Garçons Bouchers à Dour premiers festivals belges
Toutes les photos sont de Pascal Tierce.
Culture

Voici à quoi ressemblaient les festivals belges il y a 30 ans

« Lors des premières éditions du festival de Dour, le staff était constitué de gens du coin. C’est le club de judo qui se chargeait de la sécurité ! »
HP
Brussels, BE

Pascal Tierce (61 ans), sociologue à la retraite depuis un an, a passé ces 35 dernières années à photographier les festivals belges tels que Dour, Rock Werchter, Pukkelpop ou encore Graspop Metal. Il nous a raconté les anecdotes derrière les premières éditions de ces événements que bon nombre d’entre nous n’ont jamais connus, de leur évolution et de leur influence sur la scène musicale européenne.

De U2 et Depeche Mode à la photo de presse qui annonce la création du festival de Dour en 1989, voilà à quoi ressemblaient les premières éditions de ces festivals qu’on ne pourra pas vivre cet été.

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VICE : Comment êtes-vous devenu journaliste-photographe sur les festivals ?
Pascal : Ça s’est fait de fil en aiguille. J’ai été à mon premier concert de Slade à 14 ans en 1972, à Forest National. J’ai écrit un texte que j’ai envoyé à une revue mensuelle et il a été publié. C’est comme ça que m’est venu le plaisir d’écrire et de relater un événement. Pendant 38 ans, j’ai enseigné la sociologie en haute école, avec une activité complémentaire de journaliste. En 1985, j’ai commencé à couvrir les festivals belges que j’avais d’abord découverts en tant que festivalier. Pour couvrir les festivals et les concerts, on doit créer son job : on propose des sujets au chef, qu’il accepte ou non.

« Le chanteur-guitariste de The Subways m’a mentionné lors d’une interview sur la RTBF comme son "ami Pascal de Dour qui n’oublie jamais de lui apporter une Kriek". »

Est-ce que cette activité vous a permis de développer un lien particulier avec certain·es artistes au fil des années ?
Ça m’a permis d'aller à plein d’endroits auxquels les festivalier·es n’ont pas accès, mais il faut approcher les artistes avec une certaine distance, en respectant leur intimité. Si tu croises des artistes en backstage, il ne faut pas les faire chier. Certain·es viennent parfois vers toi.
Pour faire une interview, tout se négocie à l’avance avec la maison de disque. On ne développe pas de proximité avec les artistes. Néanmoins, le courant était bien passé avec le chanteur-guitariste de The Subways lorsque j’ai fait son interview. Il m’avait dit qu’il venait régulièrement en Belgique pour déguster de la Kriek. Du coup je lui en avait ramené deux juste après notre entretien. Depuis, on se revoit à chaque fois qu’il joue à Dour et il m’a mentionné lors d’une interview sur la RTBF comme son « ami Pascal de Dour qui n’oublie jamais de lui apporter une Kriek ».

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Pascal (En haut, deuxième en partant de la gauche.) avec Praying Mantis.

Vous qui êtes un fan de concert, est-ce que votre plaisir est resté le même que quand vous étiez simple festivalier ?
Il y a parfois des festivals que je ne vois pas. L'année passée, je suis allé aux Solidarités à Namur et j’avais un rendez-vous avec Chicos Y Mendez. Le temps que j’aille faire son interview, j’ai raté le concert suivant.

Autre exemple : j’avais très envie de voir le groupe Whitesnake au Graspop. J’avais fait mes photos et commencé à savourer le concert, jusqu’à ce que je reçoive un SMS me disant d’aller faire l’interview d’un autre groupe, donc j’ai dû quitter le concert. On ne profite pas vraiment, mais ça n'enlève rien au plaisir.

« Lors des premières éditions du festival de Dour, le staff était constitué de gens du coin ; c’est le club de judo se chargeait de la sécurité ! »

C’était quoi l’énergie des premières éditions de Dour, Rock Werchter et Pukkelpop ? Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Je dirais que le début des festivals, c’était la spontanéité et la sincérité. Progressivement, ces festivals sont devenus « professionnels ». Lors des premières éditions du festival de Dour, le staff était constitué de gens du coin. Les parents de Carlo Di Antonio (l'un des fondateurs du Festival de Dour) ont fait hypothéquer leur maison pour que ça puisse continuer. Les personnes du coin faisaient le montage du matériel et la communication, le club de judo se chargeait de la sécurité… Pour Pukkelpop, c’est une maison de jeunes qui est à l’origine du festival.

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Tout ça, c’est fini. En trois décennies, l'identité locale a disparu au profit de sociétés spécialisées. Je ne conteste pas leur boulot, mais ça montre qu’on fait désormais appel à des professionnel·les plutôt qu’aux citoyen·nes des alentours. C’est pour ça que 2020 est une catastrophe pour ces festivals qui ont pris une telle ampleur et dont beaucoup de sociétés dépendent.

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Stuck Up à Dour en 1996.

D’après vous, quelle est l’évolution et l’influence des festivals belges sur la scène européenne ?
La Belgique est une terre de festival. Les premiers ont été Bilzen (1965-1981) et Amougies (1969), puis Rock Werchter (1975) et Rock Torhout (1977-1998), suivis de Pukkelpop (1985) et de Dour (1989). Ces festivals belges ont été une révélation et une référence pour le reste de l’Europe grâce à leur structure et leur organisation. Ils ont mis environ une quinzaine d’années pour devenir ce qu’ils sont. En 1989, 800 personnes ont assisté au Festival de Dour. Aujourd’hui, il y a des gens qui viennent à Werchter pour observer le fonctionnement et s’en inspirer.

De plus, la géographie de la Belgique permet deux types de festivals : les urbains et les semi-campagnes. On peut être en ville et très rapidement à l’extérieur, ce qui permet d’avoir certaines zones extensibles. Dour accueille dorénavant 50 000 personnes par jour, mais grâce à leur localisation, ça pourrait aller jusqu’à 90 000. À l'inverse, le Main Square Festival d’Arras, en France, a lieu dans la citadelle et ne peut plus grandir, même si c’est un cadre magnifique. La densité de population en Belgique permet une grande variété dans l’organisation des festivals.

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« Ces festivals belges ont été une révélation et une référence pour le reste de l’Europe grâce à leur structure et leur organisation. »

Certains festivals sont connus pour la drogue qui y circule. C’était déjà le cas il y a 30 ans ?
Il y a 30 ans, « on » se contentait de fumer des joints. Aujourd’hui c’est autre chose. L’arrivée de musiques spécifiques à Dour a amené d’autres substances que la simple herbe séchée. Ça ne fait que 3-4 ans que la police a commencé à contrôler.

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Le public à Torhout en 1985.

La progra aussi a beaucoup changé ?
Quand j’allais aux Ardentes, il y avait un mélange de musique urbaine et de Rock. Depuis deux ans, ce n’est que de la musique urbaine car le public vient pour ça. Il y a une forme de segmentation des festivals. Dour, qui était au départ dans une ambiance bobo, avec Jean-Louis Aubert et Bernard Lavilliers, est passé par du rock extrême pour finalement devenir une niche pour l’électro et le hip-hop. Le Graspop est plus orienté métal, tandis que Werchter c’est le Top 50 du rock par excellence ; tout le monde connaît la moitié de l’affiche. Pukkelpop est plus varié et les Solidarités reste un festival plutôt familial.

« L’arrivée de musiques spécifiques à Dour a amené d’autres substances que la simple herbe séchée. »

Y’a un festival ou un concert qui vous a particulièrement marqué ?
Chaque festival a ses spécificités et son public. Personnellement, j’aime le métal, le Rock alternatif et le punk. Je trouve donc mon bonheur à Werchter, Graspop, Alcatraz et Pukkelpop. Mais j’aime découvrir de belles choses dans d’autres festivals comme Dour, et j’apprécie ce côté festif familial des Solidarités.

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Les Garçons Bouchers à Dour, 1991. Et oui, cet homme est en train de chanter.

C’est quoi une bonne photo de festival ?
Je considère qu’une photo c’est d’abord une émotion. Elle doit dire et donner quelque chose, susciter l’intérêt sans nécessairement tomber dans l’art. Car une photo de presse n’est pas une photo artistique. On relate un moment, on a pas le temps de retravailler l’image. Si le spectacle a lieu le dimanche, tout doit être sur le site le lundi soir ou prêt pour une éventuelle édition papier.

« Une photo de presse n’est pas une photo artistique. On relate un moment, on a pas le temps de retravailler l’image. »

Vous avez commencé avec la photographie argentique. Est-ce que le passage au numérique a entraîné une grande différence ?
Évidemment. Développer une vingtaine de films sur quatre jours, c’est beaucoup d’argent et de temps. Quand je faisais de l’argentique pour Dour, je finissais la journée vers 23h et je développais directement mes photos chez moi. Je les faisais sécher, puis je portais mes négatifs dans la boîte aux lettres du journal. Il était 2h du matin quand je rentrais chez moi et à 8h j’écrivais les textes pour les envoyer par fax. Maintenant, avec le numérique, c’est moins coûteux et on peut obtenir des photos professionnelles avec des appareils moins chers. Cependant, ça a créé une pression supplémentaire : celle de l’immédiateté.

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Depeche Mode à Torhout, 1985.

Ça vous fait quoi de regarder ces images aujourd’hui, sachant que cet été sera sans festivals ?
C’est très dur. Il y a une forme de nostalgie. Les braises du Covid-19 sont encore là, il faut laisser les choses évoluer car ce n’est pas facile de repenser les festivals. Personnellement, je me vois mal y aller en portant un masque…

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« Je continuerai à couvrir les festivals aussi longtemps que ma santé me le permet ! »

Je réalise également que la fin de ma carrière en tant que journaliste-photographe se profile et je me dis que j’ai fait de belles rencontres avec des artistes, du public, et je ne regrette absolument rien. Je continuerai à couvrir les festivals aussi longtemps que ma santé me le permet !

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Liftiba à Dour, 1992.

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U2 à Torhout, 1985.

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Le public à Torhout, 1985.

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Placebo à Dour, 1996.

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Faudel à Dour, 1999.

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Pascal.

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