gabber Courtrai meeting DC special

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Une après-midi à danser le hakken dans le shop gabber le plus culte du Benelux

J’ai passé la journée à Courtrai avec des fans de hardcore, des mamans dingues de raves et un gabber en chaise roulante.

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Voilà ce que vous devez savoir à propos de Courtrai : la ville possède une rue commerçante fort sympathique, les samedis soirs se passent généralement dans des bars à vider des bouteilles de Grey Goose, et quand une place est rénovée, c’est l’info qui fait la une du journal local. Aux yeux de ceux qui n’y habitent pas, les seules choses qui méritent attention sont la sculpture d’une femme au sein dénudé et le fait que Courtrai soit le lieu de naissance d’une légende de la télé-réalité flamande.

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Mais deux fois par an, la tranquillité bourgeoise est mise à rude épreuve : des centaines de jeunes et vieux gabbers en vestes Thunderdome et training Australian se ruent vers le DC’s Special, un des derniers shops cultes de la culture gabber du Benelux. Le propriétaire, Dimitri Christiaens (36 ans) y organise des rencontres gabber depuis 1999. Ce qui, au départ, n’était qu’une réunion entre potes pour boire des pintes s’est vite transformé en un rendez-vous immanquable pour toute la culture gabber d’Europe, où les participants viennent démontrer qu’il n’ont pas la moindre intention d’abandonner le gabber.

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Adolescente, une telle procession de crânes rasés dans ma ville m’impressionnait. Quand je les croisais dans la rue, je sentais d’ailleurs une légère pellicule de sueur se former au-dessus de ma lèvre supérieure. Par la suite, cette angoisse s’est transformée en fascination : qu’avait donc ce petit magasin de si spécial pour que ces adeptes du plus gros phénomène rave se tapent des heures de route dans le simple but de s’y rendre ? Comme début avril, un de ces fameux rassemblements avait à nouveau lieu, j’ai décidé d’aller y faire un tour.

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Devant le magasin, un peu cachés par une colonne située sur la place, des hommes et de femmes se sont réunis. Pour l’occasion, ils ont pris la peine de nettoyer leurs Air Max, d’enfiler leur plus belle veste rose fluo estampillée 100% Hardcore, et ont même été jusqu’à oser la paire de bretelles comme ultime accessoire.

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Des mères avec des poussettes enlacent d’anciens amis et des mecs en T-shirts A.C.A.B. dansent le hakken en plein soleil, la langue pendante, entourés de toutes sortes de pitbulls. Tout ça sous les regards réprobateurs de dames bien comme il faut buvant le thé sur la terrasse du café d’en face, entièrement de jaune vêtues. Ça parle français et néerlandais autour de moi, et je peux même entendre des mecs crier des slogans en anglais « Once hardcore, always hardcore ! »

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Le groupe qui me semble le plus amical est une famille constituée d’une gabber mama, Antilla, et de ses sept fils. Elle a les cheveux teints en bleu foncé et me confie qu’il y a quelques années, elle a carrément rompu son tendon d’Achille suite à session surexcitée de hakken. « Ce matin, c’est avec les larmes aux yeux que je lui ai rasé les côtés de la tête. Ils grandissent tellement vite..» me dit-elle en caressant la tête de son aîné de 17 ans, le regard empli de fierté. Ses autres fils ont la chevelure plaquée vers l’arrière, avec la bonne dose de gel réglementaire. Sur son téléphone portable, elle me montre une vidéo de son plus jeune – un bébé – qui serre son petit poing et le secoue au rythme de la musique. « Tu vois, c’est dans les gènes. »

Je l’écoute parler avec ses potes du dernier festival Masters of Hardcore auquel elle n’a pas pu assister car elle devait rester à la maison avec les enfants. « Quand j’ai enfilé ces vêtements ce matin, mon fils ma dit: “waw, maman, ça fait longtemps qu’on ne t’avait plus vue comme ça !” Et il avait raison, les gosses ne me voient malheureusement plus très souvent dans mon uniforme de gabber. »

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« Ici, il n’y a que les vrais gabbers, ceux qui étaient là au tout début » me raconte un Français qui a mis trois heures pour arriver jusqu’à Courtrai. « Certains d’entre eux ne sortent plus qu’une seule fois par an, d’autres le font encore toutes les semaines. Certains arrivent en groupe, d’autres seuls. C’est ça, le charme du milieu hardcore : les gabbers ne sont jamais seuls. On est une grande famille – une famille pour la vie. »

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Tous ceux que j’écoute me confier leur meilleurs souvenirs de soirée se remémorent les mêmes choses : les gouttes de sueur, les paires de sneakers usées jusqu’à la trame, les slogans criés jusqu’à en perdre la voix. De temps en temps, nos conversations se trouvent soudainement interrompues parce que le dj passe un classique. Ou lorsque le favori du milieu passe par là : le gabber en chaise roulante.

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Le surnom donné à Bjorn par quelques Hollandais est écrit gracieusement sur les roues de sa chaise. « J’avais douze ans quand j’ai été à ma première soirée Thunderdome à Anvers en 1997. Je croise d’ailleurs encore ici des gens que j’avais rencontré là-bas » raconte-t-il. Des connaissances jamais vraiment disparues et qui font leur réapparition aujourd’hui.

Depuis plus de vingt ans, il se rend à toutes les grosses soirées, que ce soit en Allemagne ou en Hollande, et tel le roi des gabbers, il y est à chaque fois hissé en l’air sur sa chaise. Il est connu et respecté de tous, même des artistes, et est même devenu le gars qui peut monter sur scène avec les meufs de Rotterdam Terror Corps.

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« C’est l’amitié, l’amour et l’acceptation qui vibrent autour de cette scène qui t’aide à te développer », raconte le gabber en chaise roulante. Il avait dix-neuf ans quand un mystérieux virus le cloua dans cette chaise. « C’est le seul endroit où les gens ne m’ont pas regardé différemment. J’y avais toujours une place. »

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Le gabber en chaise roulante ainsi que Dimitri, le propriétaire du shop, font partie des premiers gabbers de Belgique. C’est à l’âge de 13 ans que Dimitri découvre Rob G dans un camping en Zélande, et apprend comment danser dessus. C’est une véritable histoire d’amour qui est née là-bas; il a continué à assister à toutes les soirées possibles et a ensuite décidé d’ouvrir ce shop. À cette époque, ce qui représente maintenant le temple de la culture gabber n’était constitué que de deux petites étagères avec quelques casquettes, des chaussures et des survêts de sport.

« Dès qu’il y a un grand festival en Belgique ou en Hollande, comme le Dominator ou Defqon, les gabbers qui vivent à l’étrangers prennent souvent un vol vers Bruxelles pour faire d’abord étape par ici. On a des clients qui viennent de Suisse, du Chili ou du Japon et on livre parfois jusqu’en Australie. Ce magasin est un vrai paradis pour les amateurs du genre. »

Le large éventail de marques et d’articles disponibles a permis à Dimitri d’imposer son magasin comme un incontournable, et il fût l’un des premiers à collaborer avec certaines grandes marques afin d’offrir des collections adressées aux femmes au lieu des articles unisex. Mais le magasin a surtout acquis son statut de shop culte grâce à la déco placardée sur les murs et le plafond : sa propre collection de flyers et de posters des légendaires soirées gabber des années 1990. Une rétrospective en image de toutes les soirées où il s’est rendu depuis ses 13 ans.

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On peut y voir le flyer d’une soirée Thunderdome à Leeuwarden en 1998, une affiche du festival Mystery Land tenu à Utrecht la même année, encore un flyer d’une soirée à La Bush à Tournai en 1998 et du Shadowlands on Tour au Cherry Moon à Lokeren. Et bien d’autres encore, qui ont tous contribué à l’explosion de la culture gabber en Belgique. Réunis, ces bouts de papiers valent des milliers d’euros.

« Les collectionneurs deviennent dingue quand ils voient ce plafond. Les vieux de la vieille ont l’impression d’être à nouveau dans leurs chambres d’adolescents et la nouvelle génération de gabbers est fascinée. Ils veulent tout savoir des soirées d’autrefois et des partybus dans lesquels on se serrait comme des sardines pour se rendre en boîte. »

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Sur les murs, on peut également voir le flyer de la première soirée de Dimitri, Global Hardcore Nation au Sportpaleis en 1997. « Vingt milles têtes qui s’agitaient en même temps, comme un immense tapis volant humain. De temps en temps, ils ouvraient le toit pour qu’on puisse respirer. Et pour qu’on puisse continuer. Toujours plus. Une génération qui faisait simplement la fête sans se soucier de rien. » Dimitri a aussi conservé sa première pièce de garde-robe gabber : un bomber de Thunderdome avec un grand col repliable. « Maintenant ce truc, c’est devenu une pièce de collection, et ça vaut plus de 700 euros. »

La raison pour laquelle ce shop est physiquement devenu l’un des derniers magasins hardcore du Benelux est assez simple : la plupart des shops ont migré vers la vente en ligne. Il y a sans doute plus d’argent à se faire sur le web. Mais Dimitri se bat bec et ongles pour que le DC’s continue à exister et garde son authenticité.

« Pour les nouvelles collections, on organise un défilé avec le personnel en live sur Facebook. On demande à des djs comme Noisekick et dj Bass de jouer au magasin. On fait toujours en sorte d’avoir une belle collection de Nike Air Max Classic BW, les chaussures phares des gabbers. Elles sont tellement incroyables que des gens viennent juste pour les prendre en photo. Et on continue à organiser des rencontres. Un magasin comme celui-ci est un pilier très important pour la culture gabber. Les gens s’y sentent à la maison. On y sent l’appartenance à un groupe. Et je ferais tout ce qui est en ma possession pour qu’il continue d’exister. »