En finir avec la primauté des liens du sang
« La couleur de peau est une empreinte biologique mais elle pose problème à partir du moment où l’on croit que les liens du sang garantissent les liens familiaux. » - Marie-Cécile Remy, psychologue et psychothérapeute.
Bounty et noix de coco
Hervé* (26 ans) est né en Belgique, d’une mère vietnamienne et d’un père ghanéen. Il a été placé dans une famille d’accueil qui l’a adopté. Il exprime le même ressenti : « J’ai quelques potes noir·es et iels me considèrent comme un “Bounty” : j’ai pas “la mentalité” comme iels disent. J’ai pas la même culture, même en étant métis ; j’ai grandi en Belgique sans trace du Ghana. Je pense que ma culture est 100 % belge et que ça se ressent directement aux premiers mots échangés avec un·e Noir·e. » La culture blanche intériorisée le rapproche finalement des Blanc·hes, apparence physique exceptée. « Quand on me demande d’où je viens, je réponds que je suis belge. Mais en fonction de la situation, je peux m’adapter ; je dis que je suis belge et que j’ai aussi des origines ghanéennes si je rencontre un·e Noir·e », explique Hervé.Noé (30 ans) a été adopté à trois ans et demi au Rwanda en 1992. Le pays était très perturbé et, d’après ses parents adoptif·ves, il a été placé à cause de son handicap (il est né sans bras). Lorsqu’il visite le Rwanda pour la première fois, il se sent partagé : « À la fois chez moi et à la fois touriste. J’étais parfois surnommé “noix de coco”. » Au début, iels le considèrent et l’accueillent comme un Rwandais, lui parlent en rwandais ; puis il y a un déclic et leur attitude change aussi vite : « Je pense que j’ai une mentalité européenne, mon éducation belge a conditionné la façon dont je m’exprime et dont j’agis. Mes parents ont toujours fait en sorte que je me sente libre de me questionner sur mes origines mais je n’ai pas non plus cherché à être “un vrai Rwandais”. »« Quand on me demande d’où je viens, je réponds que je suis belge. Mais si je rencontre un·e Noir·e ; je dis que je suis belge et que j’ai des origines ghanéennes » - Hervé
Les manières de s’exprimer et d’agir montrent où on a grandi, comment et par qui on a été éduqué. Si Noé n’est pas reconnu comme véritablement Rwandais, c’est que sa manière de se comporter est perçue comme le rapprochant des Blanc·hes. « Tout le monde ne fera pas l’exercice de la mentalisation que nous faisons maintenant », insiste Marie-Cécile Remy. « Les codes, c’est la manière dont on s’adresse à l’autre, c’est dans le verbal et le non-verbal, la manière dont on s’installe, dont on occupe l’espace, etc. C’est très implicite. »« Je pense que j’ai une mentalité européenne, mon éducation belge a conditionné la façon dont je m’exprime et dont j’agis. » - Hervé
Apprendre à gérer ses émotions
Selon elle, c’est un modèle de gestion émotionnelle qui doit être au centre du modèle éducatif : nous devons apprendre à gérer ce que l'événement va nous faire vivre, notre réaction, parce que l’événement en soi ne pourra être identifié ou anticipé. « Dois-je préparer mes enfants à un événement de vie ou dois-je les préparer aux conséquences qu’un événement pourrait avoir sur elleux ? Les préparer à tous les événements de vie, c’est impossible. On peut leur transmettre une vision du monde mais on doit surtout les préparer à pouvoir gérer émotionnellement ce qui leur arrive, quel que soit l’événement », ajoute-t-elle.Et puis, pour transmettre à ses enfants les capacités à gérer des difficultés, il faut d’abord les considérer comme tel·les. « Pour que je les considère comme mes enfants, il ne faut pas que j’ai inconsciemment en tête les liens du sang comme modèle familial », persiste Marie-Cécile.« J’aurais tendance à me méfier des parents qui insistent sur la question du racisme. » - Marie-Cécile Remy
Garder un lien avec le pays d’origine
Chaque histoire est unique et personnelle. Hervé n’a jamais cherché à en savoir plus sur ses deux pays d’origine. Il est né en Belgique et l’adoption ne l’a jamais préoccupé : « Je pense que c’est lié au fait que je sais d’où je viens et je connais mon histoire. Je connais ma mère, je connais mon père. Là où d’autres enfants pourraient chercher des réponses, moi j’ai toutes les pièces du puzzle. Après, je pense que ça viendra peut-être plus tard. » Ses parents lui ont demandé plusieurs fois s’il voulait aller au Vietnam ou au Ghana sans jamais pousser plus loin, parce qu’il n’en avait pas envie : « Iels se sont arrêté·es à mon propre désir. »« Mes parents adoptif·ves sont venu·es me chercher et tout a toujours été clair depuis que je suis petite. J’’ai toujours eu beaucoup d’amour autour de moi. Je n’ai jamais vu ça comme un abandon, plutôt comme un acte d’amour et de protection. » - Luna
Un enfant adopté n’est pas une page blanche sur laquelle une nouvelle histoire s’écrit. Son histoire porte sa double appartenance – d’une part physique, d’une autre culturelle – et iel est involontairement porteur·se de son passé.La première fois que Noé s’est rendu au Rwanda, il a senti une impression de déjà-vu : « J’avais l’impression de connaître le pays. Peut-être que ma mémoire inconsciente avait enregistré des trucs ». Aujourd’hui, il connaît ses deux familles. Il a retrouvé ses parents biologiques et il leur est reconnaissant de ne pas l’avoir gardé : « Je n’avais probablement aucun avenir là-bas. Je suis le frère aîné de cette famille et je sens que mes frères et sœurs veulent me laisser cette place de grand frère, sans me l’imposer. La relation est différente – probablement dû à la barrière de la langue. En Belgique, j’ai trois frères et deux sœurs, dont une sœur jumelle de cœur. Quand on se présente comme tel, les gens bloquent, mais nous on ne fait pas de différence. L’adoption me parait presque normale. Mon père m’a dit un jour : “Une famille, c’est là où réside l’amour.” Je suis tombé dans une famille avec beaucoup d’amour, sans que ça soit biologique. »* Le prénom a été changé et est connu au sein de la rédaction.Suivez VICE Belgique sur Instagram.« On a même visité l’orphelinat d’où je viens et rencontré des sœurs qui s’étaient occupées de moi. J’étais indifférent mais je pense que j’ai des restes en moi. Dans mes relations par exemple, j’ai la peur de l’abandon. » - Diego