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Ce qu’est le greensplaining et pourquoi il faut l’éviter à tout prix

Le mansplaining à l’ère de l’urgence climatique…
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Photo Getty Images

Audrey Roy se souvient de cette première date Bumble, il y a quelques semaines, avec un Nicolas prometteur, qui avait de la répartie et la mâchoire carrée. Elle commande une première bière, un peu nerveuse, et commence par les banalités d’usage : « J’ai dit que j’habitais loin et que j’étais venue en char, et là, il a poussé un long soupir, raconte-t-elle. Il a commencé à me dire : “Tu sais, chaque fois que tu prends ton char, ton empreinte carbone c’est bla bla bla…” et il a commencé à faire mon bilan d’émissions de gaz à effet de serre. » Audrey, qui étudie au Collège Maisonneuve, a participé activement aux manifestations étudiantes pour le climat cette année. Oui, elle sait que c’est mauvais pour l’environnement de prendre sa voiture. « Il m’a fait dix minutes de greensplaining avant que je puisse dire un mot, raconte Audrey. Je suis partie avant la fin de ma pinte. »

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Le terme greensplaining n’est pas encore entré dans le dictionnaire, et il n’est même pas mentionné dans le fameux Urban Dictionary, mais on l’entend de plus en plus, particulièrement dans les cercles environnementaux. Les greensplainers sont ces gens qui vous font la morale en surexpliquant (sans que vous ayez demandé quoi que ce soit) avec condescendance pourquoi l’avion que vous avez pris l’été dernier a détruit la planète, quelle souffrance a causée votre sandwich ou à quel point vous recyclez de travers.

« Le greensplaining, c’est une forme de sexisme qui s’est transformé, explique Elza Kephart, réalisatrice et militante écologiste. Les hommes peuvent trouver qu’ils ont désormais une bonne raison de mansplain, ils se sentent plus à l’aise de le faire parce qu’ils parlent d’environnement et que c’est une bonne cause. »

Les activistes environnementaux expliquent qu’ils sont particulièrement ennuyés par cette tendance , parce qu’ils pensent que les gens risquent de faire l’amalgame entre greensplaining et militantisme.

« Le problème, c’est que les gens pensent qu’il y a des greensplainers dans tous les groupes, dit Louis Ramirez, militant du groupe Extinction Rebellion. Ils pensent qu’on est tous vegans, sans voitures, qu’on prend jamais l’avion, etc. Mais c’est pas vrai, on n’est pas là en train de dire : il faut que vous changiez, et nous, on est meilleurs. On est en train de dire : on est collectivement en train de vivre quelque chose qui est en train de nous détruire et on peut faire quelque chose ensemble. »

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Louis Ramirez a lui aussi remarqué que les femmes étaient particulièrement visées par cette façon de surexpliquer les questions de climat. Ce spécialiste en communication a justement travaillé sur un rapport sur les façons de parler des changements climatiques, sans être moralisateur ni culpabilisant : « Dire à quelqu’un : “Allez, fais tes petits gestes”, c’est comme dire à un enfant : “Vas-y mange ton brocoli très vite, comme ça, tu le sentiras pas », tu leur apprends pas l’amour de la chose. Le greensplaining, 1) ça t’isole, ce qui est démotivant, 2) eux se sentent culpabilisés, donc ils ne t’aiment pas, et 3) ils ne changent pas d’avis. »

Tous les témoins s’accordent pour dire que les greensplainers ne sont pas là pour écouter ou éduquer, mais plutôt pour étaler leurs connaissances. C’est l’expérience d’Émilie Côté, jeune doctorante qui a écrit des rapports sur les sables bitumineux, un sujet qu’elle étudie depuis plusieurs années. Lors d’une soirée, un ami d’un ami apprend qu’elle travaille sur le sujet : « Il a commencé à m’expliquer ce qu’étaient les sables bitumineux », raconte Émilie. Au début, elle a pensé qu’il avait mal compris : « Oui, je sais, c’est mon sujet d’études, c’est mon sujet de doctorat », a-t-elle insisté. Mais l’étudiant a sorti un crayon et un papier « et il a dessiné quelque chose pour me montrer la composition des sables… [Elle marque une longue pause.] C’est dans ces moments-là que tu dois te contrôler pour ne pas dire une insulte. »

Émilie a choisi de quitter poliment la table et d’éviter cet homme le reste de la soirée : « Je dois souvent expliquer à mes parents ou d’autres gens des informations sur le climat, mais je sais comment le faire sans avoir l’air d’une asshole, dit-elle . En fait, c’est surtout ça la morale : don’t be an asshole, surtout pas sur un sujet aussi important que l’environnement. »

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