la mère de l'auteure
« Maman en Floride, 2016. » Toutes les photos sont de Melissa Spitz.

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reportage

J’ai photographié ma mère bipolaire

Entre 2009 et 2016, Melissa Spitz a immortalisé les hauts et les bas de sa mère maniaco-dépressive.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

« Tout le monde dit un jour ou l'autre que sa mère est folle. J'ai tendance à couper la parole et à dire : "Non, ma mère est folle." » Melissa Spitz sait de quoi elle parle. Cette habitante de Brooklyn, qui a grandi dans le Missouri, est l'artiste derrière You Have Nothing to Worry About – Tu n'as rien à craindre – un projet photographique qui traite des maladies mentales et notamment de sa mère toxicomane et bipolaire.

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La photographie est comme une seconde nature pour Melissa. « J'ai photographié toute ma vie, précise-t-elle. Mon grand-père m'a initiée à la photographie lorsque j'étais enfant. » Quand ses parents ont divorcé, la photographie est devenue un exutoire. « Toutes les choses qu'on pense en étant gamin, genre "tout va bien, tout est parfait", ont volé en éclat. J'ai alors pris l'appareil familial afin de mieux gérer toute cette situation. J'étais tellement en colère. »

La mère de Melissa est une blonde un peu perchée. Les photos d'elle en train de fumer, assise et gesticulante sont bien plus qu'un simple récit de sa vie personnelle. « Il y a cette photo que j'ai faite de ma mère qui hurle sur un banc. Elle avait cette douleur… D'un coup, ça a raisonné en moi. J'ai opéré une sorte de transfert. Ça en disait beaucoup sur ce qui se passait dans ma vie. » Melissa a capturé des photos puissantes, inattendues, parfois ironiques – comme peut l'être une conversation entre une mère et sa fille. Leur relation sur les photos est très souvent tendue. Cela reflète ce qui se produit lorsque certains aspects de la bipolarité de la mère rejaillissent sans prévenir.

« Je pense qu'au départ, j'ai sous-estimé cette maladie, explique Melissa. Maintenant, je sais qu'elle est très malade et je vois sa maladie complètement différemment. »

Si vous cherchez une histoire cul-cul de rédemption, vous ne la trouverez pas dans le projet de Melissa. « Parfois, j'ai l'impression que ce travail prend une tournure très édulcorée, car ma mère n'est pas vraiment victime. Elle aime être photographiée – elle est d'ailleurs très photogénique. Il y a une force incroyable qui se dégage de ça. »

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« Xanax pour Maman, 2012. »

Et Melissa de poursuivre, amèrement : « Un jour, quelqu'un a commenté l'une de mes photos sur Instagram, "Elle a élevé une fille adorable". J'ai voulu répondre qu'elle n'avait élevé personne. Comme je le disais, le résultat peut sembler presque gentillet aux yeux des gens. »

Ces photos aident-elles la mère de Melissa ? N'y a-t-il pas un problème légal dans tout ça ? Melissa réfute cette idée : « Ce projet permet à ma mère de se sentir importante et utile en tant qu'être humain. Je suis très heureuse de ce que je fais, même si ma mère reprend parfois le dessus. »

« Maman en train de se maquiller, 2016. »

« Ce projet a souvent été vu comme une sorte d'exploitation de la maladie de ma mère, poursuit Melissa. Les gens disaient que je la poussais vers quelque chose de mauvais pour elle. C'est faux. »

Les malades mentaux sont souvent peints comme de charmants excentriques. La réalité est bien différente : elle implique des centres de soins, des médicaments et un comportement autodestructeur. Beaucoup de maladies mentales sont incurables. Selon Melissa, ce projet, débuté en 2009, va se poursuivre aussi longtemps que possible.

« J'ai besoin de cette protection. » BB Gun de Maman. 2014

« La dernière fois où Papa disait de Maman qu'elle était normale. » Bumbershoot, Seattle, Washington, 1994.

« Tous les médicaments de Maman entre 1994 et 2004. »

« Des cris, 2014. »

« Papier peint, 2013. »

« Pissenlit, 2016. »

« Journée piscine, 2015. »

« Maman, lors de mon exposition en 2014. »