ?
Je passe mon temps à collectionner des idées. Quand je vois une image avec du feu ou de la fumée je pense : « ouais, ça pourrait aussi bien fonctionner avec les chefs. » J’écris tout ça. Quand j’arrive au restaurant du chef, je lui demande si il a déjà une idée, une envie. Si non, je lui demande son hobby ou les produits avec lesquels il aime travailler. C’est important d’inclure le plus possible de leur personnalité dans l’image. Par exemple, Julie Baeckelandt voulait un truc avec des pommes de terre parce que son surnom est Julie Patatje. On l’a écrit sur deux pommes de terre, puis je lui ai dit qu’elle devait aller enfiler un sac en toile de jute.

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Les chefs ont la réputation d’être des gens plutôt revêches. Comment te les mets-tu dans la poche ?
Grâce à mon enthousiasme je pense, et parce que je suis quelqu’un d’honnête. Je mets bien tout à plat et annonce d’entrée de jeu que mon intention n’est pas de les ridiculiser. Si ils sentent que je travaille de façon professionnelle, ils vont croire en moi et en mes idées. De cette façon, je les convaincs. Parfois, ils sont si enthousiastes que je me trouve d’un coup avec un grand chef qui se met à suspendre des carcasses ou se fourrer des couteaux sanguinolents dans la bouche. Steven van Snick par exemple: on s’est retrouvé à fabriquer un mélange de sang de viande, de farine et d’eau. Certains chefs sont prêts à aller jusque-là, mais parfois je dois mettre un stop à leur élan créatif sinon la photo ne devient même plus utilisable pour la presse.

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Tu peux nous donner un exemple d’une idée qui est allée trop loin ?
Quelqu’un voulait que sa petite amie enceinte jusqu’aux yeux pose nue à côté de lui. Elle n’en avait vraiment pas envie mais il continuait à pousser le truc et à la forcer. Là je me suis dit : eh merde.

Pourquoi les photos de chefs doivent-elles être si excentriques, au fond ?
Les meilleurs chefs sont des artistes. Ils vont bien au-delà de la cuisson des pommes de terre et des légumes. Cette créativité doit se retrouver dans les photos. De plus, ils comprennent aussi très bien qu’une photo extravagante génère beaucoup de publicité. Certains chefs en doutent encore, ils ont un peu peur, mais je leur dis toujours: les gens parleront de vous, et que ce soit en positif ou négatif, mais au moins ils parleront de vous !

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Parlons de l’une de mes photos préférées. Tom Cloet, qui porte un mouton vivant sur ses épaules en pleine campagne. Comment s’est passé ce shooting ?
Étonnamment bien. Au cours de notre conversation, il a évoqué l’idée du mouton et il a dit qu’un de ses fournisseurs, un agriculteur voisin, pourrait nous prêter une bête pour le tournage. Au début, amoureux des animaux comme je le suis, je me disais : « est-ce que c’est vraiment bien de faire ça ? » Mais j’ai ravalé mes principes et je lui ai demandé s’il pouvait soulever le mouton sur son épaule, puis j’ai pris la photo. Une autre fois, je me trouvais avec un chef assez timide qui n’a pas dit un seul mot. Un lapin se promenait autour de nous et je lui ai proposé de l’utiliser dans l’image. Il a immédiatement attrapé l’animal, l’a transporté dans sa cuisine et l’a déposé près d’un énorme couteau, comme un psychopathe. On devait faire hyper vite car c’était le lapin de sa fille et elle pouvait rentrer à la maison à tout moment. Cette photo a été le contre-pied délirant de son portrait de l’année précédente : on le voyait poser très noblement avec une fraise en équilibre sur un couteau et un trait de crème fouettée.

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Et Gregory Schatteman, avec son poisson mort dans la bouche?
C’était sa propre idée. J’étais chez lui et il a dit : « hé, après-demain, je reçois du bon poisson, on peut en faire quelque chose non ? » Je suis revenu deux jours plus tard à Maasmechelen. Du jus noir coulait sur mes mains parce que le poisson commençait à dégeler. Inutile de dire que ça sentait super mauvais. Gregory y va toujours à fond. Une fois on a bossé avec du feu et on a presque incendié son restaurant. Il a jeté de l’eau sur l’huile pour faire grandir le feu. Je lui ai dit : « tu es sûr ? » Il m’a répondu « oui oui ! » Finalement on n’a pas pu utiliser les photos parce qu’on ne voyait même pas Gregory tellement la flamme était gigantesque. Il y aussi la fois où je l’ai vu dans l’étang de son restaurant avec un poisson en plastique et un filet de pêche rose fluo. Il a hésité à en faire quelque chose, mais je lui ai dit de laisser tomber.

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Le nu suggestif semble également être un thème récurrent dans ton travail.
Je demande toujours si les chefs ont des tatouages. À ma grande surprise, la plupart d’entre eux n’en a pas, sauf Jo Grootaers qui en a un sur le torse. Du coup je voulais en profiter pour en tirer quelque chose.

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Pour Alex Verhoeven, j’ai juste pensé que l’image rendrait mieux si on voyait un peu de peau : la fumée en arrière-plan apporte quelque chose de sombre et de mystérieux et avec quelques modifications ça pouvait encore être renforcé par le nu. Du coup on est partis dans cette direction. Il croyait en ma vision et maintenant il est super content. Cette photo est partout !

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Achim Vandenbussche s’est presque complètement débarrassé de ses vêtements. C’était prévu ?
Achim m’a dit qu’il voulait vraiment faire quelque chose de sauvage. Son père était présent lors du tournage et il a dit à son fils d’y aller nu. Il voulait d’abord être totalement nu, mais j’ai préféré rester un minimum élégant, d’où le chou-fleur. Je voulais également un lien avec le fait qu’il soit chef, on a donc fait apparaître l’uniforme et la caisse de Westvleteren. Ce qui est drôle c’est que cette photo a été prise dans le jardin de son restaurant alors qu’il y avait encore des clients qui mangeaient. Ils ont tous commencé à applaudir. Surtout les femmes qui avaient déjà bu quelques verres.

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Un autre objet récurrent : le canapé Chesterfield. Y a-t-il un véritable lien entre les chefs et les canapés en cuir ?
Non ce n’est pas ça. J’adore ces fauteuils et j’aime réunir deux choses qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre : cru et raffiné, côtes de porc et Chesterfield.

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Autre chose : les larmes noires. Bernard Dewitte, par exemple, a cette rayure noire dessinée sur le visage. Ça symbolise quelque chose ?
Bernard a de très beaux yeux. Les larmes sont aussi très belles, mais ça ne se remarque pas vraiment sur l’image. Comme il avait de la seiche en cuisine, on a utilisé une petite pipette pour dessiner une larme noire avec de l’encre sous son œil. C’était aussi pour faire le lien avec l’oignon.

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Une autre de mes favorites : Seppe Nobels qui semble s’enfoncer dans un buisson gigantesque.
Oui ! On était en train de prendre des photos devant le lierre de son jardin, et tout à coup je l’ai vu comme une sorte de Christ. Je lui ai demandé de se pencher en arrière et d’étendre ses bras. Parfois, une image peut se révéler bien meilleure après coup. C’était le cas ici. Un mur végétal puis Seppe avec son costume blanc et ses cheveux blonds, qui émerge du lierre ! Merveilleux !

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Que s’est-il passé ici ?
[Rires] Parfois, je suis si fatigué que je n’ai plus aucune inspiration. Ces deux laitues me rappelaient, pour une raison ou une autre, des haltérophiles des années soixante. Mais ça n’a pas tout à fait rendu comme je le voulais. Quand on n’a pas beaucoup de temps sur un tournage, on fait parfois des erreurs. Pour être sincère, j’aimerais vraiment avoir mon propre directeur artistique.

Y a-t-il des chefs qui ont refusé tes idées un peu hors du commun ?
Oui, de grands chefs comme Olly Deceulenaere de Volta. Il a dit à l’avance que ce genre de mises en scène ne l’intéressait pas. Nick Bril de The Jane était aussi un peu frileux au début. Il est arrivé en retard et n’arrêtait pas de regarder son téléphone. Plus je parlais, plus il s’éloignait de ce qu’il se passait. Quand je lui ai finalement demandé s’il pouvait mettre le feu à son tablier, il a été super emballé. Il l’a cramé sur sa cuisinière et s’est dressé sous le grand lustre de son restaurant avec son tablier plein de trous. Il est très content de cette photo.

Merci, Michaël.

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Cet article a été initialement publié sur Munchies Nederland.