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Santé

De la douleur de n’avoir qu’un seul sein qui pousse

Pour les jeunes femmes atteintes du syndrome de Poland, la vie n’est que chirurgie plastique et amour-propre ravagé.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Cet article a été initialement publié sur Broadly.

Lesli Roberts a compris que quelque chose n'allait pas à la puberté, quand le côté droit de sa poitrine a commencé à se développer, mais pas le côté gauche. « Pendant quelques années, ma mère et mon médecin n'y ont guère prêté attention, persuadés que le côté gauche finirait par rattraper le reste », déclare la jeune femme, aujourd'hui âgée de 24 ans. « Ce n'est jamais arrivé. »

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On lui a finalement diagnostiqué le syndrome de Poland, une maladie rare qui se développe in utero et affecte un seul côté du corps. Chez les femmes, cela se traduit par la poussée d'un seul sein. Selon l'avancée de la maladie, cela peut donner lieu à une anomalie des muscles du thorax et du bras, et des doigts plus courts et/ou palmés.

Le Dr James H.W. Clarkson, médecin spécialisé en chirurgie réparatrice, explique que la maladie affecte deux fois plus souvent le côté droit du corps et touche plus souvent les femmes que les hommes. Mais puisque le syndrome de Poland affecte la poitrine, la plupart des femmes découvrent qu'elles en sont atteintes seulement à la puberté, ce qui entraîne souvent d'énormes effets psychologiques.

« Mon côté droit ne s'est pas développé du tout, ce qui m'a fait perdre toute confiance en moi en entrant à l'adolescence », déclare Melissa Amaya, écrivaine de 36 ans. « Personne ne m'a jamais fait de remarques, mais j'ai souvent eu l'impression que ce déséquilibre était visible de tous. »

Contrairement à Lesli, Melissa a reçu son diagnostic quand elle était petite et a pu subir une opération chirurgicale de la main droite afin d'en accroître la fonctionnalité. « Il me manque également mon pectoral droit, explique-t-elle. Tout mon côté droit – bras et poitrine – est un peu plus faible que l'autre. Petite, je n'y faisais pas vraiment attention, mais arrivée à l'adolescence, c'est devenu évident. »

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Le Dr Clarkson, petit-fils du chirurgien qui a identifié et nommé le syndrome dans les années 1960, explique que la cause de la maladie est inconnue, mais qu'il est fort probable qu'elle soit due à une lésion vasculaire ou un caillot de sang qui se forme quand le fœtus est au stade de l'embryon et empêche le développement d'un côté du corps. La maladie n'est a priori ni génétique, ni héréditaire.

Le syndrome est relativement rare et affecte une naissance sur 30 000. Les adolescentes qui en souffrent ont donc peu de chances d'en avoir entendu parler ou d'avoir rencontré d'autres patientes, ce qui ne fait que renforcer leur sentiment d'isolement et leur anxiété. « Elles peuvent se sentir très gênées et effrayées à l'idée qu'on se moque d'elles », déclare la professeure Diana Harcourt, codirectrice du Centre for Appearance Research à l'université de l'Ouest de l'Angleterre à Bristol. « Au point de changer de pièce quand elles sentent que leur corps va être au centre de l'attention. »

Selon les recherches du Dr Harcourt, l'apparence joue un rôle clé dans l'amour-propre et l'identité. Les patientes se sentent différentes et évitent d'attirer l'attention sur elles. « À cet âge-là, déclare-t-elle, on commence à s'intéresser à d'autres personnes de manière romantique et à développer des relations intimes, une anomalie de cette partie du corps en particulier peut donc renforcer l'angoisse et les inquiétudes. »

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Pire encore, les personnes atteintes de cette maladie sont souvent victimisées. « Je devais partir tôt de la piscine pour que personne ne me voie », déclare Louise Knight, britannique de 27 ans. « Une fille m'a même suivie et m'a posé des questions [quand elle m'a vue] nettoyer ma prothèse en silicone. Mais mon pire moment de honte, c'est quand le bout de tissu que j'avais placé dans mon soutien-gorge est tombé en EPS. »

Lesli a vécu des expériences similaires. « On m'interpellait tout le temps au lycée, se souvient-elle. Les enfants me harcelaient, me traitaient de tous les noms et allaient même jusqu'à palper et regarder sous mon T-shirt. »

La plupart des femmes atteintes du syndrome de Poland choisissent de subir une intervention chirurgicale à l'aide d'implants mammaires. C'est le cas des trois femmes avec qui nous avons discuté.

« Mon opération m'a aidée à reprendre confiance en moi », déclare Lesli, qui était âgée de 14 ans au moment de l'intervention. « Mon anomalie congénitale n'était plus visible et je n'étais pas obligée d'en parler si je n'en avais pas envie. Ça a été encore mieux quand j'ai changé d'école, car personne ne savait. Dorénavant, je me sens plus à l'aise quand je porte des T-shirts cintrés ou des maillots de bain, même si j'ai toujours peur que quelqu'un remarque quelque chose. »



Mais comme toute opération, la reconstruction mammaire peut entraîner des complications et des résultats loin d'être optimaux. Louise a déjà subi trois interventions – deux avec la mauvaise taille d'implant et un avec un transfert de muscle et une expansion tissulaire. « J'aurais aimé ne pas l'avoir fait, déclare-t-elle. Je vis chaque jour dans la douleur. Quand ils ont voulu pratiquer l'intervention, j'étais jeune et je n'avais pas conscience de ce qu'il se passait vraiment. »

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À l'adolescence, Louise a bénéficié d'une expansion tissulaire afin d'étirer la peau de sa poitrine. Mais 11 ans plus tard, elle souffre d'un durcissement du tissu cicatriciel et d'une entorse au muscle de la poitrine (son muscle du dos a été utilisé pour reconstruire son pectoral). Elle a demandé au NHS de lui retirer l'expandeur et le muscle, et de trouver un autre moyen de reconstruire sa poitrine. « Mais le NHS a classé la chirurgie comme étant esthétique et ne fera rien, explique-t-elle. Je suis condamnée à vivre avec et ça me rend très malheureuse. Je suis actuellement sous antidépresseurs pour traiter l'anxiété provoquée par mes problèmes de sein. »

Melissa a elle aussi eu recours à une augmentation mammaire, et si sa poitrine est désormais plus symétrique, elle ressent toujours une douleur du côté droit, là où devrait se trouver son muscle – on le lui a retiré au cours de l'intervention. Et parce qu'elle a également subi un lifting du sein, elle ne pourra jamais allaiter.

« Au final, si j'avais su ce que je sais maintenant, je ne serais pas passée sur le billard, déclare Melissa. J'aurais plutôt opté pour une sorte de soutien-gorge prothèse. »

Pour elle, le plus dur à vivre est la « douleur interne et émotionnelle ». « On ne se sent pas "assez bien" et pas "entière" quand ça touche la poitrine. Il est également difficile de serrer la main de quelqu'un en se demandant si la personne va flipper en voyant la forme de ma main. Vous ne voyez que la partie visible de l'iceberg de la totalité du combat. »

À la fac, Melissa a suivi une thérapie pendant huit mois, ce qui l'a aidée à surmonter sa maladie. « Je me suis sentie comprise pour la première fois de ma vie, déclare-t-elle. C'était la première fois que je disais certaines choses à voix haute et que je m'autorisais à reconnaître les difficultés auxquelles je faisais face. »

« Ma famille m'aime et a fait de son mieux, mais elle n'a pas réussi à m'aider à traverser mes difficultés, poursuit-elle. C'était plutôt : "N'abordons pas le sujet si elle ne le fait pas", si bien que j'ai contenu toute ma colère pendant 18 ans. Je serai éternellement reconnaissante envers mon thérapeute. »

Lesli trouve également que la thérapie a été d'une grande utilité. « Non seulement ça m'a aidée à accepter mon anomalie et à améliorer ma confiance en moi, mais aussi à lever le voile sur des problèmes de santé mentale sous-jacents, déclare-t-elle. Au final, ça m'a fait beaucoup de bien. »