Masque BDSM de loup
Romain Vennekens

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Société

Les créatures nocturnes des soirées Bénédiction vont vous redonner la foi

Reportage dans les coulisses de cette cérémonie d’un genre nouveau à l’occasion de leur premier anniversaire au C12.
Romain Vennekens
Brussels, BE
Romain Vennekens
Brussels, BE

Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat entre VICE+ et Huawei.

À Bruxelles, dans le mouvement des corps libérés, dans les habits d’apparat et dans les rythmes électroniques, se tiennent des rituels contemporains et urbains destinés à apaiser l’âme moderne. Au delà des codes, des identités labellisées, les performeurs des « Rituels Exceptionnels » nous emmènent dans une étrange célébration afin de transcender ensemble une réalité trop fade à leur goût. Il est 14h, un dimanche, quand j’arrive au C12, nouveau venu parmi les clubs bruxellois. Ça sent la bière et la fumée froide. Dans un coin sombre, le visage éclairé par la lumière de son Mac, je retrouve Hugo. Avec Juriji qui s’occupe de la partie artistique, il organise la soirée et gère la logistique « On est un peu en retard. Mais pose-toi tranquillement. » Je suis là trop tôt. Les gars de la technique montent à peine la scène et dans les coulisses, il n’y a encore personne. J’en profite pour explorer le lieu. Le C12 est un endroit étrange que j’apprécie. Nous sommes dans une ancienne galerie commerçante, sous l’hôtel Hilton, à côté de la gare centrale. Venir ici la nuit, c’est comme pénétrer de joyeuses catacombes cachées sous la ville. Et cela m’amuse toujours d’imaginer des couples friqués dormir tranquillement dans des suites à 300 euros, alors que quelques mètres en dessous, on sue à gros coup de beats électroniques.

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15h, valises à la main, trench et hauts talons, Juriji dirige l’installation. Dans un couloir étroit et bétonné qui servira de coulisses, il faut dresser des tables, monter des tringles, poser des miroirs. Les autres performeurs ne tardent plus à arriver et l’espace confiné ressemble vite à une jungle de vêtements, de perruques et de trousses à maquillage. Alors que tout le monde s’installe, je demande à Juriji l’origine et le sens de cette soirée. « La Bénédiction est un rituel queer inspiré des cabarets et des spectacles de drag. » m’explique-t-il. « Mais pas seulement. J’en avais marre de ces soirées où chacun danse dans son coin, je voulais créer un espace de communion. Entre les gens surtout et puis entre les performeurs et le public. Un lieu où se mélanger sans définition de normes ou de genres ». Tout en me parlant, il enfile un bas-résille. Derrière lui, une des performeuses tente tant bien que mal de coller de faux poils sur son entrejambe pour former une croix poilue en guise de cache sexe. Juriji sourit : « Le dimanche, certains vont à la messe, nous on a la Bénédiction ». 18h. La scène est finalement montée mais les lumières doivent encore être réglées. La tension est palpable. Il faut absolument répéter le tableau d’entrée mais la confusion règne. Juriji, qualifié ici de mère supérieure, donne alors le ton. Il explique le déroulé, corrige une posture, confirme une tenue, conseille un accessoire. Le tableau se met en place et à 19h, tout le monde est de retour dans les coulisses pour les derniers préparatifs. A travers mon objectif, je regarde ces corps qui se transforment : les créatures de la Bénédiction prennent vie. Soudain, on m’interpelle : « Si tu veux, on peut te prêter des fringues ». Je relève la tête, un peu surpris. Un t-shirt blanc transparent et un harnais en cuir plus tard, voilà mon corps raisonnablement peu musclé, moulé à souhait. Il faut croire qu’ils en avaient marre de me voir trop habillé alors qu’autour de moi, tout le monde gambade à moitié à poil. Être caméléon, ça fait partie du taf, non ?

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Il est 20h, on vient d’ouvrir les portes. Dans la salle, un épais rideau de fumée remplit tout l’espace. On ne distingue bientôt plus que des silhouettes et des ombres. Dans un talkie-walkie une voix s’inquiète : « Quelqu’un peut couper la fumée, on y voit plus rien ! ». Je vais me chercher une bière, la tension a fini par m’atteindre moi aussi. Dans ce brouillard artificiel, j’erre comme un spectre qui veut prétendre à son état d’ébriété. L’heure avance et plusieurs sont encore en train de se maquiller quand Florent, qui aide aux costumes et assume un rôle de régisseur, s’impatiente gentiment « Dans cinq minutes, on lance ! ».

21h, tous se placent dans le couloir. Pour ce premier tableau, ils sont vêtus de blancs. J’observe ces corps partiellement dénudés, habillés de fins voilages, de coiffes et de parures, telle une suite nuptiale dévergondée et flamboyante. Ils sont beaux. La porte des coulisses s’ouvre : l’air chaud et moite de la salle s’engouffre violemment, la musique commence, le public, serré contre la scène, rugit. Soudain, ce ne sont plus des hommes ou des femmes que j’ai devant moi, mais des âmes du purgatoire prêtes à entrer dans le feu purificateur d’une foule attisée. Le rituel peut commencer.

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De ce monde qui prend vie sur scène, je ne verrai que peu de choses. Je reste de l’autre côté, dans les senteurs de poudre et mascaras. Les performances s'enchaînent et les tenues aussi, avec toujours plus de faste, de singularité. Au delà du bon goût, règnent l’outrance et le sublime. Ce soir, on s’amuse, on célèbre les corps et les identités qui diffèrent. Chacun brille de ces personnages qui l’habitent, fort de ses contraires et de ses incohérences. 23h, tableau final. Tous sont sur scène pour un dernier éclat. L’une d’entre eux, gâteau en papier en guise de robe, bougies sur les seins, symbolise avec charme et joyeuseté le premier anniversaire de ces soirées. La foule est bénie de confettis, de paillettes et de chantilly. La grande messe est terminée. De retour en coulisse, le champagne coule et réchauffe les gorges, la pression retombe. Dans la salle, Kiddy Smile, prince des ballrooms parisiennes, balance ses sons. La fête a pris possession du C12 et tous danse, danse, danse. Pour moi, c’est à ce moment que le mot de rituel prend réellement son sens. Dans ce désordre libérateur, la vraie transcendance opère. Il me semble cependant que si ce soir elle est si forte, c’est grâce à la catharsis première qu’ont représenté ceux et celles qui sont montés sur scène. Je me mêle à la fête, je m’oublie. Sous les stroboscopes, tout n’est plus que corps en mouvements, hormones dérégulées, joies et bouches partagées. Qui se soucie encore de son lundi matin dans cet instant d’éternité ?

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