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Festivals

J’ai passé 24 heures avec un dealer à Dour

Pendant que vous faites la fête, certains « entrepreneurs » gagnent et perdent un tas de fric.
Matéo Vigné
Brussels, BE

Lisez nos meilleures histoires de 2018 sur cette page avec un titre super original.

Tout le monde le sait, les gens aiment faire la fête et quelques fois plus que ce que leur corps ne peut le faire naturellement. C’est pour cela que l’on rencontre tous types de vendeurs de sourires, d’énergie, de mood, de défonce. Les dealers de festival. Dour n’échappe pas à cette règle. Cependant, difficile de passer à côté de cet attroupement massif de policiers à l’entrée du site, à la gare, dans le camping ou à l’intérieur même du festival. Quelles techniques utilisent les dealers pour mener à bien leur activité avec toute cette surveillance ? Comment organisent-ils un marché illégal au sein même d’une manifestation culturelle d’une telle importance ?

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Emilio* vient de la banlieue d’Anvers et a grandi dans une famille plutôt classique. Très jeune, il a perdu sa mère et a dû veiller sur sa famille. Il a quitté l’école tôt et s’est mis à travailler pour aider sa famille d’une part et ses amis déscolarisés et au chômage d’autre part. Il m’expliquait que dans la banlieue des grandes villes de Belgique, les jeunes sont souvent livrés à eux-mêmes et aiment faire la fête de façon plutôt extrême. Du coup, la drogue n’est jamais loin. À quinze ans il est confronté à sa première prise, son premier commerce, son premier réseau. Aujourd’hui c’est un jeune homme de 24 ans qui se dresse devant moi, plutôt passe-partout, cheveux blonds mi-longs, habillé simplement, de taille moyenne. Loin de l’image du dealer que l’on pourrait se faire. C’est d'ailleurs un plus d’avoir une gueule d’ange dans ce business. En 2017, Emilio s’était fait prendre à l’entrée du festival avec dix grammes de cannabis. Il a passé 24 heures en garde à vue pour ce qu’il avait sur lui et a ensuite été relâché.

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« Bien sûr, j’ai été flairé, bien sûr j’ai des trucs sur moi, bien sûr c’était la panique. »

C’est à l’arrêt de la navette que j’attends Emilio, à 9 heures du matin, pour commencer cette aventure. Une heure et demi plus tard et une peau déjà marquée par le soleil, j’aperçois Emilio au loin, tout sourire, se précipitant vers moi en faisant de grands gestes : « Mec, c’était chaud. Tu sais à Dour, ils font des razzias. Un camion de flics a stoppé la navette, ils nous ont fait descendre un par un et nous ont fait sortir nos sacs. Il y avait des chiens. Bien sûr, j’ai été flairé, bien sûr j’ai des trucs sur moi, bien sûr c’était la panique. » Emilio a des techniques bien à lui pour cacher sa drogue. Il fait des trous dans des chaussures, il remplit un thermos de soupe dans lequel il planque des petits sachets. Il se prépare des sandwichs dans lesquels il met aussi bien des tranches de tomates que quelques grammes… Mais cette fois, il était comme qui dirait, dans la merde. Il ajoute : « Mais bon, vu que je suis là tu peux imaginer que je m’en suis sorti. J’avais pris 10 grammes d’herbe sur moi et 30 grammes de cocaïne, j’ai tout bien caché, sauf l’herbe, je ne me souvenais pas où je l’avais mise. Il s’avère que quand je me suis fait contrôler, le chien a reniflé l’herbe et je l’ai joué franc jeu, j’ai avoué que j'en avais. Sauf que le comble c'était que je l’avais oubliée chez moi, du coup, au moment de la sortir, impossible de la trouver. J’ai été fouillé par une demoiselle de la police qui avait l’air plutôt gentille, et j’ai essayé de la manipuler. J’ai dit ce que j’avais dans mon sac, soit le thermos, les sandwiches etc. J’avais aussi fait des pâtes à la bolognaise pour brouiller les pistes et j’ai eu de la chance, c’est le seul truc qu’elle a fouillé. Pour la jouer cool, je lui ai même proposé d’en goûter et j’ai parlé de ma recette avec elle. Ils m’ont laissé repartir tranquillement avec ma bouffe et ma drogue. »

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Une fois dans le festival, après avoir passé les différents check-up de sécurité, je suis à la trace l’activité d’Emilio. Le jeune flamand me raconte ses exploits et anecdotes : « Un jour, sur un coup de tête, j’ai roulé jusqu’en République Tchèque pour vendre de la beuh, soit bien 9 heures de voiture. Une fois sur place, on ne m’a pas laissé rentrer sur le site, je ne sais plus pourquoi, du coup j’ai vendu quelques grammes sur le parking et je suis rentré. Dans la même journée, ouais. »

Le marché est de plus en plus saturé. De plus en plus de touristes viennent et se prennent pour des dealers afin de rembourser leurs places.

L’année précédente, Emilio faisait office de pharmacopée ambulante. Speed, kétamine, 2C-B, LSD, GHB… Cette année, il ne s’est consacré qu’à la cocaïne. Il explique que les contrôles de police ont été plus difficiles à passer. La coke est plus facile à cacher car elle se divise en petits sachets. Aussi, il a constaté que ça ne servait à rien de faire office de supermarché de la drogue. Il utilise des termes économiques pour me parler de son affaire. Le marché est de plus en plus saturé. De plus en plus de touristes viennent et se prennent pour des dealers afin de rembourser leurs places. Il me confie : « Avant je vendais de tout mais il m’en restait toujours entre les mains. Et c’est pas bon. C’est plus de risques pour rien. Je me suis spécialisé cette année dans la cocaïne, c’est ce qui se vend le mieux, le prix fluctue, je laisse les autres drogues aux autres dealers. On ne se fait pas la guerre entre dealers. Chacun son business, chacun sa merde. Je vends entre 50€ et 60€ le gramme aux Belges et entre 80€ et 100€ aux touristes. »

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Dans ce monde où tout est illégal mais où tout doit s’écouler, quelle sorte de marketing, communication, et promotion utiliser pour être visible, se distinguer ? Il me répond sobrement : « Avant c’était plus facile, si t’avais un sacoche banane t’avais une chance sur deux ou sur trois de vendre quelque chose. Depuis quelques années, c’est revenu à la mode, les petits fuckboys en ont et ça nous ruine un peu notre business. Un simple regard suivi d’un hochement de la tête ou d’un clin d’oeil suffit généralement. » Je n’y croyais pas trop mais ça marche. Les clients se succèdent et tout se passe dans le plus grand calme. Que ce soit devant un concert, à une pause pipi ou juste allongé sur l’herbe, les connexions se font.

« Depuis quelques années, les sacoches bananes sont revenues à la mode, les petits fuckboys en ont et ça nous ruine un peu notre business. »

Par contre, j’ai aussi vu Emilio refuser un client. Il m’explique que malgré la nature de ses produits, il garde une certaine éthique. Que ce soit des gens trop jeunes, trop défoncés ou trop gourmands, un non c’est un non. Il dit avoir connu trop de drames autour de lui pour faire partie de cette machine infernale.

On est en fin d’après-midi, la moitié de son stock est écoulée. Soit environ 12 grammes de cocaïne encore dans les pattes et 1200€ de cash récoltés. C’est l’heure de faire un tour au camping histoire de garder au chaud le butin. Il me raconte sur le chemin qu’il a un travail à plein temps, il bosse pour une grande entreprise allemande à Bruxelles. Il gagne plutôt bien sa vie mais il s’occupe des problèmes de tout le monde, ce qui lui coûte du temps et de l’argent. C’est pour ça qu’il s’est mis à dealer. Une fois arrivés au campement, le nom d’Emilio résonne de partout. Je vois dans le regard des autres une certaine forme de confiance et d’admiration. À ce moment-là, un ami à lui arrive avec un inconnu, un Français, qui vient pour acheter. Il lui vend son gramme de cocaïne pour 90€, tout cela se passe très vite. Le temps d’ouvrir une Cara Pils et d’allumer une cigarette que la transaction est déjà terminée.

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« Moi tu vois, une vie avec une pelouse bien taillée, un chien au poil soyeux, une femme et de beaux enfants que j’emmènerais au match de foot le dimanche, ça m’aurait plu aussi. »

À l’heure de manger, enfournant une bonne quantité de pâtes, il m'annonce qu’il n’a pour l’instant rien payé de ce qu’il avait sur lui. Il travaille avec un grossiste. Depuis peu, Anvers est devenu la capitale européenne de la cocaïne. Il me dit que moins de 10% des conteneurs se trouvant dans le port sont fouillés. Du coup ça laisse une grande porte ouverte à tout style de trafic. C’est pour cela aussi que les prix sont si bas et que les quantités qui transitent sont si élevées. Son fournisseur ne touche qu’une partie de ses bénéfices, généralement pour 60€ de cocaïne, 40€ lui reviennent et 20€ vont au grossiste. Une affaire plutôt lucrative. Selon lui le public des festivals et les consommateurs de drogues se rajeunissent d’année en année. Il n’en est pas très fier. Il ne veut pas que les gens finissent tous comme lui. Il me dit assez discrètement : « Moi tu vois, une vie avec une pelouse bien taillée, un chien au poil soyeux, une femme et de beaux enfants que j’emmènerais au match de foot le dimanche ça m’aurait plu aussi. »

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Fini de manger, back to business. Le soir, à Dour, la musique électronique prend place et les esprits acidulés se réveillent. Emilio me confie qu’il aurait pu ne venir qu’à partir de minuit et tout vendre en quatre heures, chose que je ne crois qu’à moitié, mais qu’il était intéressant de vérifier. Les clients se succèdent et repartent avec leur petit sachet de poudre. Emilio, l’argent dans la banane, me regarde avec un grand sourire qui se traduit par un « je te l’avais bien dit ». La soirée se déroule sans accro et au bout de deux heures, il ne lui restait plus que 4 grammes de cocaïne. « J’ai fait le taf, je pense que je vais m’arrêter là et faire la fête à fond. »

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« D’habitude je ne fais jamais ça. Je ne montre jamais où je suis, où je cache l’argent et la drogue. Mais là je n’avais pas d’autres solutions. Tant pis. »

Vers 5 heures du matin, nous rentrons à son campement pour voir comment se passent les afters chez les dealers. Emilio appelle un par un ses compères. Il se retourne vers moi et m’annonce : « Il n’y a plus rien, plus de cash, plus de drogue, je ne trouve même plus mon GSM. » Pendant notre expédition nocturne, sa tente avait été dévalisée. « La poche où se trouvait la drogue est la seule à être ouverte. L’argent n’est pas là, la drogue non plus. » Après avoir retourné toute sa tente et avoir vérifié les autres tentes il n’a retrouvé qu’un pochon de weed, qui n’était pas à lui, mais rien de plus. Les autres endroits où il cachait son argent avaient aussi été pillés ainsi qu’une boîte de Xanax appartenant à l’un de ses amis et 350€ en cash dans une tente voisine. Un vol ciblé, prémédité et préalablement étudié. Une amie à lui s’approche de moi et me dit : « C’est Dour putain, c’est juste Dour quoi. » Emilio me précise même que des bandes viennent de France spécialement pour piller des dealers ou de simples festivaliers. L’air dégoûté il ajoute : « Je suis content d’avoir un boulot à côté et de ne pas dépendre uniquement de ça. En plus j’ai quand même ce que j’ai vendu dans la soirée, je vais devoir peut être 500€ à mon fournisseur mais c’est le jeu. Je suis juste dégoûté d’avoir pris autant de risques pour rien. » Je lui demande donc s’il a une idée de qui cela peut être et il me répond avec certitude : « C’est le Français que mon pote a ramené sur le camping. D’habitude je ne fais jamais ça. Je ne montre jamais où je suis, où je cache l’argent et la drogue. Mais là je n’avais pas d’autres solutions. Il avait l’air innocent mais bon, je suppose que moi aussi. Si je ne lui vendais rien il allait me la faire à l’envers dans tous les cas. Tant pis. »

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Le lendemain, je reçois un message de sa part en disant qu’il avait réussi à récupérer son téléphone qui avait été saisi par la police à un groupe de jeunes néerlandais mais aucune trace ni de la drogue ni de l’argent. La drogue est donc bel et bien un business comme un autre. Et des traîtres, il y en a partout. Organisation, prudence et méfiance sont ici les maîtres-mots.

*Emilio est un nom d’emprunt, les vrais noms sont connus de la rédaction. Les personnes représentées dans les photos ne possèdent aucun lien avec le récit.

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