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Santé

Voilà ce que ça fait d’être accro aux laxatifs

L’abus de laxatifs est une conséquence des troubles de l’alimentation dont on parle peu. Mais vu qu’il est si facile de se procurer ces cachets et d’y devenir accro, il serait temps qu’on le fasse.
Une femme floutée

La merde fait partie de nos vies. Mais elle est également une bonne mise à l’épreuve des mécanismes intérieurs qui régissent notre corps. Elle est de taille normale, bien ferme, avec une couleur convenable ? Alors ça va. Elle est noire et ressemble à du goudron ? Alors vous couvez probablement quelque chose. Si cela fait plusieurs jours que vous n’avez pas déposé les enfants à la piscine, alors mangez une banane ou allez à la pharmacie.

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Les laxatifs sont un atout de taille pour les gens touchés par la constipation, mais ils peuvent aussi masquer un secret assez toxique. Pour ceux qui ont des troubles de l’alimentation, les laxatifs peuvent devenir une béquille, voire une addiction ou une arme contre leurs propres corps.

L’anorexie et la boulimie sont, comme beaucoup d’autres problèmes de santé mentale, des sujets délicats à aborder. On les enveloppe dans la honte, l’infamie et la peur d’être vu différemment. Mais ce dont on entend encore moins parler, ce sont les hommes et les femmes recroquevillés en deux sur leurs toilettes, qui purgent leur côlon en quête de minceur, parce qu’ils ont abusé des laxatifs au point de ressentir une douleur aiguë. Il n’y a pas de statistiques exactes sur le nombre de gens concernés par ce « problème », mais on sait que la plupart des gens qui souffre de troubles alimentaires ont déjà utilisé ou utilisent des laxatifs.

Pendant six mois de ma vie, j’ai été de ces gens.

J’ai été sujette à l’anorexie pendant une grande partie de mon adolescence, et j’ai découvert les laxatifs Dulcolax à l’âge de 16 ans.

C’était à Noël, l’époque où tout le monde est en adoration devant l’autel du pétage de bide. Je n’avais pas chié depuis environ trois jours, ce qui me rendait anxieuse au point de ne pas en dormir. Peu importe l’intensité de mes efforts pour essayer de récupérer la nourriture de mon estomac via ma gorge – je me grattais les amygdales dans le vain espoir de vomir – rien n’arrivait. J’ai donc supplié mon père d’aller à la pharmacie pour prendre un truc qui m’aiderait à tout évacuer. Et ça a marché. Très bien marché. Inutile de dire que je suis devenue accro. Quand le placard de mes parents est devenu vide de ma nouvelle came, j’ai commencé à acheter moi-même les laxatifs et j’en ai pris tous les jours pendant six mois.

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« J’en prenais parce que je pensais que c’était une méthode efficace d’élimination, que je me "vidais" des calories avant que mon corps ne puisse essayer de les absorber »

Au cours de cette période, je me suis chiée dessus d’innombrables fois. J’ai laissé derrière moi des toilettes dans un état de champ de bataille. Mon estomac était apocalyptique, les crampes dévastatrices. J’ai inventé des dizaines d’excuses pour filer en douce m’accroupir sur les W.C. afin de laisser couler mes bronzes liquides. Je transpirais, j’avais des horribles gaz, et le sentiment interminable de savoir que j’étais remplie d’un « poison » qu’il fallait faire sortir.

J’achetais des laxatifs partout où je le pouvais : à la pharmacie du coin, au supermarché, dans les solderies. On peut le faire facilement sans ordonnance et il n’y a pas d’âge minimum. Je planquais les petites pilules jaunes dans mon portefeuille ou dans le trou de mon matelas. En cours d’espagnol, je les dénombrais sur mon bureau. Je suivais un timing parfait, je les prenais dix heures avant le moment où je voulais aller aux toilettes pour qu’ils me réveillent en pleine nuit, quand personne ne m’entendait.

Hélas, mes parents ont fini par l’apprendre. À un moment donné, ma mère s’est rendu compte qu’elle passait son temps à récurer des chiottes qui n’avaient jamais paru propres au cours des six derniers mois. Le masque était tombé. Honnêtement, j’étais soulagée. Mes parents ont été super et m’ont aidée à me remettre d’aplomb grâce à un traitement. Aujourd’hui, je ne suis plus dépendante des laxatifs.

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Mon point de vue privilégié m'incite à me poser des questions. Pourquoi ai-je fait ça ? D’où cela venait-il ? Pourquoi les gens qui ont des troubles de l’alimentation développent-ils une addiction aux laxatifs ?

Personnellement, j’en prenais parce que je pensais que c’était une méthode efficace d’élimination, que je me « vidais » des calories avant que mon corps ne puisse essayer de les absorber, que je m’absolvais de tout le gras consommé et que j’évitais la reprise de poids tant redoutée. L’impression d’être vide était addictive. Elle commençait à être nécessaire. J’avais peur de ne pas emporter avec moi mes fidèles pilules au cas où mon corps s’accrocherait à ce que j’avais mangé. Cependant, en y repensant, je pense que les raisons étaient bien plus complexes.

« J’ai beaucoup de problèmes avec mon système digestif et je dois prendre des médicaments qui me permettent d’aller aux toilettes. C’est quelque chose dont je ne vais sûrement jamais me remettre » – Jordan, 25 ans

Une étude médicale américaine perçoit l’excès de laxatifs comme une forme d’autopunition, et conclut que « l’automutilation et les caractéristiques potentiellement anxiolytiques ne doivent pas être prises à la légère ». L’abus de laxatifs neutralise certainement la peur de prendre du poids et, pour beaucoup – dont moi – les facteurs physiques constituent une forme d’automutilation.

Peu importe qu’une grande dose de laxatifs vous fasse vous sentir vidé ou en sécurité, la triste vérité est que leur rôle dans la perte de poids est presque nul. Avant que la nourriture n’atteigne votre grand intestin – l’endroit où agissent les laxatifs – la plupart des calories auront été absorbées par le corps. Ce que vous éliminez, c’est simplement de l’eau, des électrolytes, des minéraux et un tas d’autres déchets fécaux.

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Caitlin*, qui a découvert et qui a commencé à prendre des laxatifs quand elle travaillait dans une pharmacie, mais qui a arrêté depuis, perçoit maintenant la futilité de leur prise. « Les laxatifs te donnent un sentiment trompeur de sécurité. Tu penses que tu perds du poids, alors que tout ce que ça te fait, c’est perdre de l’eau et affecter de manière cruciale l’équilibre des électrolytes, ce qui a un impact sur ton coeur. Les laxatifs ne font pas du tout perdre du poids ».

Il y a un autre problème qui entre en jeu, celui de la tolérance. L’accro chronique aux laxatifs risque d’endommager le cycle naturel de son côlon au point de ne plus pouvoir déféquer sans une grande dose de laxatifs. Jordan, 25 ans, pense que l’excès de laxatifs a eu un effet extrêmement négatif sur sa santé. « J’ai beaucoup de problèmes avec mon système digestif et je dois prendre des médicaments qui me permettent d’aller aux toilettes, explique-t-elle. C’est quelque chose dont je ne vais sûrement jamais me remettre. »

La déshydratation qui va de pair avec l’abus de laxatifs peut également foutre en l’air les organes – la perte de minéraux essentiels comme le potassium met une énorme pression sur le cœur, les nerfs et le côlon. Parfois, cela engendre une hospitalisation. Dans l’émission de la BBC Watchdog, une femme témoigne : « À cause de mon excès de laxatifs, j’ai écorché mes muqueuses digestives. J’ai été plusieurs fois aux urgences à cause de spasmes de l’estomac et de maux de ventre sévères ». Désormais, elle a un syndrome d’intestin irritable. Comme avec n’importe quelle dépendance physique, le corps oublie en quelque sorte comment fonctionner sans.

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Le problème est qu’il est incroyablement facile de se procurer des laxatifs – qui, disons-le, sont des médicaments (voire des drogues) puissants. Est-ce que les pharmaciens devraient s’opposer ou au moins remettre en question la demande d’une fille qui sort de son lycée et veut acheter un laxatif ? Même si elle dit que c’est pour son père ? Peut-être. On a refusé ma demande une seule fois : l'assistant a demandé au pharmacien qui m’a dit non. Je me souviens que j’étais devenue toute rouge, l’angoisse étranglant mon estomac déjà vide alors que je sortais du magasin en traînant des pieds. Sauf que j’étais moins gênée qu’inquiète de devoir aller à un autre endroit pour avoir ma dose.

Lindsay, 20 ans, a consommé des laxatifs avec excès pendant sept ans. Récemment, elle a vu que l’enseigne de pharmacie Boots s’est mise à vendre les pilules par paquets de 100. « Honnêtement, ça rend juste le truc plus simple, pense-t-elle, en expliquant que les caissiers ne voient pas le problème. Personne n’a jamais rien dit alors que je prenais plusieurs paquets d’un coup », affirme Rebecca. De mon point de vue, le fait que Boots vende des laxatifs à la centaine tire la sonnette d’alarme. Ceux qui ont des troubles de l’alimentation se mettent en danger plus facilement.

Alors, qu’est-ce qu’on peut faire, au juste ?

Beat UK, la plus grande association britannique qui lutte contre les troubles de l’alimentation, appelle à un strict encadrement de la vente des laxatifs au Royaume-Uni. Plus précisément, elle milite pour un âge minimal (16 ans), une contenance maximale des boîtes, une régulation stricte de la vente sans ordonnance et des messages inscrits sur les boîtes disant clairement que « Ce n’est pas un produit pour perdre du poids ». Mais les supermarchés et les pharmacies sont restés assez silencieux sur ce sujet. C’est bien dommage, parce qu’un accès restreint est peut-être un moyen d’empêcher les conséquences sur la santé, qui sont une retombée de l’excès.

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On a l’impression que l’abus de laxatifs est un des derniers freins à l'instauration d'un débat plus large sur les troubles de l’alimentation – parce que, franchement, les gens ont toujours toutes sortes de préjugés quand ils parlent de caca. En dépit de la prévalence de cette conséquence des troubles alimentaires, on a toujours beaucoup plus de chances d’entendre l’histoire d’un garçon ou d’une fille qui a crevé de faim jusqu’à peser 30 kilos. Nous demeurons toujours choqués face aux images squelettiques de jeunes profondément malades qui ont des côtes et des clavicules qui perceraient presque leurs peaux épaisses comme du papier à cigarette. Nous sommes presque habitués à les voir. C’est cela qu’on associe à l’anorexie et au terme de « troubles de l’alimentation ».

Mais ce n’est pas parce que quelqu’un qui consomme trop de laxatifs ne correspond pas à cette image (au pic de mon excès, j’étais très maigre, mais pas assez pour choquer) qu’il n’est pas bloqué dans un cycle similaire d’abus, de douleur, de solitude et de détresse psychologique. Les jeunes femmes sont principalement sujettes aux troubles alimentaires et certaines d'entre elles abusent très certainement des laxatifs. C'est un mal qu’il faut arrêter d’esquiver comme on cache la poussière sous le tapis.

*Les prénoms ont été changés

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