Comment 15 jours de bonnes résolutions m'ont plongé dans le chaos
Illustration : Pierre Thyss 

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La vie, ça va passer

Comment 15 jours de bonnes résolutions m'ont plongé dans le chaos

Tenter de devenir un homme meilleur – ou au moins, un homme – est une tâche bien trop ambitieuse pour moi.
Paul Douard
Paris, FR

Je me nourris comme un enfant de 13 ans, je n’écris pas assez, je n’ai aucun projet d’adulte laissant présager une naissance ou un emprunt immobilier, et je ne ressens pas le besoin d'accroître mon cercle social pour me sentir épanoui. Si j’en crois Hegel, qui écrivait « l’homme n’est rien d’autre que la série de ses actes », je suis donc dans l’obligation d’admettre que je suis une merde.

Dans l’espoir de ne pas me retrouver seul en pleine crise à 28 ans avec un physique de conseiller régional, j’ai décidé de faire comme tout le monde : débuter l’année avec de bonnes résolutions qui devraient faire de moi un homme nouveau (ou, a minima, un homme). Des résolutions plus ou moins intelligentes, que j’estime plus ou moins faisables et qui devraient plus ou moins améliorer mon quotidien et celui de mon entourage. J’ai tenu deux semaines.

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RÉSOLUTION N°1 : ÊTRE UN TYPE SYMPA QU’ON VEUT INVITER À SA CRÉMAILLÈRE

Je ne suis pas quelqu’un qui détend l’atmosphère. Chaque jour, j’ai envie de dire à un enfant que la vie est misérable et qu’il faut qu’il accepte que la mort existe (ou qu’il ne sera jamais riche). Toutefois, je crois que je peux devenir ce type sympa qui fait rire tout le monde à la pause déjeuner, ne serait-ce que quelques jours. La première chose à faire est, me semble-t-il, de commencer ce défi au boulot. Après, tout n'est-ce pas le lieu où l'on fait, quotidiennement, des choses qu'on déteste dans la vraie vie ?

Alors j'ai frappé fort. Et attaqué 2018 par une discussion entre collègues autour de la machine à café. Je suis même allé jusqu’à me servir de l’eau au concombre pour m’intégrer socialement. Je n’avais plus aucun respect pour ma personne, j'ai souri et ri à des blagues qui n'étaient même pas drôles. Ce n’était plus moi qui scandait « Bonne année ! » dans l’open space mais mon alter ego maléfique. Mais si, ce consultant en droit des marchés financiers qui a passé le barreau de Paris, comme ses parents le souhaitaient - au lieu de finir journaliste pour un site trash. Alors que l’envie de me mettre une balle dans la tête traversait mon esprit, une galette des rois s'est organisée. Habituellement, je suis le premier à rêver d’une explosion de gaz lors de ce type d’événement. Mais cette fois, je m’y suis rendu avec joie, pendant treize minutes – dont dix à boire du cidre tiède.

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Taux de réussite : 70%. Un net progrès, même si on ne m’a pas encore invité à une crémaillère.

RÉSOLUTION N°2 : MANGER DU QUINOA POUR DÉCÉDER LE PLUS TARD POSSIBLE

Manger sainement me déprime. D’une part, cela entérine l’idée - nauséabonde et discutable - selon laquelle il faut vivre le plus longtemps possible. D’autre part, cela implique de faire des courses dans des supermarchés chers, de se faire à manger avec patience, puis d’accepter de bouffer froid. Bref, c’est comme prendre un bain à l’eau tiède. C’est nul.

Ne sachant pas trop par où commencer, j’ai pris exemple sur mes collègues se nourrissant de soupes et de quinoa - avant de pleurer, seuls, devant leurs bureaux. D'abord, j’ai eu l’impression de manger du sable avec de l’eau (pour 24, 90 euros). Et surtout, plus j’ingurgitais de boulgour et autres graines germées , plus je perdais goût à la vie. Au fil des jours, mon environnement me paraissait fade et tous mes repas avaient une saveur de cendrier humide. La seule chose qui me maintenait éveillé était l’idée de faire quelque chose de bien - sans trop savoir pourquoi. Oui, je déteste le quinoa, le boulgour et tout ce qui ressemble à cette putain de macédoine qu’on me servait à la cantine de l’école. Mais je me suis tu et j’ai mangé.

À un moment, j'ai eu envie de mourrir. Et comme toute personne qui s’estime proche de la mort, je me suis préparé mon dernier repas : poulet et reblochon.

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Taux de réussite : 100%, puisque je suis toujours en vie.

RÉSOLUTION N°3 : M’AMUSER

Quand vous ne souriez pas régulièrement, les gens pensent que vous ne savez pas vous amuser. Ils n’ont pas totalement tort puisque je ne me drogue pas et que je souhaite pas terminer mes soirées dans une boîte qui ressemble à la grotte de Lascaux. Pour autant, je suis capable de m’amuser et je compte bien le prouver en ce début d’année. La solution la plus simple est celle consistant à noyer mon cerveau dans l’alcool pour arrêter d’entendre cette petite voix : « Paul, la vie est chiante ». J’ai donc commencé par boire tous les soirs après le boulot. À partir de là, tout était flou et nettement plus agréable. La vie n’était plus cet immeuble austère dans lequel je devais me rendre chaque jour, mais une immense vague de nuages sur laquelle je surfais l’air benêt. Ne pouvant toutefois tenir le rythme financièrement (je bosse dans les médias), j’ai décidé d’être médicalement assisté. C’est fou comme un Xanax matin, midi et soir peut rendre la vie douce. Mon libre arbitre avait disparu, je m’amusais d’un rien : j'ai même aimé danser (un peu).

Taux de réussite : 100%. Je suis tagué sur quelques photos de soirées sur lesquelles mon visage buriné par la fête dégage une certaine insouciance.

RÉSOLUTION N°4 : NE PLUS RIEN ATTENDRE D’INTERNET (ET DE LA VIE EN GÉNÉRALE)

Comme toute personne qui a besoin d’être rassurée sur sa condition et qui ne souhaite pas (re)lire l’intégralité de Phénoménologie de l'esprit, je vais sur internet. En tapant « Comment tenir ses résolutions », j’ai découvert un monde inconnu, peuplé de vidéos de coachs spécialisés en « transitions de vie ». Dans l’une d’elles, la coach Marion Guiset emploie le mot « objectif » 42 fois en l’espace de sept minutes. J’ai finalement fermé mon navigateur lorsque j’ai ouï « si par exemple votre objectif pour 2018 est d’animer une réunion d’équipe ».

Bien sûr, se rendre sur internet pour obtenir une réponse à une question existentielle est nécessairement un échec. D’ailleurs, cette opération se termine bien souvent par un malaise profond. D’une part parce qu’on se rend compte que le monde entier semble profondément malade. D’autre part parce que je me rends compte que je suis exactement comme tout le monde : relativement malheureux. Désireux d’obtenir une forme de liberté intellectuelle en me débarrassant de Google, j’ai tenté de réfléchir par moi-même quant au sens de la vie, mais cela m’a plongé dans un épisode dépressif de longue durée. Je suis donc complètement foutu.

Taux de réussite : 50%, je n’attends plus rien mais je suis toujours malheureux.

Pour aidez Paul qui ne va pas très bien ce moment, c’est sur Twitter .