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Quand les révolutionnaires français voulaient abolir la galette des Rois

Le gâteau, considéré par certains « sans-culottes » comme un symbole monarchique et religieux encombrant, était à deux doigts de monter à l’échafaud.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

Dans la salle du Manège, Pierre Louis Manuel s’avance devant les membres de la Convention nationale. Qu’est-ce qu’il se passe dans la tête du député de la Seine, Girondin convaincu, au moment de prendre la parole ? Aucune idée.

Toujours est-il que, ce 30 décembre 1792, quelques mois après la prise des Tuileries et quelques semaines avant que Louis XVI ne soit guillotiné place de la Concorde, Pierre Louis Manuel va aborder un sujet qui lui tient visiblement à cœur ; la galette des Rois.

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C’est en tout cas ce que laisse penser la page Wikipédia dédiée au gâteau qu’on s’enfile traditionnellement le jour de l’Épiphanie – qui tombe ce samedi 6 janvier 2018. Manuel aurait déclaré la guerre à la frangipane et décidé de faire monter à l’échafaud la galette, considérée par certains « sans-culottes » comme un symbole monarchique et religieux encombrant.

Son intervention, consignée dans les Archives parlementaires (tome 56, p. 64) et déterrée par Jean-Clément Martin, professeur émérite à l’université Paris I, est en fait légèrement différente : « J’ai à vous proposer, en mon nom, un décret fort court et qui ne peut pas souffrir de difficulté. Je demande que la Convention décrète qu’aucun ministre, de quelque culte que ce soit ; ne pourra célébrer des fêtes, sous le nom de fête des rois. Ces fêtes sont anti-civiques et contre-révolutionnaires. »

Pierre Louis Manuel via BNF Gallica « gâteau des Rois »

Contacté par MUNCHIES, l’historien spécialiste de la Révolution française en veut légèrement à l’encyclopédie en ligne. Non, le député n’a pas tenté sans succès d’obtenir l’interdiction du et sa recommandation – accueillie par les rires de l’Assemblée selon le procès-verbal – n’a pas été retenue.

Dans un texte publié sur Academia.edu, Martin ajoute : « Ce ne fut qu’une proposition, parmi tant d’autres, (…) qui exprime une position personnelle certainement très anticléricale (…) On notera qu’il n’y avait pas de mention de galette et pas d’interdiction jetée sur sa consommation. »

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À cause de ses liens avec la monarchie et le clergé catholique, la fête des Rois constitue une cible tentante dont s’emparent tous ceux qui entendent mener des combats de plume au service des combats politiques – Michel Biard

D’où vient donc cette présupposée haine des « Révolutionnaires » pour l’Épiphanie et la galette des Rois ? On trouve bien la trace d’un arrêté de la Commune de Paris daté du 31 décembre 1791 qui tente de rebaptiser l’événement en « fête du bon voisinage » mais rien de très agressif. D’autres suggestions suivront d’ailleurs comme « fête des philosophes » ou « fêtes des sans-culottes ».

La dernière idée est soufflée lors d’une séance du Club des Jacobins dont Michel Biard, professeur à l’université de Rouen, a retrouvé les vestiges : « C’est aujourd’hui la fête de la liberté ; ce jour, autrefois, était consacré à la superstition et au royalisme. (…) Aujourd’hui, tous les vrais patriotes vont fêter un jour qui est devenu la fête des sans-culottes. »

Dans , un texte publié en 2014 dans les Annales historiques de la Révolution française, Biard aborde la relation entre la jeune République et la fête des Rois. Il estime qu’à cause de ses liens avec la monarchie et le clergé catholique « elle constitue une cible tentante dont s’emparent tous ceux qui entendent mener des combats de plume au service des combats politiques. »

Interrogé par MUNCHIES, il tempère cette animosité pour la galette. « On est là juste dans la symbolique. » Il n’y aurait donc aucune raison d’avoir peur de tirer la fève, même en pleine Terreur. Et si la fête des Rois n’est pas une cible c’est aussi parce qu’elle est « appréciée des citoyens et fait les délices des enfants ». Démagogue ou lucide, la Révolution n’a pas intérêt à se débarrasser d’un évènement solidement ancrée dans les traditions et déjà objet d’intérêts commerciaux.

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Pour rester incognito, la galette aurait pris temporairement le nom de « gâteau de l’égalité ». Il se dit même que les fèves à l’effigie de l’Enfant Jésus auraient été remplacées par des bonnets phrygiens.

Bien sûr, on raconte que la galette aussi a changé de nom. Pour rester incognito, elle aurait pris temporairement celui « gâteau de l’égalité ». Il se dit même que les fèves à l’effigie de l’Enfant Jésus auraient été remplacées par des bonnets phrygiens. Mais pour trouver l’ombre d’un stigmate, il faut se plonger dans la Gazette des Tribunaux et une séance de la Commune de Paris du 6 janvier 1794 (17 nivôse an II pour les intimes).

« Sur une dénonciation à nous faite, que l’on criait encore la fête des rois (…) Considérant que les pâtissiers qui font des gâteaux à la fève, ne peuvent avoir de bonnes intentions, le comité a arrêté que le conseil général sera invité d’envoyer à l’instant une circulaire à tous les comités révolutionnaires, pour les engager à employer toute leur surveillance, pour découvrir et surprendre les pâtissiers et les orgies dans lesquelles on fête et on fêtera l’ombre du dernier tyran. »

Des fabricants de galette, Wikimedia Commons. « nombre d’autres urgences s’imposent sur le devant de la scène »

On ne connaîtra jamais le nombre exact de membres des forces de l’ordre mobilisés pour lutter contre ces producteurs et/ou amateurs de galette en plein cœur de la capitale. Le procès-verbal peut surprendre alors que, comme le souligne Biard, .

« Que l’agent national ait retoqué l’arrêté de la section me fait penser que les dirigeants de la Commune n’avaient pas envie de se mettre à dos plus de gens qu’il n’en fallait alors que c’était un temps de disette et de vie chère qui aurait justifié des économies de farine »,ajoute Jean-Clément Martin. « Que la galette des rois ait été un symbole monarchique, sans doute, mais elle devait être surtout, pour beaucoup d’habitants, une habitude collective que personne ne voulait changer. »

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Ce n’est même pas la première fois qu’on aura cherché des noises à la galette. Comme le rappelle Philippe Rouillard dans Les fêtes chrétiennes en Occident, au XVIIe siècle, une campagne fut menée par des prêtres jansénistes contre les festivités de l’Épiphanie et ses excès.

« Un certain Jean Deslyons, doyen de la cathédrale de Senlis, publia à Paris, en 1644, une série de Discours ecclésiastiques contre le Paganisme des Roys de la Fève et du Roy-boit[coutume qui consiste à s’en jeter un derrière la cravate dès que la personne qui a chopé la fève boit] pratiqué par les chrétiens charnels en la veille et au jour de l’Épiphanie. »

Depuis, personne n’a vraiment eu l’audace de remettre en cause la pérennité de cette fête et de son folklore. Ni les chanoines, ni les révolutionnaires. Peut-être que ses origines païennes en font un évènement un peu spécial. À moins que ce soit la frangipane.

Pour plus de Vice, c’est par ici.