Marine*, 31 ans, journaliste sportive depuis 6 ans
Malheureusement, au sein des rédactions, c’est une autre histoire. Quand j’ai débuté, mon rédacteur en chef m’a prévenue qu’un collègue plus âgé était connu pour draguer les jeunes journalistes de manière parfois très insistante. À l’époque, j’étais contente qu’il me prévienne, j’avais l’impression qu’il me protégeait, mais avec le recul, je me demande pourquoi il ne l’a pas viré. Surtout que quelques mois plus tard, au retour d’un reportage en soirée sur lequel on avait été envoyé·es à deux, ce même “dragueur”, marié et père de famille, est venu s’asseoir sur mon bureau pour me demander : “ça ne te plairait pas de me faire une fellation ?” J’ai failli vomir quand il m’a dit qu’il était tout à fait sérieux, à l’époque je ne l’ai pas dénoncé parce que je ne voulais pas faire souffrir sa femme, mais aujourd’hui, je le regrette. De toute façon, je suis certaine que si j’en avais parlé à mon rédac chef, ça m’aurait été reproché. On m’aurait dit que c’était moi qui le chauffais et potentiellement, c’est moi qu’on aurait virée pour ne pas qu’il y ait de malaise à la rédac’. Quand tu es harcelée au sein d’une rédaction, tu sais que c’est un milieu masculin et tu ne dis rien parce que tu as peur que ça se retourne contre toi, alors que c’est toi la victime. »« Au retour d’un reportage en soirée, ce collègue “dragueur”, marié et père de famille, est venu s’asseoir sur mon bureau pour me demander : “ça ne te plairait pas de me faire une fellation ?” J’ai failli vomir quand il m’a dit qu’il était tout à fait sérieux. »
Camille Wernaers, 31 ans, journaliste depuis 8 ans
C’est compliqué, parce que les journalistes vont dénoncer plein de choses extérieures, mais ont beaucoup de mal à admettre qu’il y a des violences aussi au sein même des rédactions. L’information, c’est le pouvoir, et tous les lieux de pouvoir sont des boys clubs, qu’il s’agisse des médias, de la politique ou de la finance. Les hommes se protègent entre eux, les rédactions mainstream ne sont pas des espaces safe pour les femmes, qui n’osent pas aller voir leurs hiérarchies en cas de problèmes. Les femmes journalistes sont dans des positions plus précaires que leurs confrères, et dénoncer, c’est tout de suite prendre de gros risques. »« L’information, c’est le pouvoir, et tous les lieux de pouvoir sont des boys clubs, qu’il s’agisse des médias, de la politique ou de la finance. Les hommes se protègent entre eux. »
Iris*, 38 ans, présentatrice TV depuis 15 ans
Finalement, le harcèlement amène le harcèlement, et quand une femme dit qu’on la harcèle, ça donne des idées à d’autres. Au sein des rédactions, comme ce sont surtout des hommes et que ça ne les concerne pas, si tu te plains, on va te dire que tu joues la victime. Sauf que oui, en fait, dans ces cas-là, il y a une victime et un ou des coupables ; et ça ne devrait pas invalider le témoignage. Finalement, le plus dur à vivre c’est ce qui se passe au sein des rédactions, parce qu’on nous fait vraiment sentir qu’on est une proie pour nos confrères et collègues.« À mes débuts, je rêvais d’avoir ma propre émission ou de devenir rédactrice -en -chef, mais on a brisé mes ambitions à chaque remarque sexiste et à chaque collègue masculin plus jeune et moins compétent qui obtenait une promotion à ma place. »
Florence Hainaut, 39 ans, journaliste depuis 15 ans
Ça fait des années que quand je m’en plains, on m’explique que c’est le revers de la médaille, mais quelle médaille justifie de se faire traiter de salope tous les dimanches ? Aucune. Heureusement que ce raid m’est arrivé maintenant et non il y a 10 ans, parce que je ne sais pas comment je l’aurais vécu. Là, j’ai le recul nécessaire. À force, j’ai compris que ce n’est pas moi en tant que personne qu’ils insultent, mais ce que je réveille en eux. Et ça, c’est leur problème. Par contre, ce que j’ai du mal à relativiser, c’est la réaction de mes pairs. Le manque de solidarité. Quand ce genre du sujet est abordé dans les médias, on rappelle que la cible s’exprime “sans filtre”, ou est “très franche”, on parle de messages “désagréables” ou “peu élégants” de la part des agresseurs au lieu de dire ce qu’ils sont : violents.« Ça fait des années que quand je m’en plains, on m’explique que c’est le revers de la médaille, mais quelle médaille justifie de se faire traiter de salope tous les dimanches ? »
Le harcèlement des femmes, journalistes ou non, sur Internet ou ailleurs, ça n’est pas un conflit de personnes ou une anecdote. C’est un problème politique et il est hallucinant que cette dimension soit encore niée aujourd’hui. Après on s’étonne que les femmes disparaissent des rédactions, mais évidemment qu’on s’en va, on ne veut plus être confrontées à ça. »« Après on s’étonne que les femmes disparaissent des rédactions, mais évidemment qu’on s’en va, on ne veut plus être confrontées à ça. »
Sarah Freres, 30 ans, journaliste depuis 5 ans
« Un collègue assis à côté de moi m’a dit que je pouvais porter plainte contre les propos sexistes de mon supérieur. L’ironie, c’est que ce même collègue m’a mis deux fois la main aux fesses par la suite. »
Louisa*, 26 ans, a quitté le journalisme après 3 ans de métier
Ces ragots de bas étages ont largement dépassé les murs de la rédaction puisqu’ils ont été colportés à des contacts professionnels, nuisant au sérieux de mon travail. “Ah tiens, toi aussi tu la reconnais de derrière”, a dit mon ancien supérieur à un Bourgmestre en me voyant accoudée à une fenêtre. L’objectification était constante au sein de la rédaction, c’était une ambiance de travail nocive, exploitante et dégradante. Mon rédacteur en chef m’appelait à 5h du matin et me pénalisait quand je ne répondais pas, parce que je devais “être tout le temps joignable”. C’est seulement une fois sortie du système qu’on se rend compte à quel point on est bien plus heureuses loin des rédactions. »*Prénom d’emprunt. Suivez VICE Belgique sur Instagram.« C’est seulement une fois sortie du système qu’on se rend compte à quel point on est bien plus heureuses loin des rédactions. »