Drogue

Je suis devenue dealeuse pendant le confinement

C’était le seul moyen pour Mandy de subvenir aux besoins de sa famille.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
dealeuse
Illustration : Lily Lambie-Kiernan

Mandy est une mère célibataire de 35 ans qui travaille comme graphiste freelance à Londres. Lorsque le confinement a été annoncé en mars, ses missions ont commencé à se faire rares et elle a dû trouver un moyen de gagner de l'argent pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses deux filles. Elle a décidé de créer une entreprise de livraison de cannabis et de space cakes : le « National Hashish Service », NHS, en référence au National Health Service, le système de santé publique au Royaume-Uni. Je lui ai posé quelques questions au sujet de son changement d’activité.

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VICE : Tu es graphiste. Comment se fait-il que tu aies commencé à vendre du cannabis ?
Mandy : En mars, quand personne ne savait trop ce que signifiait le confinement, ni si les frontières allaient fermer, j’ai fini par acheter du cannabis de bonne qualité en gros à un ami, en utilisant une bonne partie de mes économies. C’était un peu impulsif, mais j’ai pensé que ce serait un bon investissement, surtout parce que je fume.

Donc, tu étais chez toi avec une énorme réserve de shit…
Oui, après l’avoir acheté, je me suis retrouvé à fumer beaucoup plus que d’habitude. Genre, tous les jours. Je suis une mère célibataire avec deux filles et je faisais l’école à la maison. Je ne pouvais pas faire ça sobre.

« À la fin du mois de mai, je n’avais toujours pas de travail régulier. J’ai donc à nouveau dépensé les bénéfices pour acheter du shit »

Quand as-tu commencé à en vendre ?
J’ai commencé à avoir moins de moins en moins de travail en freelance. J’avais tellement de shit que j’ai décidé de le vendre à bas prix, plutôt que de faire beaucoup de profits. J’aurais pu doubler mon argent. Pour plaisanter, j’ai baptisé ma petite entreprise le « National Hashish Service ». J’allais concevoir un logo et l’imprimer, mais j’étais paranoïaque qu’on remonte jusqu’à moi.

Le National Hashish Service ?
Oui. J’étais en mission : j’envoyais du cannabis à des gens qui en avaient vraiment besoin pendant la période de confinement. Je voulais montrer que gagner de l’argent est moins important que de s’occuper des autres. J’ai envoyé des trucs gratuits à des gens dont je savais qu’ils avaient des difficultés pendant le confinement ou qu’ils avaient perdu leur emploi. J’en ai aussi envoyé à d’anciens collègues juste pour les surprendre ou leur remonter le moral. C’est devenu une sorte de passe-temps. C’était bizarre, le confinement, non ?

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Très bizarre. As-tu trouvé ça facile de vendre du cannabis par la poste ?
Je n’en ai jamais commandé sur le dark web et je ne savais pas comment en envoyer en toute sécurité, alors j’ai improvisé avec du ruban adhésif, des bouts de plastique et de vieilles boîtes de céréales. J’étais défoncée, paranoïaque et en sueur la première fois que je suis allée à la poste pour déposer les colis. Pour la deuxième vague d’envois, je me suis levée tôt et j’ai pédalé jusqu’à des boîtes aux lettres isolées. La ville était tellement morte à l’époque. Tout s’est bien passé. J’ai vendu la moitié de ce que j’avais prévu de vendre, et j’ai donné le reste via le National Hashish Service.

Que s’est-il passé ensuite ?
À ce moment-là, comme beaucoup de gens, mon travail de freelance s’était presque complètement arrêté. Des collègues m’ont dit qu’ils seraient heureux d’en racheter. Et j’avais besoin d’argent. Cet argent m’avait aidé à couvrir les factures et la nourriture. J’en ai donc dépensé une partie pour racheter du cannabis. J’ai gagné un peu plus de 2 000 euros. À la fin du mois de mai, je n’avais toujours pas de travail régulier. J’ai donc à nouveau dépensé les bénéfices pour acheter du shit. Je ne faisais rien d’autre que traîner avec les enfants, regarder Netflix, prendre un bain de soleil, emballer et poster du cannabis.

Comment en es-tu venue à vendre des space cakes ?
Je connais quelqu’un qui fabrique des produits comestibles à base de THC comme des brownies et des bonbons. C'est un homme gentil et il a des
« patients » qui dépendent de lui. Le loyer et les factures s'accumulaient après que j'ai perdu un gros client, alors j'avais besoin d'argent. Je ne pouvais pas obtenir d'aide du gouvernement, ni demander de crédit. J'étais paralysée par l'anxiété. Le fabricant de space cakes m'a fait une promotion incroyable sur une grosse commande, à tel point que j'ai pu continuer à vendre relativement à bas prix à mes clients tout en gagnant bien ma vie.

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« Mes clients sont des gens calmes, des pères de famille »

Combien de clients as-tu ?
J'ai environ 20 à 30 acheteurs réguliers et environ six personnes à qui je donne gratuitement ou vends à bas prix parce qu'elles n'ont pas de travail. Mes acheteurs dépensent environ 100 euros chacun par mois en moyenne. Je fais donc environ 1 500 euros par mois de bénéfices non imposables.

Tu ne craignais pas de te faire arrêter ?
Je craignais plutôt d'être expulsée. Pour être honnête, je n'étais pas totalement novice dans la vente d’herbe. J'en vendais un peu à l'université, un ou deux grammes par mois, puis à nouveau après mon diplôme pour joindre les deux bouts. J'ai eu un peu peur d'être arrêtée par la police, mais seulement la première fois.

Cela t'a-t-il dérangé, en tant que parent, d'enfreindre la loi ?
Il n'y a rien de mal dans ce que je fais. C'est une drogue sûre. C'est un service public. Tu as bu pendant le confinement ? Est-ce que le propriétaire du supermarché a été interrogé sur ses mœurs ? A-t-il été interrogé « en tant que parent » ? Pour être honnête, je m'inquiétais pour les filles si je me faisais prendre, mais j'ai fait très attention. Mes clients sont des gens calmes, des pères de famille. De plus, je n'avais pas le choix. Il fallait que je gagne de l'argent. Les filles ne savent rien, je leur dirai quand elles auront 21 ans.

As-tu repris le graphisme depuis ?
Oui, en quelque sorte. C'est toujours un peu plus compliqué, pas comme avant. Mais je vais continuer à vendre des space cakes. C'est génial, social, rentable et positif. Beaucoup de mes clients me disent que ça les aide à boire moins d'alcool. J'ai eu beaucoup de travail en freelance au cours du mois d'août, alors je traite la vente de cannabis comme une activité secondaire. En tout cas, la pression est retombée.

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