La rocca closing party
Photo: Evenbeel

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Drogue

Une dernière nuit dans la boîte la plus célèbre de Flandre

La Rocca, l'Ibiza flamand, fermera bientôt ses portes dorées.

À Lier, pas loin d’Anvers, se trouve La Rocca. Une discothèque dont la réputation n’est plus à faire. L’Ibiza de Flandre. Le temple de la Chaussée des dancings. Et une boîte dont beaucoup de quadragénaires se souviennent avec nostalgie (s’ils sont encore capables de se souvenir de quoi que ce soit après tous les Blue Mitsubishi et les bouteilles de Dom Pérignon qu’ils ont dû s’envoyer). Malheureusement, 2018 sonne la fin de cette institution nationale de la fête. Une partie de la culture belge va bientôt se décliner au passé composé et n’être plus que le doux souvenir d’une époque décadente et marginale.

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Je n’y avais encore jamais mis les pieds mais j’avais déjà lu pas mal de trucs sur La Rocca, qui a souvent fait les gros titres des gazettes locales. Il s’agissait surtout d’histoires de fraude, de coups de couteau, de raids et d’abus de drogues. Le club est célèbre pour ses afterpartys qui puent le fric et la débauche. Parce que c’était une des dernières chances pour moi de le voir de mes propres yeux, je me devais d’y aller. Dimanche dernier, j’ai donc enfilé mes chaussures les plus classes et je suis partie pour Lier, afin d’être témoin de la dernière soirée dominicale de l’un des clubs les plus célèbres de Belgique, The Final Curtain.

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C’est pleine d’énergie et scintillante d’auto-bronzant que j’ai pénétré dans un monde que je ne pourrais qualifier qu’en inventant le superlatif de champagne. Depuis les années 90, la discothèque se situe le long de la Antwerpse Steenweg, entre Bruxelles et Anvers. Quand on arrive, le contraste avec le quartier extérieur est frappant. Des voitures de sport hors de prix sont exposées telles des pièces de collection sur le parking à côté du tapis rouge. Je reçois une grosse poignée de préservatifs à l’entrée. Je me sens directement à la maison

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I Feel Love de Donna Summer résonne à travers les haut-parleurs tandis que le responsable évènementiel de La Rocca, Ricardo, m’escorte dans les coulisses. Nous cherchons Wim, le propriétaire, à qui je voudrais poser quelques questions sur l’histoire de la discothèque. En chemin, on croise un groupe de BV’s [bekende Vlamingen pour « Flamand connu », en néerlandais] ultra pimpés. Tanja Dexters, Alex Callier, Peter Goossens et Sergio Herman se trémoussent. J’aperçois des gens habillés de cuir et des danseuses qui ne semblent être vêtues que d’une poignée de paillettes. D’après Ricardo, s’il reste jeune c’est parce qu’il peut côtoyer ces demoiselles tous les jours depuis vingt ans. Moi aussi je me sens jeune, mais c’est à cause de ce bon vieux fumet de vodka Red Bull qui vient me chatouiller les narines.

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Je demande à Ricardo le secret de La Rocca. « C’est très simple: house music et extravagance. On était les premiers avec ça. À l’époque, personne ne savait ce qu’était un travesti. Il n’y avait aucun espace pour les gays et les lesbiennes. Ici, au lieu d’interdire certaines choses, on laissait les gens être eux-mêmes. Dans les discothèques classiques, vous n’aviez pas le droit d’entrer en baskets. Ici, oui. On a aussi rendu justice au jeans déchiré. Si vous étiez habillé différemment, vous receviez une carte VIP. Les excentriques, c’était ce qui faisait battre le cœur de la Rocca. »

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Ça y est, il est enfin là : le père spirituel du club. Wim van Ouystel fête son 55ème anniversaire ce soir. Il est un peu tendu parce que les gens frappent sans relâche à sa porte, son téléphone sonne constamment et il doit s’arrêter toutes les deux minutes pour saluer tout le monde. Son agenda est plein, tout comme le club.

Van Ouytsel n’aura pas le temps de profiter de cette soirée. Ce n’est pas vraiment dramatique puisqu’il le fait depuis trente ans. Les gueules de bois et les descentes angoissées, il connaît.

Avant même que je puisse lui poser ma première question, il allume une cigarette et ouvre une bouteille de champagne. « C’est le plus cher que tu pourras trouver ici, un Dom Pérignon à 290 euros. Personne ne boit de la bière dans ce club. Le champagne, c’est pas vraiment mon truc, les tables VIP non plus. Mais nos clients aiment l’extravagance et le bling-bling, alors on doit s’assurer qu’ils soient satisfaits. »

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En l’écoutant parler, je suis curieuse de connaître la réputation de La Rocca. « Au début des années nonante, ce n’était qu’amour ici. En partie à cause de l’ecstasy. On n’a pas appelé ça l’Age of Love pour rien. J’ai vu passer des drogues de toutes les formes et de toutes couleurs. Les fêtes continuaient jusqu’au lundi après-midi. Il y avait surtout des coiffeurs et des gens de l’hôtellerie qui ne voulaient pas décrocher et rentrer chez eux. De nos jours ça a changé, maintenant on utilise beaucoup plus de cocaïne. »

La Rocca était également vue comme une menace pour la tranquillité et les bonnes moeurs de la région. Sans surprise, le bourgmestre de Lier ne l’avait pas à la bonne. Après une soirée, pendant les après-midis d’été, quand il faisait déjà clair et ensoleillé, on pouvait les fêtards profiter du soleil en pleine descente, de l’autre côté de l’autoroute, « la plupart d’entre nous était carrément en monokini », continue Wim.

« C’est vraiment fini, La Rocca? » J’aimerais savoir. Van Ouystel secoue la tête. Il travaille sur un nouveau concept dans le style Ibiza : un bâtiment tout neuf avec un club sur le toit. « On veut rester fidèles à ce concept de luxe accessible. Le nom “La Rocca” fait également référence au style de vie du Sud. Et aussi à la région diamantifère de Lier, où on se trouve. »

Un demi-litre de champagne plus tard, je suis bien pompette. Il est temps d’aller faire un tour dans le club. Un petit pschitt de parfum doucereux trouvé dans les toilettes backstage et je suis fin prête. Je décide de partir à la recherche des vrais habitués de La Rocca, ceux qui pourraient m’en dire plus sur ce club mythique. DJ Tofke, l’un des résidents, fait frémir les murs avec des tracks house. Liereke plezierke, je suis prête.

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Je rencontre d’abord Christine, 31 ans. Elle distribue des verres de champagne. « Ça fait dix ans que je viens à Hasselt tous les week-ends pour faire la fête. Ce soir, j’aide en tant qu’hôtesse. J’ai spécialement pris congé lundi pour pouvoir en profiter à fond. »

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Monique est dans les toilettes. Elle m’offre une sucette. Cette femme de 50 ans travaille comme madame-pipi à La Rocca depuis onze ans. « Ce club a une place spéciale dans mon cœur. Les gens ici, c’est la famille. Ils me disent toujours bonjour. Depuis la mort de mon mari, je reçois tout l’amour dont j’ai besoin ici. Les habitués viennent à chaque fois m’embrasser et me faire des câlins. »

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Je ne dois pas faire pipi et Monique est occupée, alors je décide de me promener. Je croise deux personnes qui dansent en alternant mouvements de trekking et embrassades sauvages. Manu et Elke et se sont rencontrés ici à La Rocca, il y a quatorze ans maintenant. « Ça a directement été le coup de foudre, on était tellement amoureux que, comme tu le vois, on est toujours ensemble. On avait l’habitude de continuer jusqu’au lundi après-midi, mais maintenant on a deux enfants donc ce n’est plus vraiment possible. »

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Du coin de l’œil, je vois remuer une veste à paillettes qui fourni à elle seule certainement 80% de l’éclairage du club. L’homme dans la veste se nomme Stijn et selon lui il n’y aura aucune alternative pour remplacer La Rocca. « Si la boîte ferme, la culture clubbing belge disparaitra avec elle. Son excentricité et son ouverture d’esprit, spécialement envers la communauté LGBT, sont uniques en Belgique. Je vais vraiment chialer quand ça va fermer. »

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Dieter est assis sur une chaise. Il me dit qu’il travaille dans le milieu de la mode. « Auparavant, je venais principalement pour les looks et tout, mais maintenant ça fait partie d’une époque un peu révolue. Il y avait des trios qui se formaient sur le dance-floor. Certains hommes ramenaient des groupes entiers de femmes à la maison. J’ai moi-même brisé pas mal de cœurs. » J’ai l’impression que dès qu’une femme nous dépasse, elle revient sur ses pas pour papoter avec Dieter.

Toutes les personnes à qui j’ai parlé sont pleines d’éloges pour La Rocca. Oui, c’est un endroit un peu décadent, mais les clients sont sympas et pas aussi hautains que ce que je craignais. C’est un endroit où les gens sont remplis d’amour et parlent les uns des autres en tant que grande famille. Peut-être que c’est aussi parce qu’il sont tous tombés dans le même tonneau d’XTC il y a quelques années. Ici même.

Pour ceux qui voudraient rester dans l’ambiance, voici un mix de DJ Tofke et quelques photos de la nuit incroyable que j’ai passée.

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Pour plus de Vice, c’est par ici.