les premières Prides en Belgique dans les années 1990
Société

Voici à quoi ressemblaient les premières Prides en Belgique dans les années 1990

« C'était inimaginable : si les gens m'avaient dit en 1996 qu’on obtiendrait le droit au mariage dans les dix ans à venir, je les aurais pris pour des dingues. » - Chille Deman, président de la Pride entre 1995 et 1999.

Le 5 mai 1990 a lieu le premier « Roze Zaterdag » (samedi rose, ndlr.) à Anvers. L'homosexualité est enfin mise en avant et les revendications politiques sont défendues sur des banderoles. Peu de temps après, l'événement est rebaptisé « Belgian Lesbian and Gay Pride » en raison de son grand succès. Les défilés attirent des milliers de visiteur·ses et deviennent plus grands, plus festifs et leur portée s'agrandit chaque année. Finalement, l'organisation change définitivement son nom en « Belgian Pride » en 2010, afin d'y inclure explicitement le thème du genre.

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Samedi dernier, la 25e édition de la Belgian Pride aurait dû avoir lieu, mais le coronavirus a tout niqué. Mais ça ne nous a pas empêché·es de revenir sur les premières éditions avec Chille Deman (71 ans), président de la Pride entre 1995 et 1999.


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VICE : Bonjour Chille. Qu'est-ce que ça vous fait quand vous revoyez ces vieilles photos ?
Chille : J’ai encore du mal à imaginer, 25 ans plus tard, ce que ça pouvait représenter pour l'époque. Par rapport au gros événement que c’est devenu aujourd'hui, les premières Prides ressemblaient plus à de simples manifestations. Tout a commencé dès 1990 avec les « Roze Zaterdagen » en Flandre et la création d'une plate-forme de revendications. Tous les deux ans, on organisait les défilés dans une ville différente. Quand ça a finalement été le tour de Bruxelles en 1996, le succès fut tel qu’on a décidé de maintenir l'événement dans la capitale. Depuis, on a continué sous un nouveau nom : la « Belgian Lesbian and Gay Pride » (BLGP).

Belgium Pride eerste editie brussel jaren 90 centrum

Défilé à Bruxelles pendant le BLGP à la fin des années 1990 (photo : Belgium Pride)

Comment s'est déroulé la journée en elle-même ?
Plus de 2 000 personnes ont assisté à l'événement, ce qui a constitué une étape importante à l'époque. Des gens sont venus de Flandre, de Wallonie et même de l'étranger. C'était une grande fête, mais nos revendications passaient avant tout. On a fait passer notre message en portant un drapeau arc-en-ciel de 50 mètres de long et on s’est organisé·es pour exprimer ces revendications. Il y avait notamment une calèche dans le cortège, avec deux couples à l'intérieur : deux hommes et deux femmes. On l’a fait pour la reconnaissance des couples homos.

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Malheureusement, notre parcours n’était pas aussi génial qu’aujourd’hui : on nous refusait l'accès au centre ville et on devait passer par des quartiers où il n'y avait personne. Le bourgmestre de l'époque, François-Xavier de Donnea, affirmait que les commerçant·es du centre préféraient garder le cortège hors de leur quartier. Quand on a ensuite fait circuler une pétition à ce sujet, il s'est avéré que la plupart d'entre elleux n'y voyaient aucun problème. C’est juste que le maire n'aimait pas ça. Il y avait toujours quelque chose en travers de notre route.

« Lors des deux premières Prides, certain·es participant·es voulaient venir masqué·es pour de ne pas être reconnu·es. Il fallait beaucoup de courage pour marcher avec nous. »

Parce que des gens étrangers au mouvement voyaient les choses différemment ?
Il y avait beaucoup moins de retours positifs que maintenant. Lors des deux premières Prides, certain·es participant·es voulaient venir masqué·es pour de ne pas être reconnu·es. Il fallait beaucoup de courage pour marcher avec nous. En fin de compte, presque personne ne portait vraiment de masque le jour même, mais on nous regardait avec suspicion à certains endroits. Il y avait des gens qui montraient leur pouce vers le bas, pour montrer qu'ils ne nous toléreraient pas.

Les médias ont également joué un rôle important à ce niveau. Il y avait un char de La Démence dans le cortège, avec des hommes musclés tout huilés et en string, avec des dragqueens. Le char a eu son succès, mais pas particulièrement plus que le reste du défilé, pourtant les médias ont quand même décidé de se focaliser dessus comme si ce char était la chose la plus importante de toute la Pride. Rien sur le drapeau arc-en-ciel ou les couples dans la calèche, il n’y en avait que pour des torses nus et des « travesti·es ».

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Belgische pride 1996 brussel

L'arc-en-ciel de 50 mètres de long, déployé à Bruxelles (photo: Belgium Pride)

Dans les premières années, les revendications n’aboutissaient à rien. J’imagine que c’était frustrant.
Parfois, j'en avais marre. C'est tellement de travail pour une seule journée. Mais quand le jour de l’événement arrivait et que je pouvais réaliser ce que ça représentait, c'était reparti. Le groupe s'agrandissait chaque année et la mentalité progressait de plus en plus. En 2000, la Pride comptait plus de 10 000 participant·es et quand Freddy Thielemans est devenu le nouveau bourgmestre de Bruxelles l'année suivante, tout a changé pour nous. Avant, la monde politique nous tolérait, aujourd’hui il nous accepte et nous soutient. Quand notre première revendication a abouti, j'ai explosé de joie. C'était inimaginable : si les gens m'avaient dit en 1996 qu’on obtiendrait le droit au mariage dans les dix ans à venir, je les aurais pris pour des dingues.

« Politiquement, on y est presque, mais socialement, il reste encore beaucoup de travail à faire. »

Quelles sont les plus grandes différences à partir de maintenant ?
Si vous participiez à la Pride il y a 25 ans, vous étiez généralement un·e militant·e actif·ve dans le mouvement. Tout ça a complètement changé. Maintenant, tou·tes celleux qui sont plutôt favorables à la diversité viennent avec nous pour célébrer.

Ça veut dire que les mentalités ont changé ?
Ouf… ça dépend. Il existe plus de 70 associations et organisations qui travaillent ensemble, et chacune a son propre point de vue. Avant, c'était facile : les revendications communes nous rassemblaient. Maintenant, toutes ces revendications ont été acceptées et c’est plus une question de feeling : certain·es trouvent l'atmosphère géniale, d'autres la trouvent trop commerciale et craignent le « pinkwashing ». Je suis moi-même en faveur d'une Pride où il y a de la place pour tout le monde, y compris pour le commerce, mais on doit veiller à ce que les associations et les militant·es gardent le dessus.

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Au cours des vingt dernières années, beaucoup de choses ont changé en termes de droits des personnes LGBTQ+ et toutes les revendications ont abouti. On y est presque ?
Politiquement, on y est presque, mais socialement, il reste encore beaucoup de travail à faire. Je fais toujours la comparaison avec le Droit de vote des femmes. Cette loi a été introduite il y a plus de 70 ans, mais l'égalité des sexes n'est toujours pas palpable. Il faut un travail sérieux pour faire percer certaines idées.

« Pour parvenir à une acceptation totale, des changements doivent avoir lieu dans toutes les couches de la société. »

En ce qui concerne la Pride, l'identité de tou·tes celleux qui en font partie doit être respectée. Non seulement l'identité des gays et des lesbiennes, mais aussi celle des personnes transgenres, intersexes, etc. Pour parvenir à une acceptation totale, des changements doivent avoir lieu dans toutes les couches de la société. La diversité doit être acceptée… non seulement de manière officielle, mais aussi dans la pratique.

Eerste Belgische pride brussel jaren 90

Ambiance festive lors de la première Pride à Bruxelles (Photo: Belgium Pride)

Ursulinenstraat 1998 brusselse pride jaren 90 huwelijksrecht

La marche à la rue des Ursulines, 1998 (photo: Hilde De Bock, collection Fonds Suzan Daniel)

Belgium Pride brussel jaren 90 eerste editie parade feest

Le BLGP à la fin des années 1990 (photo: Belgium Pride)

Roze Zaterdag jaren 90 homorechten huwelijk

« Je veux me marier » : l'une des premières « Roze Zaterdagen » en Flandre (photo: Belgium Pride)

Roze Zaterdag antwerpen jaren 90 belgie Pride

« Roze Zaterdag » à Anvers (photo: Belgian Pride)

Lesbische vrouwen in trouwjurk pride brussel jaren 90

Des femmes en robe de mariée (photo : Hilde De Bock, collection Fonds Suzan Daniel)

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