Société

Les pratiques atroces des passeurs qui se livrent au trafic de migrants

Suite à la découverte de 39 cadavres de Vietnamiens à l’arrière d’un camion, nous avons interrogé des conducteurs de camion sur les pratiques actuelles des trafiquants.
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Migrants découverts par un conducteur poids-lourd à Calais. Photo : Bart Pro / Alamy Stock Photo


Le 23 octobre, 39 cadavres de migrants vietnamiens congelés ont été retrouvés à l’arrière d’un camion dans l’Essex, au Royaume-Uni. La police n’a pas encore élucidé comment ils se sont retrouvés dans la remorque réfrigérée mais les gangs de trafiquants ont sans aucun doute joué un rôle à un moment donné de l’affaire. Ces gangs s’attaquent de plus en plus souvent aux conducteurs poids lourds en Europe. Ils y vont au couteau, provoquent coups et blessures et utilisent même des gaz.

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L’année dernière à Noël, les manifestations des Gilets Jaunes en France ont attiré l’attention sur les coûts toujours plus élevés de l’essence. Les manifestations, en bloquant les ports et les routes principales pour l’Angleterre, ont créé sans le vouloir un écran de fumée pour d’autre groupes de personnes prêtes à tout pour changer leur destin.

Les poids lourds ont été immobilisé près de Dunkerque, étape sur l’itinéraire des poids lourds de l’Essex qui démarrent dans la ville portuaire de Zeebruges en Belgique. Des migrants, prêts à tout pour se rendre au Royaume-Uni y ont vu leur chance. En plein jour, traversant deux voies d’autoroute, ils se sont séparés en deux groupes. Le premier groupe faisait diversion pour les chauffeurs, et le deuxième essayait de monter à l’arrière des camions en marche.

« Au cours des cinq dernières années, il y a eu des cas d’attaques de routiers à la batte de baseball et au couteau, et des conductrices menacées de viol »

Cette tactique, c'est quasiment la mort assurée. Cela n’est qu’un exemple des risques que certains prennent dans l’espoir d’améliorer leurs vies et celles de leurs familles, comme les 39 personnes qui ont tragiquement trouvé la mort dans l’Essex le mois dernier. Certains chauffeurs routiers sont activement complices du trafic d’êtres humains, mais beaucoup d’entre eux se retrouvent malgré-eux dans la violence qui les entoure.

Richard Burnett, directeur général de Road Haulage Association, l'industrie du transport routier, confie qu’au cours des cinq dernières années, il y a eu des cas d’attaques de routiers à la batte de baseball et au couteau, et des conductrices menacées de viol. Même sur des routes européennes très fréquentées, les gangs n’hésitent pas à mettre des arbres sur la route, à embraser des barils de pétrole ou lancer des choses sur les pare-brises des camions pour que les conducteurs s’arrêtent et qu’ils puissent les forcer à les faire entrer à l’intérieur. Certains chauffeurs se sont fait gazer dans leurs cabines pendant leur sommeil.

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« Quand les chauffeurs s’arrêtent à une station pour poids lourds, ils laissent parfois la fenêtre ou la porte ouverte pour aérer un peu pendant leur sieste », dit Richard Burnett. « Les trafiquants les aspergent de gaz pour les neutraliser - leur poids lourd peut ensuite être rempli de migrants sans qu’ils n’en sachent rien. Ils peuvent se réveiller avec une nausée qu’ils ne peuvent pas expliquer, mais continuer leur journée comme d’habitude. »

John Jones, routier de 48 ans, originaire de Banbury en Angleterre, a monté sa propre entreprise, Protek-dor, après s’être fait gazer deux fois - une fois en Belgique et une fois en France - pour vendre des outils de sécurité améliorée pour les cabines de poids lourds. Il a témoigné : « Cette pratique est répandue en Europe. Je me suis fait gazer deux fois et on m’a volé le contenu de ma cabine. »

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Photo: Phil Wills / Alamy Stock Photo

Près de Dunkerque, un camp de migrant improvisé s’est formé a révélé le chauffeur Barry Woods, 57 ans : « Partout où ils ont la possibilité de rencontrer des chauffeurs ou des poids lourds, de larges groupes de migrants se rassemblent dans l’espoir de trouver leur chance. Ils sont vraiment tapis dans les buissons, aux stations des camions, à chaque parking de supermarché, sur les bandes d’arrêt d’urgence et les terre-pleins. » Et il y a beaucoup de chauffeurs qui se félicitent de les aider en échange d’argent.

« Des voitures avec des plaques anglaises vont se garer juste à côté et vous demander si vous voulez gagner un peu plus d’argent - ce sont des Anglais et des Irlandais »

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À côté du lac de Dunkerque, des voitures avec des plaques anglaises et irlandaises s’arrêtent pour faire des affaires. C’est pareil à la station service de Veurne, juste après la frontière belge, nouvelle zone sensible loin de l’hyper-policé port de Calais.

« Des voitures avec des plaques anglaises vont se garer juste à côté et vous demander si vous voulez gagner un peu plus d’argent - ce sont des Anglais et des Irlandais », a confié un routier à VICE. « Ils veulent faire de vous un passeur de migrants, trafiquant de cigarettes ou de drogues, mais je ne le ferai jamais. Vous ne pouvez jamais le faire juste une fois et arrêter, et s’ils ont votre numéro d’enregistrement, ils peuvent à peu près tout savoir sur vous. »

Sherralin Ballard, 55 ans, a passé 34 ans de sa vie comme chauffeur de poids lourds. Elle est auto-entrepreneure, propriétaire et conductrice d’un camion de 40 tonnes. Des trafiquants essaient de l’intimider pour qu’elle fasse passeur de frontières pour des migrants. On lui a proposé plus de 2300 euros par tête à Bilbao récemment - mais elle a toujours refusé ces pots-de-vin et évite les zones sensibles comme le port de Calais.

Elle a été vraiment stupéfaite quand les autorités portuaires ont ouvert son camion en France et découvert dix Irakiens, dix hommes et une femme, assis à l’arrière de son camion. « On doit ouvrir toutes les remorques, donc j’ai fait le tour pour montrer aux gardes, et là, tous ces migrants étaient là », a dit Sherralin. « Le sceau était toujours en place et il y avait des cadenas partout. C’est impossible de rentrer dedans. La seule chose que j’avais en tête c’était, ‘mais comment ont-ils pu rentrer’? »

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Sherralin se souvient d’avoir fait une sieste au Mans : « J’avais fait dix heures de route et il y avait une sorte de tempête, il n’y avait personne aux alentours », a-t-elle déclaré, mais quand elle s’est réveillée, elle a vérifié l’arrière du camion et il était toujours fermé et verrouillé.

Après analyse des carnets de voyage de Sherralin, la police en a conclu que les trafiquants avaient un passe-partout pour ouvrir les verrous de remorque arrière de camions, qui sont produits à la chaîne et donc identiques : « la police croit que pour toutes les compagnies, il y a environ 15 types de serrures pour beaucoup de cadenas. Les trafiquants plein aux as n'hésitent pas à prendre des mesures extrêmes pour rentrer à l’intérieur de votre camion. »

La rencontre explosive entre les migrants, désespérés d’échapper à la guerre et à la discrimination de leurs pays d’origine, et les routiers, qui protègent leurs moyens de subsistance, montre le peu d’amour qui reste entre eux.

« Les moniteurs de fréquence cardiaque, les détecteurs de CO2 et les chiens renifleurs dans les grands ports comme Calais révèlent tout de suite une présence humaine, mais les réfrigérateurs sont rarement vérifiés parce qu’on ne peut pas y survivre »

« Vous voyez les visages de ceux qui sont morts dans l’Essex et c’est triste mais les migrants que vous voyez sur les routes sont violents, agressifs et ont des armes », dit Sherralin, d’expérience. « Ceux dans mon camion étaient mauvais et agressifs, et ils avaient des couteaux. Quand ils sont sortis de mon camion ils se sont jetés sur moi, ils ont lancé des malédictions sur ma famille, ils ont dit que j’étais une ordure et que je méritais de mourir. J’ai pensé ‘quel droit avez-vous de détruire ma vie? »

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De retour au Royaume-Uni, plusieurs enquêtes sur des poids lourds sont en cours : le chauffeur, Maurice Robinson, a comparu en justice la semaine dernière, chargés de plusieurs accusations, dont trafic d’êtres humains et 39 assassinats, alors que la police du Vietnam a arrêté huit personnes en relation à l’affaire.

Ces 39 pauvres âmes qui ont été congelées à mort à l’arrière d’une remorque réfrigérée faisaient une course contre la montre, même si le réfrigérateur était éteint, explique Richard Burnett : « pour garder la remorque à la même température, ces réfrigérateurs sont fermés hermétiquement. L’horrible réalité est qu’il y a très peu d’oxygène là-dedans, surtout pour autant de personnes. »

Le cas des remorques réfrigérées montre une nouvelle carte aux mains de l’industrie du trafic d’être humains. Les moniteurs de fréquence cardiaque, les détecteurs de CO2 et les chiens renifleurs dans les grands ports comme Calais révèlent tout de suite une présence humaine, mais les réfrigérateurs sont rarement vérifiés parce qu’on ne peut pas y survivre.

« C’est peut-être pour cela que les gangs de trafiquants ont commencé à utiliser des congélateurs pour faire passer des marchandises en fraude, a déclaré Richard Burnett. « Cela montre également le peu d'égards qu'ils ont pour la vie. »

Cet article est originellement paru sur VICE UK.

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