sexe et douleur chronique
Illustration : Cathryn Virgini
Life

Comment la douleur chronique a amélioré ma vie sexuelle

Maintenant, comme mon esprit est plus calme, la soumission me permet de me concentrer intensément sur mon corps et sur ce qui m’excite. La douleur a mis mon plaisir au premier plan. Cela ressemble à une thérapie de guérison.

Tout comme je ne savais rien du sexe queer, je ne connaissais rien aux relations sexuelles des handicapés – ou malades chroniques – jusqu'à ce que ça m’arrive.

La première fois que j'ai couché avec un autre handicapé, c’était un cauchemar. J’avais été écrasé par une voiture trois ans plus tôt avant d'apprendre après l’opération que je devais non seulement réapprendre à marcher, mais que je souffrirais toute ma vie. On faisait des road-trip aux États-Unis pendant des semaines et je souffrais, j’étais épuisée et morte de froid. Mon amante m'a allongée à côté de notre petite cheminée et m'a demandé si je voulais coucher avec elle. Elle avait de larges épaules et la tête rasée. « Oui », ai-je répondu.

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Pendant l’acte, je lui ai demandé de me frapper. Elle a pris des pierres chaudes dans le feu et m’a brûlée. Elle m’a tiré les cheveux et collé le visage par terre. Elle a joué de ses mains à l'intérieur de moi comme avec un puzzle. Je l’ai suppliée d’y aller plus fort et plus brutalement et elle a obtempéré. Tout cela venait après nos conversations profondes sur nos limites, désirs et paroles rassurantes. Le souffle haletant, faisant de la vapeur dans l’air froid, j’ai décidé de recevoir la douleur. C’était mon choix, et il a été comme une révélation : l’appel de la douleur transformé en plaisir me procurait aussi un sentiment d’autonomie.

« Mon intense douleur chronique me guide vers une sexualité plus queer, sadomasochiste et plus intime »

Quand j’ai tapé sur Google « douleur chronique » ce matin, j’ai trouvé des informations sur the Mayo Clinic : « en général, [quand] la douleur chronique envahit votre vie, les plaisirs sexuels disparaissent. » Le site ajoutait que l’on pouvait retrouver une sexualité malgré la douleur chronique. C’est le genre de discours sur la douleur chronique qu’on retrouve dans les informations classiques : c’est quelque chose à conquérir et à combattre.

Mais si je me connectais mieux à mon corps grâce à la douleur ? Malgré ce que dit Mayo Clinic, et malgré l’habituelle désexualisation des personnes handicapées, la douleur n’a pas fait disparaître mon plaisir, ni envahi ma vie. Je ne surmonte ni ne contrôle ma douleur dans l’espoir de « raviver » mon plaisir sexuel ou la connexion à mon corps. Mon intense douleur chronique me guide vers une sexualité plus queer, sadomasochiste et plus intime, donc je l’accueille volontiers.

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Je n’ai pas toujours été « une cuillère », selon la terminologie inventée par Christine Mierandino. J’étais en forme physiquement jusqu’à mes 21 ans. Je suis passé d'une vie d’athlète à celle d'une handicapée ayant lâché les études, vivant chez ses parents, ne pouvant ni marcher ni aller aux toilettes toute seule. J’avais honte et j’étais déprimée. Je sortais à peine de ma chambre, et je ne disais presque rien. Je dormais et me réveillais dans le noir. J’ai regardé les 22 saisons de Law and Order : SVU en six semaines. Je n’en ai pas retenu grand-chose, à part mon béguin pour Olivia Benson et l’intense douleur et chagrin qui déchiraient mon corps.

Puis, un ami m’a prêté Brilliant Imperfection d'Eli Clare et j'ai enfin arrêté de regarder Law and Order. Clare est poète, spécialiste du handicap et écrit des mémoires trans. Dans Brilliant Imperfection, Clare plonge dans la médicalisation du handicap et l’obsession de notre société pour la guérison. Cela concerne le changement de sexe, la sexualité des handicapés et des personnes aptes et les rapports sexuels queer. Il écrit : « Que se passerait-il si l’on acceptait, revendiquait, accueillait notre rupture ? » Ce n’est pas un guide pratique pour surmonter le chagrin et les blessures. C’est la permission d’être ce que l’accident a fait de moi : une lesbienne handicapée. C’est la permission d’enrager contre la honte capacitiste et homophobe que j’avais intériorisée. Clare était la seule personne à m’avoir dit que ma valeur ne dépendait pas de mon habilité à aller mieux ou à faire disparaître ma douleur. J’ai pleuré en parcourant son livre d’un bout à l’autre.

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Des mois plus tard, j'ai réappris à marcher. Puis, un mois après, j'avais rencontré ma petite amie. Lors de notre premier rendez-vous, je boitais et elle a ralenti son rythme sans un mot. On a couché ensemble cette nuit-là, et comme à chaque fois pendant la première année de notre relation, j'ai eu des crises de larmes pendant et après. « Tu es en sécurité, m'a-t-elle dit. Je ne vais nulle part. » Dans les bras de ma copine, j’ai réalisé que l’homosexualité m’avait préparé à la maladie. C’est exactement ce que mes amants et mes mentors m’ont dit pendant mon coming out très mouvementé. Alors que d’autres amis m’ont laissé tomber quand j’ai révélé mon homosexualité et que je suis devenue handicapée, une légion de lesbiennes et de femmes queer se sont ralliées à moi quand je me sentais le plus faible, adaptant leur rythme pour marcher à mes côtés.

En pleine convalescence, j'ai été envahie par le sentiment du droit au plaisir de mon corps, à travers un sexe jouissif, qui, pour moi, requiert à présent de la créativité, de la sauvagerie, en renversant et appréciant les attitudes sexuelles sordides et marginalisées que mon homosexualité et ma douleur chronique m’ont apprises. La douleur est mon échappatoire des conventions, la porte vers le sexe le plus queer, excitant et intense que je puisse avoir.

Contrairement à beaucoup d’autres pour qui la douleur n’est pas un élément déclencheur, pour moi il y aura toujours un « avant » et un « après » dans ma vie sexuelle. Quand je compare ma vie avant et après mon accident, j’apprécie la manière dont la douleur chronique approfondit et élargit le sexe que je partage avec d’autres. Pendant l’amour, j’étais souvent angoissée par la performance : Qu’est-ce qu’il/elle ressent ? Est-ce que je le fais bien ? Le plaisir venait du soulagement que c’était fini, ou que mon partenaire était satisfait, pas de l’acte en lui-même.

À cause de la douleur chronique, ma sensibilité est exacerbée – physique, émotionnelle et autre – à travers toutes les parcelles de mon corps. La douleur chronique apaise mon esprit, m’offrant plus d’opportunités physiques et sensuelles. Cela ressemble à de la soumission. C’est comme être une « princesse d’oreiller », autrement dit, la partenaire passive. Avec des caprices d’enfant gâtée et, de temps en temps, une absolue soumission à mes partenaires. Avant, je pensais que la soumission me rendrait trop vulnérable. Je pensais que demander certaines choses était égoïste et que mes fantasmes sadomasochistes étaient gênants. Maintenant, comme mon esprit est plus calme, la soumission me permet de me concentrer intensément sur mon corps et sur ce qui m’excite. La douleur a mis mon plaisir au premier plan. Cela ressemble à une thérapie de guérison.

Pour moi, le sexe idéal est toujours ce cri fuck you aux forces qui contiennent et mettent en marge les handicapés homosexuels. La douleur chronique n’a jamais signé l’arrêt de mort de ma sensualité, mais au contraire elle a permis son expansion dans des modes plus queer, plus bizarres et plus compliqués. Ma tolérance à la douleur se trouvant élargie malgré moi, j’ai eu une profonde gratitude pour la capacité de mon corps à ressentir. Sans la douleur chronique, j’aurais pu ne jamais être abreuvée de cette nouvelle source.

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