Toutes les raisons pour lesquelles je me suis fait réduire les seins
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Toutes les raisons pour lesquelles je me suis fait réduire les seins

Après avoir passé 10 ans avec un 85 E, j'ai décidé de m'en débarrasser. Définitivement.

« Oh putain regarde comme elle est chargée ! », s'exclame un mec tandis que j'attends tranquillement de traverser au passage piéton. On est en plein mois d'août, la chaleur bat son plein et je suis une jeune femme ayant eu la mauvaise idée de porter un débardeur. Devant mon silence, il me relance. « Salope ! » Tout ça parce que je dévoile de manière ostentatoire mes gros seins en pleine rue.

À dire vrai, cette scène se répétait inlassablement, tous les étés, ou dès qu'il faisait beau dehors. C'est pourquoi, après dix années à souffrir à cause de mon 85 E, j'ai décidé de passer sur le billard, et de me faire retirer la moitié de ce cadeau (empoisonné) que la nature m'avait donné.

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La réduction mammaire (qui consiste à retirer de la glande) est une opération bien moins pratiquée que la célèbre augmentation mammaire (qui consiste à ajouter un implant en silicone à l'intérieur du sein). Pour la seule année 2015, 1 300 000 femmes de par le monde se sont ainsi fait ajouter des prothèses mammaires, d'après la Société internationale de chirurgie esthétique (ISAPS). Il s'agit toujours de la forme de chirurgie esthétique la plus pratiquée.

Moins connue, la réduction mammaire a tout de même concerné 19 000 femmes en France l'an dernier. Soit environ 7 femmes en âge d'avoir des seins sur 100, toujours d'après l'ISAPS. La France est par ailleurs le troisième pays au monde à inciser du mamelon, derrière les États-Unis et le Brésil, qui en a réduit plus de 72 000 l'an dernier. En 2015, sur un total de 9,6 millions d'opérations de chirurgie esthétique, 430 000 paires de seins dans le monde se voyaient réduites.

Jusqu'à l'âge de 16 ans, j'étais plate comme une planche à pain. À cause d'un retard hormonal, je n'avais même pas encore besoin de porter de soutien-gorge, faisait la course avec les garçons, qui se moquaient même de mes seins inexistants. Mais je m'en fichais. J'aimais bien les petits seins, « comme les mannequins » je me disais. Puis ça a commencé à prendre, à une vitesse phénoménale. Ça me faisait très mal. En six mois j'ai pris trois bonnets. Et l'enfer a commencé. Pourtant je devais m'en douter : dans la famille, on a des gros seins de mère en fille. Comme la couleur des yeux ou des cheveux, les nichons sont héréditaires. Mais dans la famille ça n'a jamais été une fierté, pas comme chez les Kadarshian.

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Car avoir les seins de Kim Kardashian, quand on n'est pas Kim, c'est-à-dire qu'on n'est pas une star et qu'on n'est pas mariée à Kanye West, peut s'avérer être moins marrant qu'il n'y paraît. En 2010 déjà, la star racontait qu'elle complexait énormément sur ses seins lorsqu'elle était adolescente. « Je me souviens que je pleurais dans la baignoire. Une fois j'ai pris un gant de toilette, ai versé de l'eau brûlante dessus […] et j'ai prié », avait-elle confié au magazine américain Shape.

Il faut dire qu'avoir des seins proportionnés pèse lourd. À savoir en moyenne 1,5 kg la paire pour un bonnet comme le mien, D ou E. En termes de poids, c'est comme si vous aviez un melon de chaque côté de votre buste. Promenez-vous toute une journée avec deux melons dans le soutien-gorge vous verrez que votre dos n'appréciera pas vraiment. C'est pourquoi la Sécurité sociale rembourse votre opération lorsque vous retirez, au minimum, 300 grammes par sein.

Mais même si nos seins pèsent lourd, il y a toujours eu plus lourds qu'eux : les autres. Garçons ou filles, nombre de personnes trouvent tout à fait normal de vous reluquer sans la moindre discrétion. Surtout vos proches. Une fois en soirée, je refaisais le monde avec une copine quand soudain, un pote s'est glissé derrière moi et a foutu « pour rire » ses deux grosses paluches sur mes nichons, qu'il croyait appartenir au domaine public. Ce qui m'a coûté 8,50 euros, c'est-à-dire mon rhum-coca, et lui 39,90 euros, sa chemise neuve.

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« Le pire, c'était au lycée », me raconte Manon, 26 ans, qui a changé en octobre dernier son 95 F pour un petit C. « Quand ils sont ados, les garçons sont hyper lourds. » En effet, moi-même à l'âge de 17 ans, on me surnommait sobrement « gros nichons », et certaines âmes en peine s'amusaient à me dégrafer mon soutien-gorge pendant la récré, puis de se le passer comme un ballon. Dans le pire des cas, il arrivait qu'on me les touche sans me demander la permission, comme s'il s'agissait d'un article en présentation. C'est une sensation atroce.

Et le pire, c'est que personne ne trouvait ça scandaleux. Ce que je ne savais pas nommer à cette époque constitue pourtant bel et bien une agression sexuelle, du même ordre que la récente affaire « Touche pas à Mon Poste », où le chroniqueur Jean-Michel Maire avait embrassé sans son consentement les seins de Soraya Riffy, invitée sur le plateau.

Stéphanie, opérée il y a six mois, me raconte qu'avant son intervention, elle avait fini par être dégoûtée de son propre corps. « Pendant mon adolescence, j'ai été victime d'agressions sexuelles, dit-elle. De fait, je ne tolère plus qu'un homme pose le regard sur moi. Je ne veux pas plaire aux hommes parce qu'ils ne me plaisent pas de toute façon. » Manon elle, est en passe de se faire opérer, après cinq ans d'hésitations. Elle est du même avis que Stéphanie. « C'est fatigant, usant à la fin. Tout vous devient insupportable. »

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En 2015, à l'occasion de la Semaine internationale contre le harcèlement de rue, le Conseil à l'égalité hommes-femmes a rapporté que 100 % des utilisatrices de transports en commun en France avaient déjà été victimes de harcèlement oral à vocation sexiste.

« J'entends souvent derrière mon dos que j'ai "une sacrée paire", et je les entends détailler tout ce qu'ils pourraient "faire avec" », témoigne Manon. Stéphanie renchérit : « Il y en a qui n'hésitent pas à mimer une branlette espagnole en pleine rue lorsqu'ils me croisent », confie-t-elle, elle qui a conservé un 90 D à la suite de son opération (elle faisait auparavant du F).

Il est vrai que, lorsqu'il couche avec toi, certains mecs ne pensent plus qu'à un truc : tes nichons. Par conséquent, il a tendance à oublier le reste de ton corps, à savoir ta bouche, ton cou et accessoirement, ton clitoris. C'est peut-être pour cela que j'ai toujours eu pour habitude de refuser la branlette espagnole. Par vengeance – ou par dégoût, peut-être. Je ne suis pas prude. C'est simplement qu'avoir un grand gamin qui vous suce les tétons pendant une heure vous donne l'impression d'être au mieux sa mère, au pire, une vache à lait.

Il existe aussi ceux qui, du fait de l'imposante paire de seins qu'ils ont sous les yeux, les ignorent. Pour eux, tu n'as pas de sein. Pourtant il est difficile de ne pas les voir, surtout nue à deux millimètres l'un de l'autre, ce qui est très gênant (et frustrant). Si j'étais Freud, je supposerais que le mec a un gros souci avec sa mère et préfère ne pas voir ces deux gros seins qui lui rappellent son plus jeune âge. Mais je ne suis pas Freud. C'est pourquoi je me dis que c'est peut-être un mec bien, un mec discret, qui finira – peut-être – par les apprivoiser.

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Au boulot en revanche, c'est encore une autre histoire. Manon raconte qu'un jour, en arrivant sur son lieu de travail, son chemisier a craqué. Là, ledit craquement a dévoilé son bonnet F à tout le service, et surtout « au mec lourd qui la reluquait depuis plusieurs mois ». Déjà que les femmes ont l'impression de ne pas être prise au sérieux au travail – selon une étude du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, 80 % des femmes auraient déjà été confrontées à des remarques sexistes au sein de leur entreprise – ,avoir un physique avantageux rend les choses encore plus difficiles.

« Au fil du temps, j'ai fini par m'habiller en moche », me confie Léonie, 35 ans, qui travaille pour un grand groupe privé. Pulls amples et tee-shirts larges, la jeune cadre a fini par bannir le chemisier, « qui te fait ressembler à une bimbo », jusqu'à son opération. « Un jour un collègue m'a dit qu'il avait dû se battre plus que moi pour en arriver là, car lui, il n'avait pas des gros seins », raconte-t-elle.

Il arrive aussi que le problème vienne de l'entourage. Celui-ci ne comprend pas toujours en quoi le fait d'avoir de gros seins peut vous gâcher la vie.

Par exemple, Manon raconte que ses copines lui ont dit qu'elle s'apprêtait à faire une bêtise lorsqu'elle leur a annoncé qu'elle pensait à la réduction mammaire. « Elles m'ont dit qu'avoir une grosse poitrine c'était bien, à la fois pour plaire à son mec et pour allaiter », dit-elle. Ce qui présuppose que tous les mecs adorent les gros seins et que toutes les femmes souhaitent allaiter. Ce qui est faux. Primo, la réduction mammaire n'empêche absolument pas l'allaitement si l'opération se déroule convenablement. Secundo, penser que tous les mecs adorent les gros seins est un argument non recevable. Et pour cause : d'après une étude réalisée par l'université de Westminster en février dernier, plus un mec est sexiste, plus celui-ci apprécie les gros seins.

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Un chercheur a même récemment expliqué au Huffington Post que les hommes « au sexisme bienveillant » trouvaient presque toujours les plus grosses poitrines attirantes, notamment « parce qu'ils les associent à la façon dont ils perçoivent la féminité. »

Celles qui décident de se faire opérer ont, comme moi, souvent de bonnes raisons. Lorsqu'on les interroge à propos de leur opération, elles sont quasi unanimes. « Ça a changé ma vie », confie Johanna. « Je peux à nouveau me mettre en maillot de bain et me déshabiller devant mon partenaire sans être mal à l'aise. » Seule Stéphanie semble déçue. Elle avait demandé un petit B à son chirurgien, mais pour des raisons qu'elle n'explique pas, ce dernier lui a fait un D. « Je suis encore complexée. Il a privilégié les critères de beautés actuels plutôt que mon mal-être et ma demande. Je dois attendre un à deux ans pour repasser sur le billard… »

De mon côté, j'ai longtemps réfléchi avant de prendre ma décision. Ça m'a pris des années. Se faire découper la partie la plus sensible de son corps est une chose qui angoisse – d'autant plus que j'ai peur des hôpitaux. Trois heures d'opération sous anesthésie générale, avec un risque de nécrose du téton – celui-ci peut brûler, en effet – ou de se retrouver avec un sein plus gros que l'autre. Puis il y avait les gens qui me disaient : « tu es trop bien foutue », « je rêve d'avoir un corps comme ça », ou des trucs de type « on dirait une actrice porno ». Mais non, pas cette fois.

Aujourd'hui, je suis certaine que me faire déchiqueter les seins est l'une des meilleures décisions que j'ai prises dans ma vie. Je me fais opérer le 18 janvier, 3 jours avant mon 26e anniversaire. Il est désormais presque certain que je n'aurai plus jamais de gros seins. Mais déjà, je ne regrette rien.

@ElvireDarcole