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Culture

« Perles de Clients » compile les pires messages reçus par des escorts belges

Être travailleur·se du sexe, c'est passer beaucoup de temps derrière un bureau. Rachel estime que 60% à 70% de son activité consiste à échanger des mails, filtrer les relous et répondre aux mêmes questions.
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Brussels, BE
JN
illustrations Juliane Noll

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On a souvent tendance à oublier que les travailleur·ses du sexe ne font pas qu’avoir des relations sexuelles. La communication avec les client·es occupe une place importante au quotidien, et il s’avère que fatalement, beaucoup sont des imbéciles. « Perles de Clients » est une page Facebook avec plus de 13.000 followers qui partage les meilleurs et les pires messages reçus par des escorts en Belgique, en France et au Québec. Tout en se voulant drôle et instructive, cette page espère donner envie à ses abonné·es de soutenir les luttes des travailleur·ses du sexe, quotidiennement confronté·es à l’irrespect de certain·es client·es et aux stéréotypes. Rachel et Matéo, escorts à Bruxelles et membres d'UTSOPI, nous racontent leurs perles.

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« Parfois, certains sont dans l'attente et la demande. Je capte vite qu’ils ne veulent pas de rendez-vous et sont certainement en train de se branler derrière leur ordinateur. Des fantasmeurs comme on les appelle dans le métier. C'est une grosse majorité de mes contacts. Je perds beaucoup de temps avec eux. » me raconte Matéo. « Je reçois aussi des demandes alambiquées et pas sérieuses, comme des amputations. Mais bon, ce sont des gens qui se pavanent. Ils ne veulent pas vraiment se faire amputer. Je n’y prête pas beaucoup d’attention. Dès que ça me fait chier, je bloque le numéro et je passe à autre chose. »

« Ils doivent avoir six ou sept numéros différents. Ce sont des gamins. Je les entends rigoler derrière. »

Mais bloquer un numéro ne suffit pas toujours. Matéo pointe d’ailleurs une même bande de « petits rigolos » qui lui téléphone à peine son annonce republiée sur le net. « Ils doivent avoir six ou sept numéros différents. Ce sont des gamins. Je les entends rigoler derrière. »

Quand je rencontre Rachel, elle m’explique avoir des problèmes similaires. « Je reçois tous les jours des messages et je ne comprends même pas ce que la personne essaie de me dire. » Le problème vient de l’utilisation d’un langage SMS qui rend la communication impossible. « Dans la façon de s’adresser à l’autre, je sens un manque de considération et du coup je ne réponds pas. »

Sans surprise, le wannabe client peut alors se montrer très insistant. Entretenir ce type d’échanges est une mauvaise idée parce que la « putophobie » apparaît rapidement. C’est d’ailleurs ce qu’on peut lire sur Perles de Clients, des messages agressifs typiques, du style « De toutes manières tu bouffes que des bites, salope. » Voilà.

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Rachel doit également composer avec des appels de types qui racontent n’importe quoi, posent des questions bizarres et changent de voix. « Je me demande pourquoi les hommes ont tant de temps à perdre et à faire perdre aux autres ? Je ne comprends pas le trip. Chez certaines personnes, ça relève du trouble psychotique ». Elle remarque une frustration profonde chez de nombreux hommes qui la contactent. Si elle ne les plaint pas, elle nuance toutefois : « Des mecs n’assument pas leur masculinité ou la masculinité parfaite qu’on leur demanderait. Le patriarcat est dur pour eux aussi. Je pense que ne pas gérer certains rôles peut rendre un homme très frustré. »

« La haine des femmes n’est pas un mythe. C’est facile de s’attaquer aux putes. Personne ne va dire quoi que ce soit. Ce sont des proies faciles sur internet. »

Même son de cloche dans le domaine de l’escorting masculin : « Je ne vais pas faire leur psychanalyse mais à mon avis certains d’entre eux ont la haine des putes. Ils se baladent sur les sites d’annonces et veulent vraiment faire chier. J’ai déjà reçu des messages d’insultes et de menaces assez violents comme ‘On va te retrouver, etc.’ » m’explique Matéo. « Je pense que les meufs le vivent plus que les mecs parce que la haine des femmes n’est pas un mythe. C’est facile de s’attaquer aux putes. Personne ne va dire quoi que ce soit. Ce sont des proies faciles sur internet. Sur Facebook ou Twitter, on peut porter plainte. Je ne dis pas que ça fonctionne mais un système législatif existe. Moi, porter plainte pour harcèlement ? Je passerais ma vie à le faire et je n’ai vraiment pas le temps d’aller au commissariat chaque semaine. »

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Répondre aux clients n’a donc rien d’une partie de plaisir, mais c’est aussi une tâche qui prend du temps. Rachel estime qu’entre 60% et 70% de son activité est consacré à échanger des mails, répondre aux mêmes questions, tester les gens si elle sent qu’ils sont trop exigeants. Beaucoup d’énergie gaspillée donc. Ces pourcentages, significatifs, sont identiques pour Matéo. Il estime pourtant que ses annonces très pros, carrées et payantes lui évitent beaucoup de contacts indésirables en comparaison à ses débuts. « J’ai quitté la France avant que la loi sur la pénalisation du client ne passe mais j’y suis retourné quelques fois. Les clients sérieux sont moins présents. C’est vraiment pénible. Avant, si tu avais cinq clients sérieux et cinq clients relous, tu pouvais les bloquer. Maintenant tu as un bon client pour neuf relous. En bloquer neuf est impossible. »

Quelles sont les conséquences de cette répétition de tâches aussi chronophages que vides de sens ? Matéo arrive à poser ses limites « mais je sais que c’est beaucoup plus épuisant pour certaines personnes qui passent des heures ou des journées entières derrière leur ordinateur. Ne pas avoir d’argent est stressant. Si en plus tu ne te tapes que des connards… Si quelqu’un t’a fait chier, ça te met la pression de retourner sur un site d’annonces. Et il faut être connecté sans arrêt sinon on ne te contacte pas. Du coup, tu as du mal à te concentrer sur d’autres choses. Tu es constamment en action et dois potentiellement répondre à des messages. »

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Rachel partage aujourd’hui son temps entre un emploi qui lui assure une certaine stabilité financière et ses activités d’escorting. Elle se souvient de cette période où le travail du sexe était sa seule source de revenus : « Après avoir répondu à deux messages, en me connectant au site, je n’en pouvais plus. Celles qui travaillent sur ordinateur via chat et sites de rencontres sont, je pense, très isolées. La plupart des TDS que je rencontre sont contentes dès qu’elles peuvent échanger avec des collègues. Il y a également une peur de la solidarité parce que tout le monde ne connaît pas ses droits. Comme les personnes en situation illégale par exemple. »

Les tentatives de négociations apparaissent très souvent sur « Perles de Clients ». « Des meufs qui sont dans le besoin prennent le temps de marchander par écrit ou par téléphone. Deux de mes colocataires - je vis avec des travailleuses du sexe - acceptent les négociations. Avant je le faisais aussi mais ça me pompait une énergie de ouf. » raconte Rachel. Matéo a un point de vue tranché sur le sujet : « Certains de mes collègues sont très clairement plus précaires que moi. Dès qu’un client veut négocier, c’est simple, je lui rappelle mes tarifs. Ils sont fixes. Le sexe tarifé, ça coûte et il est destiné à une clientèle qui accepte d’y mettre le prix. »

Des questions sur le travail du sexe en Belgique ? Besoin d’aide ou d’écoute ? L'espace P, l'ASLB Alias, UTSOPI et sexworkeurope peuvent répondre à vos questions.

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