adoption racisme
Diego et sa maman
Société

Avec des enfants adopté·es qui n’ont pas la même couleur de peau que leurs parents

« Mes copines noires m’ont toujours appelée “Bounty”. Elles voient bien que je n’ai pas la même éducation ni la même mentalité qu’elles. »
ZD
Brussels, BE

Comment construire son identité quand on est Noir·e et qu’on a été éduqué·e par des parents Blanc·hes ? Qu’est-ce qui détermine l’appartenance à une communauté ? On a discuté de construction identitaire avec quatre personnes noires adoptées par des parents blanc·hes ainsi qu’avec Marie-Cécile Remy, psychologue et psychothérapeute, elle aussi adoptée.

En finir avec la primauté des liens du sang

Beaucoup de familles se structurent autour de certaines valeurs concernant le type d’appartenance et s’organisent autour d’un mythe familial. Ce mythe est sous-tendu par ce qu’on pourrait appeler la primauté des liens du sang. « Cela signifie que le lien biologique garantit le lien de filiation », explique Marie-Cécile. Il peut arriver qu’une différence d’appartenance / de couleur de peau interfère de façon problématique dans les relations entre les parents et enfant·s adopté·s : « En revanche, l’adoption ne sera jamais perçue comme une filiation à part entière, poursuit-elle. Des problèmes surviennent ou non. La couleur de peau est une empreinte biologique mais elle pose problème à partir du moment où l’on croit que les liens du sang garantissent les liens familiaux. »

« La couleur de peau est une empreinte biologique mais elle pose problème à partir du moment où l’on croit que les liens du sang garantissent les liens familiaux. » - Marie-Cécile Remy, psychologue et psychothérapeute.

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Diego (28 ans) et Luna (21 ans) sont devenu·es frère et sœur après avoir été adopté·es à Madagascar et ont un autre frère, Pablo (enfant biologique des parents adoptifs). Diego raconte que son frère avait tendance à dire « mon père » quand il parlait avec quelqu’un alors qu’il était à côté : « Ça me choquait, je me demandais pourquoi il ne disait pas “notre père”. Aujourd’hui, je réalise que c’était inconscient de sa part mais ce n’est jamais arrivé dans l’autre sens. » Selon Diego, cette différence a tendance à être surtout soulignée par les autres : « Parfois, je rencontre de nouvelles personnes et on me fait des remarques du genre “Ah bon, t’es le frère de Pablo ?!” ou “Pourquoi ton frère est blanc ?”. Je vois dans leur regard le moment où iels captent que j’ai été adopté. Avant, j’étais moins à l’aise. »

La situation est identique pour sa soeur Luna qui pense souvent que les gens vont faire le lien quand elle leur présente sa mère ou ses grands-frères : « Mais en fait non, je dois préciser. Souvent, les gens ont l’air embarrassés d’en parler. Est-ce que c’est encore trop tabou ? Je ne sais pas, mais perso je suis bien dans ma peau. »

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Luna.

Bounty et noix de coco

Pour d’autres familles, le critère d’appartenance relève de la couleur de peau. Luna est considérée à la fois comme Noire, de par son apparence physique, et comme Blanche, de par son inscription familiale : « Plus jeune, je me disais : “J’aimerais bien être blanche” ou “Pourquoi Diego et moi on a un gros nez ?” Physiquement, je savais que j’étais noire, mais intérieurement, je me sentais blanche. Et mes copines noires m’ont toujours appelée “Bounty”. Elles voient bien que je n’ai pas la même éducation ni la même mentalité qu’elles. Mais y a pas de mal à ça. »

Marie-Cécile explique ces comportements en évoquant la question des codes sociaux : « En fonction du groupe d’appartenance dans lequel on évolue, une série de codes sont implicitement transmis à travers l’éducation. On n’en a pas toujours conscience, mais lorsqu’on est face à quelqu’un qui n’a pas grandi avec les mêmes codes, ça se repère directement. »

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« Quand on me demande d’où je viens, je réponds que je suis belge. Mais si je rencontre un·e Noir·e ; je dis que je suis belge et que j’ai des origines ghanéennes » - Hervé

Hervé* (26 ans) est né en Belgique, d’une mère vietnamienne et d’un père ghanéen. Il a été placé dans une famille d’accueil qui l’a adopté. Il exprime le même ressenti : « J’ai quelques potes noir·es et iels me considèrent comme un “Bounty” : j’ai pas “la mentalité” comme iels disent. J’ai pas la même culture, même en étant métis ; j’ai grandi en Belgique sans trace du Ghana. Je pense que ma culture est 100 % belge et que ça se ressent directement aux premiers mots échangés avec un·e Noir·e. » La culture blanche intériorisée le rapproche finalement des Blanc·hes, apparence physique exceptée. « Quand on me demande d’où je viens, je réponds que je suis belge. Mais en fonction de la situation, je peux m’adapter ; je dis que je suis belge et que j’ai aussi des origines ghanéennes si je rencontre un·e Noir·e », explique Hervé.

Noé (30 ans) a été adopté à trois ans et demi au Rwanda en 1992. Le pays était très perturbé et, d’après ses parents adoptif·ves, il a été placé à cause de son handicap (il est né sans bras). Lorsqu’il visite le Rwanda pour la première fois, il se sent partagé : « À la fois chez moi et à la fois touriste. J’étais parfois surnommé “noix de coco”. » Au début, iels le considèrent et l’accueillent comme un Rwandais, lui parlent en rwandais ; puis il y a un déclic et leur attitude change aussi vite : « Je pense que j’ai une mentalité européenne, mon éducation belge a conditionné la façon dont je m’exprime et dont j’agis. Mes parents ont toujours fait en sorte que je me sente libre de me questionner sur mes origines mais je n’ai pas non plus cherché à être “un vrai Rwandais”. »

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« Je pense que j’ai une mentalité européenne, mon éducation belge a conditionné la façon dont je m’exprime et dont j’agis. » - Hervé

Les manières de s’exprimer et d’agir montrent où on a grandi, comment et par qui on a été éduqué. Si Noé n’est pas reconnu comme véritablement Rwandais, c’est que sa manière de se comporter est perçue comme le rapprochant des Blanc·hes. « Tout le monde ne fera pas l’exercice de la mentalisation que nous faisons maintenant », insiste Marie-Cécile Remy. « Les codes, c’est la manière dont on s’adresse à l’autre, c’est dans le verbal et le non-verbal, la manière dont on s’installe, dont on occupe l’espace, etc. C’est très implicite. »

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Noé.

Apprendre à gérer ses émotions

A Maredsous, le village où Hervé a grandi, tou·tes ses potes étaient blanc·hes : « À l’école, les enfants savaient que j’avais été adopté. Je ne me souviens pas avoir eu de remarques et je ne me suis jamais senti comme le Noir parmi les Blanc·hes. » Noé non plus n’a jamais souffert du fait d’être adopté, ni de son handicap : « À l’école non plus, même s’il n’y avait pas beaucoup de Noir·es là où j’étais. »

Doit-on préparer les enfants, spécifiquement dans le cadre de l’adoption, à la différence, voire au racisme ? Est-ce que ne pas avoir la même couleur de peau que ses parents entraîne d’autres difficultés ? Luna et Diego n’ont jamais vraiment discuté de racisme avec leurs parents. Pour Diego, ce n’était pas important. Iels ont habité sept ans à La Réunion, où il y avait plus de mixité. Ces questions ne les travaillaient pas. Luna raconte qu’en grandissant, sa mère lui a expliqué les discriminations relatives à sa couleur de peau : « Comme Diego et moi on est Noir·es, ça se pourrait que notre tête ne passe pas. Elle nous a toujours poussé à faire de notre mieux. » Hervé non plus n’a pas parlé de racisme « au sens propre » avec ses parents : « Je viens d’une famille très catho, iels m’ont plutôt expliqué des valeurs comme la tolérance et l’ouverture. » Quant aux parents de Noé, iels l’ont averti qu’il pourrait lui arriver de subir des réactions discriminatoires, mais sans trop insister : « Iels ne voulaient pas m’enfermer dans une forme de paranoïa. »

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La question du racisme ne se comprend que dans une interaction entre groupes et codes liés à l’appartenance : « C’est la différence. C’est le risque d’être rejeté·e en fonction de la différence », explique Marie-Cécile. « J’aurais tendance à me méfier des parents qui insistent sur la question du racisme. Ces parents ne seraient pas assuré·es de l’intégration de cette différence au sein même de leur propre famille. Ou iels ne seraient pas assuré·es de leur capacité à gérer ce que la différence peut susciter au niveau émotionnel, que ce soit la colère, la tristesse, la détresse. »

« J’aurais tendance à me méfier des parents qui insistent sur la question du racisme. » - Marie-Cécile Remy

Selon elle, c’est un modèle de gestion émotionnelle qui doit être au centre du modèle éducatif : nous devons apprendre à gérer ce que l'événement va nous faire vivre, notre réaction, parce que l’événement en soi ne pourra être identifié ou anticipé. « Dois-je préparer mes enfants à un événement de vie ou dois-je les préparer aux conséquences qu’un événement pourrait avoir sur elleux ? Les préparer à tous les événements de vie, c’est impossible. On peut leur transmettre une vision du monde mais on doit surtout les préparer à pouvoir gérer émotionnellement ce qui leur arrive, quel que soit l’événement », ajoute-t-elle.

Et puis, pour transmettre à ses enfants les capacités à gérer des difficultés, il faut d’abord les considérer comme tel·les. « Pour que je les considère comme mes enfants, il ne faut pas que j’ai inconsciemment en tête les liens du sang comme modèle familial », persiste Marie-Cécile.

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Diego.

Garder un lien avec le pays d’origine

L’adoption est une façon de créer une famille et d’établir la filiation. En dehors des attitudes de ces différentes familles, quelle est l’importance de maintenir, encourager ou discuter des origines ? « Chaque être humain ressent le besoin de connaître ses origines pour façonner son identité et se développer dans les meilleures conditions possibles », rappelle Marie-Cécile. Nous avons donc tou·tes besoin de connaître notre passé pour pouvoir nous représenter notre histoire personnelle. Dans le cadre de l’adoption, il s’agit de « prendre l’enfant et son histoire », précise-t-elle. Il est donc important d’accompagner les parents afin qu’iels acceptent l’importance de raconter l’histoire des origines de l’enfant adopté·e – au rythme de celle-ci ou de celui-ci – et de valoriser la culture d’origine.

« Mes parents adoptif·ves sont venu·es me chercher et tout a toujours été clair depuis que je suis petite. J’’ai toujours eu beaucoup d’amour autour de moi. Je n’ai jamais vu ça comme un abandon, plutôt comme un acte d’amour et de protection. » - Luna

Chaque histoire est unique et personnelle. Hervé n’a jamais cherché à en savoir plus sur ses deux pays d’origine. Il est né en Belgique et l’adoption ne l’a jamais préoccupé : « Je pense que c’est lié au fait que je sais d’où je viens et je connais mon histoire. Je connais ma mère, je connais mon père. Là où d’autres enfants pourraient chercher des réponses, moi j’ai toutes les pièces du puzzle. Après, je pense que ça viendra peut-être plus tard. » Ses parents lui ont demandé plusieurs fois s’il voulait aller au Vietnam ou au Ghana sans jamais pousser plus loin, parce qu’il n’en avait pas envie : « Iels se sont arrêté·es à mon propre désir. »

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Les parents de Diego et Luna les ont emmené·e·s à Madagascar plusieurs fois. Luna se souvient d’une vidéo d’elle à huit ans dans laquelle elle dit : « C’est un grand jour pour moi. » Aujourd’hui c’est différent. Elle ne ressent pas d’attaches particulières pour le pays mais ne nie pas pour autant ses origines. « Quand mon père est parti filmer à Madagascar, il m’a proposé de rechercher ma mère biologique. J’ai dit non. Ma mère biologique m’a eue à 17 ans. Elle n’avait pas les moyens de me garder et m’a placée dans un orphelinat. Mes parents adoptif·ves sont venu·es me chercher et tout a toujours été clair depuis que je suis petite. J’ai baigné dans ces explications et j’ai toujours eu beaucoup d’amour autour de moi. Je n’ai jamais vu ça comme un abandon, plutôt comme un acte d’amour et de protection. Si j’ai des questions, je sais que je peux en parler avec mes parents. Peut-être que dans cinq ans, j’en aurais davantage. Je sais qu’iels m’aideront. » Diego enchaîne : « C’était important pour elleux qu’on garde un lien avec la culture malgache. On a même visité l’orphelinat d’où je viens. On a rencontré des sœurs qui s’étaient occupées de moi. J’étais indifférent par rapport à ça mais je pense que j’ai des restes en moi. Dans mes relations par exemple, j’ai la peur de l’abandon. Je m’attache hyper rapidement et ça m’a plusieurs fois fait mal. Je me suis déjà demandé si c’était pas moi qui cherchais à être abandonné. »

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« On a même visité l’orphelinat d’où je viens et rencontré des sœurs qui s’étaient occupées de moi. J’étais indifférent mais je pense que j’ai des restes en moi. Dans mes relations par exemple, j’ai la peur de l’abandon. » - Diego

Un enfant adopté n’est pas une page blanche sur laquelle une nouvelle histoire s’écrit. Son histoire porte sa double appartenance – d’une part physique, d’une autre culturelle – et iel est involontairement porteur·se de son passé.

La première fois que Noé s’est rendu au Rwanda, il a senti une impression de déjà-vu : « J’avais l’impression de connaître le pays. Peut-être que ma mémoire inconsciente avait enregistré des trucs ». Aujourd’hui, il connaît ses deux familles. Il a retrouvé ses parents biologiques et il leur est reconnaissant de ne pas l’avoir gardé : « Je n’avais probablement aucun avenir là-bas. Je suis le frère aîné de cette famille et je sens que mes frères et sœurs veulent me laisser cette place de grand frère, sans me l’imposer. La relation est différente – probablement dû à la barrière de la langue. En Belgique, j’ai trois frères et deux sœurs, dont une sœur jumelle de cœur. Quand on se présente comme tel, les gens bloquent, mais nous on ne fait pas de différence. L’adoption me parait presque normale. Mon père m’a dit un jour : “Une famille, c’est là où réside l’amour.” Je suis tombé dans une famille avec beaucoup d’amour, sans que ça soit biologique. »

* Le prénom a été changé et est connu au sein de la rédaction.

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