« On ne peut plus faire comme si le porno de masse n’existait pas »
Illustration : 20100vallon

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« On ne peut plus faire comme si le porno de masse n’existait pas »

Gratuité, ultra-accessibilité, conso illimitée : le business de la fesse en bave. Marie Maurisse, auteure de « Planète porn, enquête sur la banalisation du X », nous entraîne dans les coulisses du porno.

Le XXIe siècle a consacré le porno 2.0. Les VHS soigneusement rangées au fond des vidéos-clubs ont été remplacées par les Yourporn, Xhamster, Pornhub et autres XNXX, ces supermarchés du sexe accessibles, comme on dit, « en un clic ». La démocratisation du porno a profondément modifié l’industrie du X, sa consommation et le rapport à la sexualité et aux fantasmes. De quelle façon ? C'est ce que nous révèle la journaliste d'investigation Marie Maurisse, auteure de La Planète porn, enquête sur la banalisation du X.

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VICE : Comment est née votre envie d’enquêter sur le X ?
Marie Maurisse : J’ai eu le réflexe d’une jeune femme curieuse qui ne connaissait même pas Youporn. J’ai commencé par explorer ce nouveau monde comme tout le monde le fait et je me demandais : « Qui sont ces gens qui m’offrent leurs corps ?». J’ai ensuite décidé de me lancer dans cette enquête car il se passe dans le porno la même chose que dans d’autres secteurs d’activité et je trouvais intéressant de prendre le X comme exemple. Ce qui m’intéressait c’était le phénomène dans son ensemble, à l’échelle mondiale, symbole de la mondialisation.

Vous évoquez dans votre enquête deux grandes thématiques : l’industrie du porno et ses mutations, et son impact auprès du public. Selon vous les deux sont liés ?
L’impact des nouvelles technologies engendre la destruction d’un business établi. La massification du porno en accès gratuit a dégradé les conditions de travail des acteurs, le secteur a connu, et connaît encore, une vraie dérégulation. Les grosses productions ont perdu leur poule aux œufs d’or, les gens ne paient plus pour voir du porno. Aujourd’hui, n’importe qui peut se lancer dans le X, ce qui a notamment engendré une augmentation de la violence – même si les abus lors des tournages ont toujours existé, tout comme les actrices qui se droguent et se suicident.

Le risque de tomber dans la dépendance au X ne relève-t-il pas davantage de déterminisme socio-culturels que de la démocratisation massive du porno ?
À la base j’étais de votre avis, mais après avoir interrogé des spécialistes du sujet, je suis plus mesurée. Le porno sur le web est un objet d’addiction rapide. Il est facile d’accès, gratuit, instantané, ce qui accentue le risque de dépendance. En consultant du porno en ligne il y a un risque d’être dépendant, mais c’est exactement pareil avec l’alcool.

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Comment expliquer les spécificités entre la France et son porno amateur, les États-Unis et les majors et le low-cost hongrois. Ça répond à des logiques de marché ?
J’ai l’impression que c’est ça en effet. En France, il y a Dorcel qui survit grâce au porno chic, mais aussi Jacquie et Michel qui fait du « faux amateur », comme pratiquement tout ce qui est publié dans la catégorie amateur. On te fait croire que c’est fait maison, l’esthétique est volontairement crapoteuse, mais tout est joué et simulé.

Le porno est mondial et il a des spécificités dans chaque région, dans chaque pays car les consommations sont différentes. Même si les États-Unis n’ont pas autant de pouvoir qu’avant, la Californie reste la capitale du porno. Budapest arrive en deuxième position. On y trouve des très jeunes filles prêtes à travailler pour pas cher.

On a l’impression que l’acteur et réalisateur Pierre Woodman, dont vous parlez dans votre ouvrage, représente tout ce qu’il y a de pire dans le porno. C’était voulu ?
Pierre Woodman est un personnage célèbre dans l'univers du porno, il fait partie des Français connus dans le monde entier. Il représente le porno à l’ancienne qui incarne la misogynie et la domination. Son site est en train de fermer d’ailleurs, à part une petite communauté, personne ne regarde ses productions.

Il a le mérite de dire ce que d’autres cachent. J’ai rencontré beaucoup de femmes et il était important que je m’entretienne avec des hommes. D’autant plus qu’il représente le porno qu’il est en train de disparaître.

Un chapitre de votre livre est consacré au porno féministe. Vous êtes certaine qu'on peut être féministe et aimer le porno ?
Oui, je pense. Il y a beaucoup de vidéos qui font évoluer la femme, dans lesquelles elle n’est plus dominée. À travers différents scénarios elle décide de son propre plaisir. Il y a aussi d’autres vidéos qui prônent une sexualité libre, égale. On y voit des dominas, des femmes en chair, et tout ça a une dimension féministe. Mais c’est encore une niche car le profils type des consommateurs de porno est l’homme blanc, âgé de 35 à 55 ans. Ce public est avide d’un porno mainstream et cliché.

Pour visionner ce genre de vidéos « féministe », il faut affiner sa recherche et parfois payer. Il ne faut pas oublier que le monde du porno est comme un grand supermarché.

Dans votre livre, en guise de conclusion, vous semblez plutôt optimiste sur l'avenir du porno…
J’aime le porno, sinon je n’aurais jamais fait cette enquête. Je n’apprécie pas les gens qui décrivent le porno comme glauque. On peut lui trouver certaines vertus : le porno a par exemple a ouvert les portes de ce monde à des femmes et a permis à certaine personne de découvrir la sexualité. Pour des jeunes qui n’ont pas l’occasion de parler sexe, avec des adultes notamment, la pornographie est la seule source d’information qui existe pour voir à quoi ressemble un vagin, un pénis, comment est une érection, etc… Avec les quiproquos que cela génère, parce que le X n'est pas la réalité ! Par ailleurs des personnes adultes ayant une sexualité normée peuvent trouver dans la pornographie un espace libérateur qu'ils ne peuvent parfois pas vivre en couple. Il y a aussi des couples qui pimentent leur sexualité avec la pornographie… Bref, tout est possible !

L’arrivée des nouvelles technologies dans le porno est la fin d’un monopole, c’est la fin du porno à papa. Il faut reconstruire quelque chose de mieux et on est en ce moment dans cette phase-là. On ne peut plus faire comme si le porno de masse n’existait pas. Il faut s’y habituer, l’encadrer et dédramatiser ses méfaits.