Culture

Vous ne voudriez pas arrêter un peu avec Timothée Chalamet ?

Alors que sort aujourd’hui le nouveau Woody Allen, il est peut-être enfin temps de se poser la question : Timothée Chalamet est-il un acteur ou un chaton ?
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
Timothée Chalamet acteur
Image par Amazon Studios 

La vie du journaliste culturel est régulièrement semée d’embûches. Il faut parfois savoir faire preuve de concession, ne pas dégainer systématiquement son petit avis personnel, lequel sera souvent purement affectif, peu étayé et expéditif. Se faire violence, à défaut de faire violence. Par exemple, il est judicieux de se retenir de massacrer à coup de machette cette adorable petite gueule d’ange qui squatte écrans de télés, cinémas, tablettes et autres smartphones depuis maintenant une paire d’années – soit depuis la sortie de Call Me By Your Name en 2017, film de chevet des jeunes filles en fleurs et de leurs mamans. Ce n’est même pas tant en elle-même la figure de Timothée Chalamet, petite bouille d’amour et timidité en bandoulière (donc suspecte), qui soit devenue spectaculairement casse-couilles, mais plutôt l’hystérie qui l’entoure, et le traitement à la fois infantile et régressif qu’on lui réserve. Qui ça ? Internet, comme (presque) toujours dans ce genre de situation.

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Timothée Chatoyé

Grâce aux réseaux sociaux, aux commentaires Youtube, mais surtout désormais à une certaine presse en ligne qui s’extasie sur le moindre de ses faits et gestes (on s’inclut dedans), il n’est pas impossible que Timothée Chalamet ne soit déjà plus un acteur à l’heure actuelle. Plutôt une sorte de chaton mignon qui n’existerait que dans l’esprit malade des groupies à cheveux gras nostalgiques de tumblr, et qu’il faudrait, pour une raison qui échappe au sens commun, en permanence choyer, cajoler, dorloter, sous peine qu’il ne crève instantanément sous nos yeux ou que l’univers ne se mette à imploser. Et à force de le couvrir de baisers, on se dit qu’il finira bien par briser ses chaines : la possessivité, l’amour vache, tout ça n’a jamais véritablement fonctionné, aussi bien en amour, en amitié qu’en famille, et je ne vois pas vraiment pourquoi l’attention qu’on porte aux célébrités serait une exception.

Car on peut légitimement parler de relation abusive en ce qui concerne Timothée Chalamet et ses fans. Ou en tout cas d’un trop-plein de bons sentiments, ce qui n’est jamais bon signe. Il n’y a qu’à regarder un peu l’internet des derniers mois pour se rendre compte de l’hystérie collective mâtinée de débilité digne des heures les plus sombres de l’époque skyblog le concernant. La bande-annonce de The King de David Michôd, libre adaptation sanglante de plusieurs pièces de Shakespeare, est dévoilée ? « Vous ne trouvez pas qu’il ressemble à un fuckboy d’East London ? » La première photo de Little Women, nouvelle relecture des Quatre Filles du Docteur March par Greta Gerwig, fuite ? Encore une fois, on ne parle que de sa coupe de cheveux : « Chalamet ressemble à tous ces mecs qui ont un jour cité Rimbaud en soirée », « Rien que pour les cheveux de Timothée Chalamet, je vais me mettre à lire de la littérature du 19 e siècle ». Et c’est comme ça indéfiniment, pour tout et n’importe quoi. Dernier en date, le baiser-aspirateur échangé avec Lily-Rose Depp, qui serait le meme de l’année selon Paris Match, et sur lequel tout le monde y va de son petit avis. Juste pour être bien sûr : qui s’en branle ?

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La jurisprudence DiCaprio

Alors d’accord, il n’y a absolument rien de nouveau en apparence dans ce traitement, ni dans ce que cela dit de la décrépitude de la culture de la célébrité aujourd’hui. On a d’ailleurs régulièrement comparé la trajectoire fulgurante de Timothée Chalamet ces dernières années à celle de Leonardo DiCaprio au même âge, soit il y a déjà plus de vingt ans. Et il faut dire que le jeune acteur franco-américain, à 23 ans (soit à peu près le même âge que DiCaprio au moment de Titanic), a déjà une filmographie plutôt honnête. Comme son grand frère putatif, il a pour lui les attributs physiques de la réussite (un menton ciselé), et tout ce qu’il faut pour lui causer du tort quand on est une jeune star d’Hollywood – un menton ciselé. Et s’il est peut-être trop tôt pour parler de l’empreinte qu’il marquera sur le nouveau cinéma hollywoodien, il est indéniable qu’il se démenait comme un chef dans Call Me By Your Name, ou même dans une panouille aussi oubliable et inoffensive que Lady Bird de Greta Gerwig. À l’image de DiCaprio, on y voyait déjà à l’œuvre un phrasé, une présence physique, bref, une aura comme on disait dans les années 50.

Ce n’est pour autant pas lui rendre service que de le traiter comme un doudou sexué - regardez Jennifer Lawrence, pré-mamounette ultra creepy qui se propose, bave aux lèvres et concupiscence dans le regard, de le « graisser comme une truie prête à l’abattoir ». Souvenons-nous d’ailleurs que DiCaprio a bien failli par finir complètement taré à l’époque où toutes les jouvencelles de la planète voulaient s’arracher ses mèches blondes et son regard-azur, avant d’être repêché par Martin Scorsese. Une époque où les sensibilités un peu trop fragiles pouvaient totalement vriller sous le poids du regard public, quand elles ne finissaient pas par mourir complètement lessivées et droguées – ça va souvent ensemble.

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Seulement, Chalamet semble être d’une autre trempe que ses prédécesseurs. Déjà, tout simplement parce qu’il est d’une autre époque. Et c’est là que le phénomène est assez nouveau. À l’heure des screen tests et des algorithmes-rois, de l’immaturité toujours plus grandissante d’un public areuh-areuh et de ses idoles-hochets, on en vient à signer des pétitions parce que la dernière saison de Game Of Thrones n’est pas à notre goût, ou à faire danser La Carioca à Alain Chabat et Gérard Darmon à Cannes - juste pour céder aux caprices de spectateurs visiblement revenus au stade anal, et parce qu’apparemment désormais, le président c’est bébé. Et si on veut que Chalamet soit un chaton, alors ce sera un chaton. Dans A Rainy Day in New York, le nouveau Woody Allen, certains s’offusquent du fait que son personnage porte des vêtements en tweed, s’appelle « Gatsby » et n’ait que des références culturelles surannées – soit littéralement comme tous les personnages de Woody Allen depuis trente ans, mais passons.

Mélange étonnant de singe savant et de machine de guerre, lui semble pour l’instant disposé à tout faire, à tout jouer – un éphèbe énamouré, un drogué, un intello porté sur le poker. Dans le Woody Allen, contrairement à pas mal d’acteurs qui se sont glissés avant lui dans la peau de l’alter ego du cinéaste new-yorkais, il ne prend pas les tics de ce personnage éternellement awkward, bredouillant et névrosé. Il reste Timothée Chalamet, fait ce qu’il sait faire, ce qui est plutôt bon signe, et montre que pour l’instant, il ne semble pas prêt à se faire vampiriser. Une gageure quand tout le monde vous écrabouille les couilles en permanence.

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