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Les e-boys et la sordide promotion des violences conjugales sur TikTok

La dernière tendance sur les réseaux sociaux ? Simuler l’« ex-petit ami jaloux » pour obtenir des likes.
Skyler Haus TikTok POV
Image via @skylarhaus sur TikTok

Si toutes les créations de Dieu se trouvent sur TikTok, il est une espèce qui se distingue de toutes les autres : l'e-boy. Reconnaissable à ses cheveux souples, ses colliers et ses t-shirts des années 90 superposés sur ses manches longues, il se déplace généralement en mimant du play-back et en faisant des clins d'œil. Parmi ses congénères, une nouvelle tendance se dessine.

Cherchez « crazy boyfriend » ou « psycho ex » sur TikTok et vous trouverez une pléthore de posts où des adolescents maniérés froncent les sourcils, crient ou sourient de façon menaçante en POV devant la caméra. Un post, dans lequel un type tient une batte de base-ball et passe un doigt sur sa gorge, compte plus de 20 200 likes. La légende : « Je suis fou et je t'aime toujours. Largue ton mec ou il lui arrivera des bricoles. »

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Malheureusement, ces jeunes hommes, qui tentent de séduire la caméra tout en abusant d'une petite amie imaginaire, ne semblent pas utiliser la plateforme pour condamner les violences conjugales. Ils semblent plutôt avoir confondu le fait d'être un « bad boy » avec le fait d'être violent. Tout comme les vidéos de jeunes femmes simulant des violences domestiques sur TikTok, celles-ci sont regardées par des centaines, voire des milliers d’utilisateurs.

« Le fait de romantiser des relations abusives pour des likes devrait être universellement offensant. Alors pourquoi tant de filles aiment-elles regarder ces posts ? »

Ryan Esling, 16 ans, compte plus de 580 000 abonnés sur l'application. L’idée de se filmer en train de jouer « l’ex jaloux » qui tue le nouveau mec de son ex lui a été inspirée par la série You sur Netflix. « J'ai remarqué que les ados adoraient le côté psychopathe du personnage principal de la série, dit Ryan. Beaucoup de filles m’ont dit qu’elles trouvaient ça attirant. »

Et en effet, ces vidéos reçoivent généralement des réponses positives de la part des utilisatrices. Dans l’une d’elles, un garçon fait semblant de tuer sa copine pour l'avoir trompé. Dans les commentaires, de nombreuses filles l’encouragent : « Moi, je ne te tromperais jamais », « j’ai des papillons », « C'EST GENIAL ».

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Les vidéos sont bien sûr aussi critiquées ; dans un commentaire, une fille dit avoir subi un flash-back, tandis qu'une autre écrit : « Pouvons-nous arrêter de glorifier les relations abusives ? Tu ne ferais pas des vidéos mignonnes à ce sujet si tu savais vraiment ce que c’est. »

Le fait de romantiser des relations abusives pour des likes devrait être universellement offensant. Alors pourquoi tant de filles aiment-elles regarder ces posts ? Selon une utilisatrice TikTok, qui souhaite rester anonyme, c'est le personnage du « bad guy », plutôt que la violence représentée, qui séduit.

Il s'agit plutôt de la façon dont les médias, le cinéma et la télévision dépeignent le « bad guy » comme quelqu’un de mystérieux et d’attirant, qui amène de nombreuses filles, et garçons aussi, à avoir une attirance subconsciente pour ce type de personne, explique-t-elle. « Je suis moins attirée par le fait que le type joue un psychopathe, et plus par le fait que je peux le relier à un personnage que j'aimais bien dans un film ou une série. »

Kim, 20 ans, suit le très populaire Jordan Boulet-Viau sur TikTok. « Je déteste quand on me crie dessus, et je ne voudrais pas que mon petit ami me fasse du mal, dit-elle. Mais je suppose que tout le monde a des fantasmes. »

« Je trouve les vidéos de Jordy plutôt sexy, poursuit-elle. Bien qu'il soit un peu tordu et toxique, il est séduisant, parce qu'il montre que ça le touche. Je sais que c'est beaucoup trop pour une relation qui fonctionne, mais dans ces vidéos, je trouve ça charismatique, en quelque sorte. »

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Une autre utilisatrice, Selena McDowell, dit que beaucoup de gens romancent les abus sur l'application : « Honnêtement, je crois que j'ai été trop désensibilisée. Je regarde des émissions d’enquêtes criminelles tous les jours, alors les choses qui devraient me faire peur ou me contrarier ne me font plus rien. Mais s’il n’y avait pas le filtre et la musique, je pense que la vidéo aurait un effet différent sur moi. À mon avis, c’est dû en grande partie au montage. »

Lucy Hadley, responsable des politiques et des campagnes de l’association Women's Aid, spécialisée dans la lutte contre les violences domestiques, trouve ces vidéos très inquiétantes.

« Ce qui me préoccupe, c'est qu'alors même que nous sommes en période de pandémie et que les victimes de violences conjugales nous signalent que les abus s'intensifient, les comportements jaloux et dominateurs sont glorifiés sur les réseaux sociaux. » Sauf qu’un petit ami abusif n'est pas un « bad boy » ou un personnage que les gens devraient se sentir à l'aise d'imiter pour accroître leur influence en ligne.

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