Le long chemin pour arrêter de fumer quand on est même pas un vrai fumeur
Illustration par Mathieu Rouland

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Dossier sobriété

Le long chemin pour arrêter de fumer quand on est même pas un vrai fumeur

Je n’avais jamais le goût de fumer, mais je n’étais pas capable d’arrêter.

On pourra toujours m’accuser de profaner l’ordre social, mais je le dis en toute honnêteté : fumer, c’est fun. Le simple geste de porter une cigarette à ses lèvres est un poème. Je me bercerais au crépitement d’un bout de cigarette qui s’embrase dans la flamme d’un briquet, à la sensation d’une bouffée tirée jusqu’au fond de mes poumons, à la légère sensation d’euphorie qui me gagne quand je souffle la fumée dans la nuit. Il y a quelque chose de sexy à dire « fuck you la mort » avec sa bouche, mais sans les mots.

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Mais bon, ça donne le cancer.

Ça noircit les poumons. Ça me donne l’impression d’avoir la gorge en lambeaux quand je me réveille le lendemain d’une soirée arrosée d’alcool où j’ai décidé de chain-smoke un paquet entier comme si ma vie en dépendait, parce que, justement, je suis maître de ma propre vie. Ça me creuse des rides que j’aimerais mieux ne pas voir avant les 15 prochaines années. Et ça sent la mort.

J’ai toujours fumé par plaisir. La preuve : je n’avais jamais envie de fumer à des moments où je trouverais dégoûtant de fumer, comme le matin en attendant l’autobus ou à la pause au travail. Je pouvais passer trois semaines sans fumer, sans effort. Je pensais qu’en conséquence, je n’étais pas accro à la cigarette.

C’est en tentant d’arrêter que j’ai compris que j’avais tort, et que mon passe-temps hédoniste n’était qu’une tendance à l’autodestruction déguisée en apparence de contrôle.

Premier essai : l’échec

J’ai essayé d’arrêter de fumer pour un article. Pas celui-ci, un autre qui n’a jamais été écrit. C’était en février dernier. Je me suis dit : je vais prouver à quel point c’est facile. Je vais documenter ma démarche, ça va être très VICE.

Je n’ai pas fumé pendant trois semaines, sans même ressentir l’envie une fois. Puis il y a eu des partys où j’ai un peu trop bu, et j’ai fumé. Puis au printemps, un décès soudain. Sous le choc, j’ai fumé par réflexe. C’est là que j’ai complètement abandonné le projet.

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J’ai recommencé à fumer autant qu’avant. À voler des puffs à ma mère en regardant Bye-Bye Maison et à écouter avec délice mon ami qui cite approximativement Les amours imaginaires dès qu’il s’allume une clope et qu’il est un peu saoul. « Moi, quand je suis au fond du câlisse de baril, c’est ben tout ce qui me reste, m’allumer une cigarette », mais avec des mots en moins, ou en plus.

Une question de vie ou de mort

Si je trouvais important de parler de cigarette occasionnelle, c’est que ça touche beaucoup de mes semblables. Les jeunes adultes sont les plus grands fumeurs occasionnels de la province. D’après les données de Statistique Canada, environ 10 % des Québécois de 18 à 34 ans fument à l’occasion, tandis que 13 % d’entre eux fument tous les jours.

Et bien qu’on sache tous que la cigarette est néfaste, on dirait que le temps d’un party, ça paraît plus inoffensif. En tous cas, mes amis ont tenté de m’en convaincre quand je leur ai annoncé en novembre (à mon deuxième essai) que j’arrêtais de fumer.

« Mais voyons! Juste une cigarette! Viens avec nous! Tu le sais que t’aimes ça! C’est pas grave, fumer juste une cigarette. » Je me sentais dans une mauvaise pub de sensibilisation au tabac. Un peu choquée, je me suis tournée vers un autre ami, et il m’a dit exactement la même chose. « Viens, tu adooooores fumer, juste une cigarette, c’est pas grave! »

Sauf que c’est grave. C’est noir sur blanc : juste une cigarette par jour va accroître considérablement les risques de maladies du cœur et de crise cardiaque. Ç'a été démontré par une récente et vaste méta-analyse de 141 études de cohorte longitudinales, effectuées dans 21 pays, entre 1945 et 2015. Une étude de 2017 assure aussi que les fumeurs occasionnels ont de plus hauts risques de mortalité que les non-fumeurs, toutes causes confondues. Cela comprend le cancer du poumon et les maladies cardiovasculaires.

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Bref, la cigarette que tu fumes pompette, parce que rien ne peut t’atteindre quand tu es pompette, elle est délicieuse, certes. Mais elle va te tuer.

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Deuxième essai

Environ 6 % des fumeurs arrivent à arrêter la cigarette, dans une année, tandis qu’un peu plus de la moitié essaie et échoue. Quand on a lancé notre dossier sobriété, je me suis dit que je ne voulais pas être un échec. J’ai repris le projet avec la ferme intention de réussir.

J’ai choisi de consulter pour mettre toutes les chances de mon côté, et j’ai pris rendez-vous à mon CLSC local, avec une intervenante du centre d’abandon du tabac. Elle a admis ne pas avoir traité beaucoup de cas comme moi. Apparemment que c’est rare, les idiots qui pensent que c’est une bonne idée de fumer une fois aux deux semaines ET qui se donnent la peine d’aller consulter pour arrêter de fumer. Mais peut-être qu’on devrait le faire plus souvent.

J’ai passé un questionnaire sur mes habitudes tabagiques. On aurait normalement élaboré un plan d’intervention en conséquence, mais dans mon cas, c’était difficilement applicable, vu que je ne fume même pas tous les jours.

J’ai demandé à l’intervenante s’il était possible de fumer sans être accro. Elle m’a répondu qu’il y avait plusieurs façons d’être accro. Il y a ceux qui fument tous les jours parce qu’ils ont une dépendance forte à la nicotine. Moi, j’entre dans la catégorie des « addicts sociaux », ce qui veut dire que j’ai une addiction, mais elle est liée à certaines habitudes : les partys, les amis, l’alcool.

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Elle m’a suggéré des produits à la nicotine pour contrôler mes envies de fumer. Spontanément, j’ai refusé. Dans ma tête, les patchs de nicotine, c’est l’étape juste avant le trou dans la gorge qui te permet de respirer. Mais en me décrivant chacun des produits (et parce que j’avais droit à un échantillon gratuit), je me suis laissée tenter par un paquet de pastilles à la menthe qui contiennent 2 mg de nicotine.

Dans le bureau de l’intervenante, à parler d’arrêter la cigarette pour toujours, je n’avais qu’une envie : en coller une entre mes lèvres et aspirer de la boucane. En sortant, j’ai tout de suite pris une menthe à la nicotine. J’ai été surprise par la saveur agréable. Le temps que j’arrive à l’arrêt de bus, la pastille était infecte, granuleuse et rance. Je l’ai recrachée. L’envie de fumer était partie. L’envie d’un jour remettre une de ces horribles pastilles dans ma bouche aussi.

Depuis, je les ai toujours sur moi, pour me protéger du Mal. J’en ai pris trois au total, toutes dans les deux premières semaines. Je n’en ai pas eu besoin depuis. Je n’ai jamais envie de fumer. Tout m’écœure. L’intervenante m’a dit que c’était sûrement parce que j’étais vraiment « mindée » à faire le changement. Je me demande si c’est vrai.

Et je pense que cette rencontre et ce produit ont été nécessaires. Je n’ai plus le droit au déni : je reconnais que je suis accro, et j’ai maintenant un outil pour faire face à l’ennemi.

Je suis Harry; mon intervenante, c’est le professeur Lupin; l’envie de fumer, c’est un Détraqueur; et mon paquet de menthes, c’est mon Patronus.

Reste à voir si je vais pouvoir continuer à avancer sur le chemin du poumon rose. À date, j’ai passé à travers l’ennui de novembre, le stress de fin d’année, les partys de Noël, un voyage et des anniversaires sans me laisser tenter. Je vais essayer de laisser tout ça en 2018.

Justine de l'Église est sur Twitter.