Richard Wershe Le Blanc

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Crime

Trafiquant de drogue à 14 ans, ado indic du FBI et prisonnier à vie : l'histoire de « Richard Le Blanc »

Grâce à lui, les plus grands dealeurs et les flics ripoux ont été arrêtés. Pourtant, Richard croupit toujours en taule.

Alors qu'il n'était encore qu'adolescent, Richard Wershe Jr. traînait déjà avec les plus gros trafiquants de crack de Detroit. Au beau milieu des années 1980, Wershe n'était pas encore en âge de voter mais il importait déjà de la cocaïne depuis Miami. Il passait ses week-ends à Vegas, et se baladait dans les rues de la plus grande ville du Michigan à bord d'une Jeep blanche, qui portait une inscription évocatrice sur le hayon arrière : « The Snowman ». Wershe était blanc et jeune — une anomalie à l'époque dans le milieu des trafiquants de Detroit — ce qui lui a valu son surnom devenu légendaire : White Boy Rick (Richard Le Blanc).

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Wershe s'est fait attraper en 1987 — à 17 ans — pour possession de huit kilos de cocaïne avec intention de revendre la marchandise illégale. Près de 20 ans plus tard, il est toujours derrière les barreaux. Il a été condamné en vertu de la loi draconienne surnommée la « 650 Lifer ». Cette loi requiert alors la perpétuité pour tous ceux qui se seraient fait serrer avec plus de 650 grammes de cocaïne. Wershe est aujourd'hui le délinquant mineur non-violent à avoir passé le plus de temps en prison dans l'État du Michigan.

Le 25 janvier dernier, la Cour suprême a décidé que les mineurs condamnés à perpétuité en prison pourraient avoir droit à un réexamen de leur peine. Cette décision fait écho à un précédent avis rendu par la cour en 2012, qui interdisait l'emprisonnement à perpétuité sans remise de peine pour les mineurs. Le mois dernier, la plus haute cour américaine en a profité pour rappeler que son avis rendu en 2012 devait être appliqué rétroactivement — ce que la Pennsylvanie, la Louisiane et le Michigan n'ont pas fait. Ainsi, 1 500 délinquants mineurs restent condamnés à perpétuité dans ces trois États — sans espoir de libération.

Si le Michigan traîne encore à mettre en place cette décision de 2012, d'autres États américains ont décidé de l'appliquer. Par exemple, dans l'État du Washington, un homme condamné à la prison à vie en 1987, pour avoir commis un meurtre à l'âge de 14 ans, a pu être libéré dernièrement. Si d'anciens meurtriers mineurs ont le droit à une seconde chance partout aux États-Unis, une combinaison de facteurs fait que Wershe se trouve toujours derrière les barreaux, pour ces fameux 8 kilos de cocaïne.

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Une carrière qui commence à 14 ans

Pour comprendre l'histoire de Wershe, il faut remonter au milieu des années 1980. À l'âge de 14 ans, Richard est recruté par une unité antidrogue pour jouer les informateurs. Techniquement, les agents avaient engagé son père, Richard Wershe Sr., qui vendait des armes aux trafiquants de drogue du quartier. Mais à l'époque, le jeune Wershe contrôlait déjà une partie du trafic — il avait donc de bien meilleures infos que le paternel. Les agents se sont alors servis de leur relation existante avec Wershe Sr. pour contourner les lois qui régissent les informateurs mineurs.

Gregg Schwarz, un ancien agent du FBI qui a passé 10 ans à Detroit, se rappelle que le jeune Richard passait son temps avec Leo « Big Man » Curry et son frère Johnny « Little man » Curry, qui étaient tous deux à la tête d'un des plus gros trafics de crack de Detroit.

« J'étais juste un gamin quand les agents du FBI m'ont sorti du lycée pour que je travaille pour eux. »

« J'ai rencontré Rick Wershe quand il était en relation avec les frères Curry, » se remémore Schwarz. « Il était toujours poli, malin, et coopératif. »

Wershe était très bon dans son nouveau job. Il avait réussi à infiltrer le business de la drogue avec un professionnalisme digne de James Bond. Depuis la prison de Oaks Correctional Facility où il est enfermé, Wershe s'est entretenu par téléphone avec VICE News. Pendant notre conversation, Wershe nous a décrit son mode de vie de l'époque quand il travaillait pour le FBI tout en trainant avec les plus gros trafiquants de drogue de la ville.

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« J'étais juste un gamin quand les agents du FBI m'ont sorti du lycée pour que je travaille pour eux, » raconte Wershe. « Ils m'avaient donné une fausse carte d'identité sur laquelle j'avais 21 ans, pour que je puisse voyager à Vegas et à Miami pour finaliser des deals. »

Parfois, on en vient à douter de la véracité des histoires extraordinaires qu'il raconte. Mais chacune de ses anecdotes ont réellement eu lieu — les rapports de police et du FBI sont là pour le prouver. Le site The Atavist a publié l'année dernière un long portrait de Wershe pour lequel ils ont eu accès auxdits rapports.

Après avoir aidé le FBI à monter un dossier contre les frères Curry, les « feds » ont lâché Wershe. Plus tard, Richard se fera arrêter par les mêmes policiers pour qui il travaillait quelques mois plus tôt. Si la police avait suffisamment d'éléments pour prouver son implication dans le trafic de cocaïne avant le début de sa collaboration avec le FBI, Wershe estime que c'est son travail d'informateur qui a contribué à sa chute.

« Ce sont les autorités qui m'ont installé dans cette vie, » explique Richard. « On m'a appris à vivre comme ça, puis on m'a abandonné, et un an plus tard je me retrouvais en taule pour la vie. »

L'État du Michigan a abrogé la loi du « 650 Lifer » en 1998 — ce qui a permis à Wershe de voir sa sentence être réévaluée : il est toujours condamné à perpétuité, mais désormais avec la possibilité d'une libération conditionnelle. En septembre dernier, la juge Dana Hathaway du comté de Wayne a essayé de réévaluer à nouveau la peine de Wershe, arguant que « son jeune âge au moment des faits et les circonstances annexes au crime » lui garantissaient une nouvelle réduction de sa peine. Mais la demande d'Hathaway a été bloquée par la procureure du comté de Wayne, Kym Worthly. Ainsi, le destin de Wershe se trouve suspendu à la merci de la commission des libertés conditionnelles du Michigan.

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« On m'a appris à vivre comme ça, puis on m'a abandonné, et un an plus tard je me retrouvais en taule pour la vie. »

En tenant compte des dernières avancées en matière de réexamen de peine pour les mineurs condamnés à la perpétuité, Wershe estime être victime d'une grave injustice.

« Dans le comté de Wayne, il y a toujours quelqu'un quelque part pour leur dire de me garder en prison, » souffle Wershe. « La Cour suprême a dit, dans le cas Graham vs la Floride, qu'un mineur ne pouvait pas être condamné à perpétuité sans avoir une chance significative de libération. Pour le coup, je n'ai pas le droit à cette fameuse chance significative de libération. Cette procureure à Detroit dit qu'elle croit en l'honnêteté et l'intégrité du système judiciaire. Mais elle ne croit même pas notre Cour suprême. Cette femme doit avoir envie de se venger de moi pour un truc que j'ai fait. »

Flics ripoux

Wershe fait référence à son implication dans une opération undercover du FBI qui a commencé en 1990, trois ans avant qu'il soit envoyé en prison. Afin d'éviter la case pénitencier, Wershe a collaboré avec ses anciens « amis » du FBI pour révéler la plus grosse affaire de corruption au sein de la police dans l'histoire de Detroit. Wershe a présenté un agent du FBI sous-couverture — qui jouait le rôle d'un dealeur de cocaïne de Miami — à plusieurs flics ripoux de Detroit, qui ont accepté de protéger de la marchandise illégale qui allait transiter dans l'aéroport de la ville. L'affaire a fait son chemin jusqu'à la mairie, entraînant la chute de plusieurs collaborateurs du maire de l'époque, Coleman Young.

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Wershe suspecte que les efforts déployés actuellement pour le garder en prison sont une manière de lui faire payer son implication dans cette enquête du FBI qui a sali l'honneur de la police de Detroit. La procureure Worthly n'était pas disponible pour répondre aux questions de VICE News.

Jeffrey Ian Ross, criminologue à l'université de Baltimore, estime qu'il est possible que les autorités locales aient une dent contre Wershe à cause de son rôle dans l'enquête anti-corruption. Ross suggère aussi que les agents fédéraux qui se sont servis de Wershe en tant qu'informateur pourraient avoir leurs propres raisons de vouloir le garder incarcéré.

« Il se peut que des individus issus de la classe politique de Detroit et du Michigan, ainsi que des membres du FBI, préfèrent qu'il reste enfermé le plus longtemps possible pour éviter d'avoir à se soucier de lui s'il est libre, » propose Ross.

Schwarz, l'ancien agent du FBI, pense que Wershe devrait être libéré, et que les autorités locales ont tout fait pour éviter que cela arrive. Il n'hésite pas non plus à pointer du doigt le gouverneur du Michigan, Rick Snyder, qui n'a pas bougé pour aider Wershe.

« L'histoire à raconter n'est pas celle de Rick, mais celle de ceux qui sont derrière cette vendetta. »

« Un bon nombre d'officiers, qui admettent aujourd'hui avoir menti pendant dans années et avoir agi pour faire plaisir à leurs supérieurs, déclarent aujourd'hui qu'il devrait être libéré, » pose Schwarz. « L'apathie du procureur général et du gouverneur est le plus grand ennemi de la libération de Wershe. »

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Ceux qui connaissent Wershe estiment qu'il est bien plus mature que le gamin de 17 ans dealer de drogue arrêté en 1987. Son ami de toujours, Dave Majkowski, qui tient la page Facebook « Free Rick Wershe », dit que Wershe a conscience de ses erreurs de jeunesse et qu'il veut juste une deuxième chance.

« White Boy Rick n'existe pas, et toute ressemblance entre Rick et ce personnage de fiction, cette légende urbaine vieille de 30 ans, n'existe plus depuis bien longtemps, » dit Majkowski. « Rick doit être libéré le plus vite possible. L'histoire à raconter n'est pas celle de Rick, mais celle de ceux qui sont derrière cette vendetta. »

Problème, plusieurs éléments viennent attester du fait que Rick n'a pas vraiment changé. En 2005, il a plaidé coupable devant un tribunal de Floride pour avoir participé à un business de revente voitures de luxe volées sur tout le territoire américain. Il a été condamné à 5 ans de prison pour racket — une peine qu'il devra purger en Floride, s'il est un jour libéré de sa prison du Michigan. Wershe insiste sur le fait qu'il n'était pas un des leaders de ce trafic, et qu'il ne pensait pas que les voitures étaient volées.

« Les médias ont juste sorti mon nom dans cette affaire, » dit Wershe. « J'ai juste passé quelques coups de téléphone. Je ne savais pas que les voitures étaient volées. »

Malgré cette affaire de voitures volées, Wershe est soutenu par un certain nombre de personnalités, dont le chanteur de Detroit, Kid Rock, et le réalisateur Shawn Rech, qui a dernièrement réalisé un film pour la chaîne Showtime sur un Chicagoan accusé à tort de meurtre. Rech travaille actuellement sur un document sur la vie de Wershe.

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« Quand vous avez 14 ou 15 ans, vous êtes facilement impressionnable. »

« Le cas de Richard est quasiment celui d'un prisonnier politique aux États-Unis, » dit Rech. « Garder un délinquant mineur non-violent en prison pour la vie, c'est une décision barbare. J'ai hâte d'entendre ceux qui s'opposent à sa libération. La pression de l'opinion publique sera la clé de cette affaire. Avec un peu de chance, quand le public aura une vue d'ensemble sur l'affaire, les gens pourront faire pression sur leurs politiques. »

Si Wershe compte sur le soutien du public — près de 3 000 personnes ont signé une pétition sur change.org appelant le gouverneur du Michigan à intervenir — il continue à se battre pour sa libération devant les tribunaux. Il a fait appel de la décision qui a bloqué le réexamen de sa peine l'année dernière, et a pour projet de mener son dossier au niveau fédéral si les tribunaux du Michigan continuent de rendre des décisions qui vont contre lui.

« Il y a beaucoup de gens qui essayent de me faire sortir de prison, » indique Wershe. « Vous avez ce garçon qui s'est retrouvé dans la drogue un peu à son insu. Quand vous avez 14 ou 15 ans, vous êtes facilement impressionnable. Ouais, j'étais aveuglé par l'argent, mais c'est le FBI qui m'a mis dedans. Ils m'ont donné la crédibilité nécessaire pour faire ce que j'ai fait, et maintenant les gens se disent scandalisés. »

Wershe n'est pas le seul dealeur de cocaïne de Detroit à être tombé dans les années 1980, mais la plupart de ses associés de l'époque ont déjà purgé leur peine et ont été libérés — notamment les types qu'il a permis d'arrêter quand il était indic.

Pour Wershe, le plus exaspérant ce sont surtout les derniers avis rendus par la Cour suprême sur les condamnations pour les mineurs délinquants. Il reste stupéfait de voir des jeunes condamnés pour meurtre sortir de prison, alors qu'il reste bloqué derrière les barreaux pour un crime moins grave.

« Comment un type qui a tué quelqu'un quand il était mineur peut sortir de prison, et pas moi ? » se demande encore Wershe.

En attendant son prochain rendez-vous devant les tribunaux, des amis et sa famille insistent sur le fait qu'il a payé sa dette à la société.

« Cela fait trop longtemps qu'il est là-bas. Il a le droit de récupérer sa vie. Il mérite d'avoir une deuxième chance, » implore sa mère, Darlene. « Je veux seulement qu'il rentre à la maison, mais certains ne le veulent pas — seulement Dieu sait pourquoi. C'était juste un gamin, maintenant c'est un adulte. Trop c'est trop. »

Suivez Seth Ferranti sur Twitter : @SethFerranti