Entrepreneurs noirs
Arlindo, Primrose et Kelian.
Société

Pourquoi on a besoin de plus de Noir·es dans l'entrepreneuriat en Belgique

« Les jeunes ont besoin de voir qu'on réussit aussi dans d'autres domaines que le sport ou la musique, car c'est très limitant comme image. »
AL
Brussels, BE

À l'occasion du Black History Month, on revient sur l'histoire de la diaspora africaine, on célèbre sa culture et on creuse les questions que soulèvent le colonialisme.

On a toujours cette image des personnes noir·es qui n’arrivent à percer que dans le secteur du divertissement. Il est vrai que dans certains secteurs, la diversité se fait plutôt discrète. On a rencontré quatre personnes de couleur bien parties pour réussir dans l'entreprenariat. Si ce n’est déjà fait. Iels nous parlent de préjugés, de confiance en soi et de pourquoi il est important de voir les minorités représentées dans des positions d’influence.

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Kelian (28 ans), créateur de la marque Suami

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VICE : Salut Kelian, tu peux nous en dire plus sur toi?
Kelian : J’ai fini mes études en économie et gestion à Louvain il y a cinq ans. Là, j’ai lancé une marque de maillots de bain design durable pour hommes. J'utilise des bouteilles de plastique usées pour fabriquer du polyester recyclé. Je voulais qu’il y ait une forte intégration de l'éco-responsabilité. Ça me permet de faire écho au monde d'aujourd’hui et d'avoir un impact positif.

Selon toi, c’est quoi les obstacles qu’il y a encore pour les personnes noires dans le monde du travail ?
Le truc, c’est qu’on doit prouver davantage par rapport à une personne qui a l’air d’être est née ici, et pour qui toutes les portes s'ouvrent beaucoup plus facilement. Nos parents et la société nous poussent à faire des étudeset à faire carrière. On a surtout vu les portes se fermer pour nos parents qui devaient cravacher et se démener pour nous et notre éducation. Ma mère a eu du mal à trouver un travail pour subvenir à nos besoins. Mes grands frères ont aussi galéré pour décrocher un job étudiant parce qu’ils n’avaient ni la bonne tête, ni le bon nom. C’est difficile quand on juge sur l’apparence ou le nom de famille. Il y a des stéréotypes ancrées chez certaines personnes, du style « les Noir·es sont toujours en retard et paresseux. »

« Étant de la seconde génération, ça devient plus facile. Mais il y a peu de jeunes issu·es de la diaspora avec des success stories dans l'entreprenariat. »

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Et toi, comment tu le vis personnellement ?
Étant de la seconde génération, ça devient plus facile. Mais il y a peu de jeunes issu·es de la diaspora avec des success stories dans l'entreprenariat. Quand il y en a, c’est presque toujours dans le divertissement, style le rap ou le sport. Comme beaucoup, j’ai toujours vécu avec le sentiment de devoir doublement prouver aux autres et à moi-même que je suis à ma place et que j'ai les compétences pour. Plus jeune, j'avais un manque de confiance en moi mais au fil des années, ça s'est résorbé par le travail et par mes accomplissements. On ne nous a jamais appris à croire en nous. Si on rappelle constamment à quelqu’un qu'iel est mauvais·e en math, iel finira par croire qu'iel est mauvais·e tout court.

Primrose (27 ans), assistante parlementaire

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Photo : Robin Cuvillier.

VICE : Salut Primrose, tu peux nous parler un peu de ton parcours et de ton travail ?
Primrose : Je travaille pour deux députées socialistes néerlandophones de one.brussels-s.pa. Je fais aussi la comm’ pour une artiste, Zap Mama. Pendant mes études en communication, j’ai fait mon mémoire sur la représentation des minorités noires dans les médias. Puis je suis entrée dans le milieu culturel, activiste et académique quand j’ai fait du bénévolat au Musée royal de l’Afrique Centrale, qui m'a ensuite proposé un poste de RP pour les communautés africaines.

« Puis si les gens se disent que j’ai été sélectionnée parce que je suis noire… en soi je suis aussi trilingue et j'ai un master. »

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Tu peux nous en dire plus sur ton vécu dans ces milieux professionnels ?
Pour le musée, j’ai senti le manque de diversité au sein de l’institution. En politique, à Bruxelles, il faut distinguer le côté francophone où, depuis longtemps, des personnes d'origine africaine sont présentes alors que du côté néerlandophone, il y a un manque de diversité. J’ai d’ailleurs été engagée en même que deux autres collègues d’origine congolaise. On en a déduit qu’iels se sont rendu compte qu’il fallait approcher des jeunes de la diaspora.

Ce serait une histoire de quotas ?
J’ignore s’il y avait des quotas mais si on doit parler de discrimination positive, je ne suis pas contre. Ça permet à certain·es d’avoir une chance que normalement iels n'auraient pas eue. Parfois, il faut pousser un peu et espérer qu'à terme ça se fasse naturellement. Puis si les gens se disent que j’ai été sélectionnée parce que je suis noire… en soi je suis aussi trilingue et j'ai un master.

Quels sont les problèmes quant à la place des Noir·es dans la société ?
On a un problème à nous considérer comme Belges. Pour beaucoup, on reste des étranger·es alors qu'on est né·es ici et qu’on a grandi ici. À la réouverture du AfricaMuseum, on a beaucoup parlé de ce qu’il représentait, de la décolonisation et la reconnaissance des minorités dans la société belge. En politique, on parle de la décolonisation de l’espace public. Mais on ne parle pas vraiment du racisme institutionnel et de l’exclusion des minorités.

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Qu’est ce qui aiderait les communautés minoritaires à avancer ?
Je pense qu’il est temps de fonder une maison de la culture africaine. Puis il faut qu’on continue à se rendre visibles et à se faire entendre. Il y a des médecins et ingénieur·es Noir·es mais on ne les voit pas dans les médias. Les jeunes ont besoin de voir qu'on réussit aussi dans d'autres domaines que le sport ou la musique, car c'est très limitant comme image.

Arlindo (33 ans), chef d’entreprise

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VICE : Hello Arlindo, tu nous racontes un peu ce que tu fais dans la vie ?
Arlindo : J'ai ouvert « Sparagus Consulting » il y a trois ans, une société de consultance dans l'informatique. Mon activité secondaire, c’est un label appelé « 0toten » que j’ai créé avec un pote. On travaille avec des artistes belges qu'on a signé chez Sony et Universal et qu’on continue à développer. J'ai fait mes études à Londres, en Business Management et Marketing. J'ai ensuite travaillé pendant 5-6 ans dans diverses entreprises avant de me dire de lancer ma propre activité.

« Quand je vais en meeting avec un de mes associés blancs, beaucoup pensent automatiquement qu'il est le patron et que je suis son assistant. »

Y a beaucoup de personnes de couleur à ton niveau dans ton secteur en Belgique ?
Très peu en comparaison avec l’Angleterre. Je pense que c'est une question de mentalité. J'ai l'impression qu'ici, le discours est toujours un peu négatif : « C’est compliqué parce qu'on est Noir·es, etc. » Ok, faut peut-être travailler un peu plus que les autres, mais ça ne veut pas dire qu’il impossible de réussir. Si on reste négatif·ves, clairement, ça va pas le faire.

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Des frustrations, j’en ai connues aussi. Par exemple, quand je vais en meeting avec un de mes associés blancs chez des client·es, beaucoup pensent automatiquement qu'il est le patron et que je suis son assistant. Parce que lui c'est le grand Blanc et moi je suis le Noir à côté. Après, au fil de la discussion les gens se rendent compte qu'on est sur le même pied d'égalité. C’est systématique.

« Je suis attaché à mes racines, mais je suis né ici. Donc qu'on le veuille ou non, je suis belge et j'ai autant le droit de réussir en Belgique. »

Quelle serait la solution pour faire bouger les choses selon toi ?
Ne pas partir sur une défaite avant de commencer la course en se disant : « Je suis Noir·e donc y'a pas moyen que ça ne fonctionne. » Dans beaucoup de pays, il y a des personnes d'origines africaines qui ont monté un business rentable. Ensuite, il faut pas hésiter à contacter d'autres gens qui ont réussi à atteindre un certain niveau d'entreprenariat et leur demander conseil. Au fond, les gens aiment aider les autres.

Beaucoup de gens de la diaspora parlent de repartir en Afrique, car ici il n'y aurait pas d'opportunités pour nous. Mais personnellement, je suis né ici. Je suis attaché à mes racines, mais je suis né ici. Donc, qu'on le veuille ou non, je suis belge. J'ai donc autant le droit de réussir en Belgique.

Emilie (26 ans), consultante en crypto-monnaie et conférencière

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Emilie dans l'émission T.T.C. sur RTS, en Suisse.

VICE : Salut Emilie, tu peux nous en dire plus sur ton boulot ?
Emilie: Je termine un livre sur le futur de la monnaie. Je fais des conférences et de la modération d'événements et puis je donne des cours sur la blockchain et la cryptomonnaie. Je travaille aussi comme consultante pour des startups et différentes boîtes pour les aider à lancer leurs projets sur blockchain. J'ai voyagé un partout dans le monde.

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« Je suis limite un ovni dans le secteur. »

Comment décrirais-tu ton secteur en termes de diversité ?
Je suis limite un ovni dans le secteur, déjà parce que je suis une femme - 85 à 95% des utilisateur·ices de crypto-monnaie sont des hommes. C'est vrai que je vois vraiment pas beaucoup de diversité raciale. La crypto et la blockchain, c’est un milieu d'hommes blancs et jeunes, mais on m’a jamais rejetée ou exclue. Après le racisme, c'est plus de la discrimination dont tu ne te rends pas toujours compte. En réalité, mon identité finit par jouer en ma faveur parce qu'on parle de plus en plus du manque de diversité, donc les gens ont clairement intérêt à me mettre sur scène lors des conférences.

Faut savoir que c'est un secteur avec une idéologie très ouverte ; tout le monde peut entrer. Tu n'es représenté·e sur le réseau que par un ordinateur. Les vrai·es amateur·ices de la crypto pure sont des gens en faveur de l'ouverture complète et sans frontières où on finirait par s'organiser par communautés de valeurs plutôt que par état-nation.

« En tant que personne de couleur, on ne s’attend pas à ce que tu réussisses. On s’attend à ce que tu sois divertissant·e et que tu fasses rire la cavalerie, mais c’est tout. »

Et en dehors de ton boulot, tu le sens le racisme ?
C'est limite fini l'époque où on va te dire en face : « ferme ta gueule sale nègre, je veux pas de toi chez moi. » Le racisme devient de plus en plus insidieux. Les gens n'ont pas envie d'être vus comme racistes, donc iels ne le sont pas ouvertement. Mais c’est difficile de se défaire des préjugés et a prioris. Aujourd’hui, on doit encore s’européaniser pour compenser le cliché sur Noir·es. Je pense que le racisme s'arrêtera au moment où, on ne devra plus se formater aux normes ethnocentristes. C'est-à-dire, pouvoir être une personne de couleur, avoir un nom non-européen, avoir un accent, porter tes cheveux au naturel et des vêtements traditionnels, etc. sans devoir te dénaturer au profit d'une identité européenne, pour paraître plus compétent.

Qu'est ce que tu a à dire aux autres personnes de couleur ?
En tant que personne de couleur, on ne s’attend pas à ce que tu réussisses. On s’attend à ce que tu sois divertissant·e et que tu fasses rire la cavalerie mais c’est tout. Et ma réponse à ça c’est : « Fuck them. » Crée ton business, deviens entrepreneur·se et crée ton propre succès avec ta propre identité. Ce truc de « black and proud » peut paraître bateau mais c’est important.

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