« The Craft », le teen-movie qui a libéré toute une génération de lycéennes

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Culture

« The Craft », le teen-movie qui a libéré toute une génération de lycéennes

Le film iconique des années 1990 a plus de 20 ans, et malgré quelques aspects très mal vieillis, il reste une référence de la contre-culture féministe.

Au royaume des teen movies qui prétendent célébrer les femmes, une constante demeure : « boys will be boys ». Et trop souvent, ce sont les mecs qui gravitent au centre de tous les scénarios, tandis que les filles (très amoureuses) se battent pour eux à la force de leurs canines acérées et de leurs ongles polis. Inévitablement, elles finissent par s’affronter pour gagner amour et leur affection – en recourant à tous les moyens qu’elles jugent nécessaires.

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Innocents et adolescents, nos tout jeunes cerveaux ont absorbé ce schéma – celui de la fille qui fait forcément tapisserie et dont le seul but est de gagner les faveurs du footballeur star de son lycée – nous forçant à nous poser des questions de type : mon crush est-il au courant de mon existence ? Va-t-il un jour me regarder ? Pourrais-je survivre à son absence attention ? Parce que d’après Hollywood, les problèmes d’une jeune fille sont forcément frivoles et agencés au regard masculin.

Cette ère a pris fin en 1996 avec un petit film intitulé The Craft. Réalisé et co-écrit par Andrew Fleming, il a réussi là où beaucoup d’autres ont échoué. Ses héroïnes – Sarah Bailey (Robin Tunney), Nancy Downs (Fairuza Balk), Bonnie Daniels (Neve Campbell), et Rochelle Gordon (Rachel True) – n’ont pas les cheveux brillants et ne rêvent pas d’être les filles les plus populaires de leur lycée. L’expression « bal de promo » n’est jamais mentionnée. Le meilleur ? Ce sont des sorcières menées par Nancy, leader misanthrope précédée de la réputation d’être « imbaisable ». Sous n’importe quelle couture, ces filles sont en franche contradiction avec les standards habituels.

L’histoire commence quand Sarah, la misfit principale, quitte San Francisco pour Los Angeles avec son père et sa belle-mère. AU cours de sa première journée dans son nouveau lycée, elle exécute l’un de ses tours assise au fond d’un cours de Français. Sa camarade de classe Bonnie voit la magie opérer et décide que Nancy complétera le sabbat qu’elle forme avec Rachel. Naturellement, Nancy l’alpha sorcière est sceptique mais finit par changer d’avis. Le même jour, Chris Hooker, la coqueluche du lycée, décide que Sarah sera sa future proie. Il flirte, elle lui résiste, et c’est le début d’un crush mutuel. Pas mal pour une rentrée des classes, non ?

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Au fur et à mesure du film, les filles se rapprochent. Le film troque l’habituel virée au centre commercial contre les courses bien particulières dans une boutique ésotérique. Elles achètent des livres de sorts, des verres en cristal et des bougies. Elles montrent leur faiblesses, font de la magie ensemble et deviennent plus fortes en groupe – une sororité qui fait plaisir à voir.

Bonnie a des traces de brûlures au troisième degré qui s’étalent sur son dos depuis qu’elle est enfant, et doit composer avec une insécurité extrême. Rochelle est la seule noire de son école, ce qui fait d’elle la cible de choix des attaques racistes de Laura Lizzie (Christine Taylor), l’archétype de la fille populaire. La mère de Sarah est morte à sa naissance et sa culpabilité la ronge. À seulement 16 ans, elle est dépressive, suicidaire et troublée par ses pouvoirs de sorcière. Les problèmes de Nancy sont à la maison : sa relation avec sa mère est vérolée par la haine qu’elle entretient avec son beau-père, et la star du football Chris est aussi une source de stress. Les deux ont secrètement batifolé et il lui a refilé une MST. Bref, nous sommes loin du schéma classique du teen-movie mi-édulcoré mi-cynique.

Je dois avouer qu’en revoyant le film cette semaine, certains passages m’ont profondément agacée. On tombe par exemple dans tous les clichés de l’amitié féminine. Le groupe finit évidemment par se leaguer contre l’une des leur, la dernière arrivée, Sarah, la laissant face à ses démons, prendre conscience seule de sa propre force. Parce que, c’est bien connu, les filles finissent toujours par se déchirer. Dans un autre genre, même s’il n’est pas au centre de l’histoire, c’est Chris, un mec, qui fait avancer la narration du film. Mais le réal Fleming nous donne assez de belles choses à voir pour pardonner ces impairs.

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Pendant une bonne partie du film, on observe un groupe de filles qui se serre les coudes dans un monde qui préférerait les voir échouer seules et exclues pour leur différence. Pour certaines filles à l’époque, The Craft contenait un message fort, osé : ne vous conformez pas. Et même plus : restez « bizarres ». Dans l’une des scènes les plus mythiques du film, les quatre filles sortent d’un bus au milieu de nulle part. Avant de refermer les portes, le chauffeur les prévient sur un ton paternel : « Faites attention, il y a plein de dingues qui traînent sur cette route, » sur quoi Nancy répond : « C’est nous les dingues, Monsieur. » Et cette phrase toute simple, sortie de la bouche de la fougueuse antagoniste du film, est lourde de sens. Ces filles ont le contrôle de leur vie, et c’est de leur confiance en elles qu’il faut se méfier. Parce qu’elles ont conscience de leurs pouvoirs, surnaturels ou non.

The Craft est parfois un peu lourd, parfois dramatique à outrance (on n’en veut pas à Fairuza Balk de se donner à fond pour cette scène dans l’asile, mais quand même). Malgré tout ça, le film est profondément utile, parce qu’il explore les problèmes auxquelles toutes les jeunes adolescentes peuvent faire face : le viol, le racisme, les hiérarchies sociales, le slut-shaming, les complexes physiques… Il met en scène des personnages se débattant avec de vrais problèmes, de la vraie vie, et qui surtout dépassent largement les murs du lycée et le cadre de la puberté. C’est assez rare à l’écran et il faut le souligner. Et puis, quel bonheur aussi de regarder un film qui s’articule autour d’une amitié féminine et pas d’une simple romance. Tout ça fait de The Craft une véritable révélation. Et c’est encore le cas aujourd’hui, plus de 20 ans après sa sortie.

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The Craft n’est pas parfait, loin de là, mais il a donné de l’espoir à toutes les filles qui se sentaient à part, exclues. Ce film leur a montré qu’elles n’étaient pas seules. Des années plus tard, il est encore cité dans les listes des teen-movies les plus marquants du cinéma, avec Clueless, Scream ou Can’t Hardly Wait. Et je n’ai pas encore parlé des costumes du film ; des uniformes d’école catho, des bérets roses, des polos et du rouge à lèvres marron foncé. Tout ce qui a fait le socle du style grunge des années 1990. En se retournant sur cette époque, il est facile de considérer ce look comme l’esthétique par défaut, mais c’est bel et bien ce film qui l’a solidifié, qui a rendu iconiques ces tenues et l’attitude badass qui allait avec.

En tant que noire ayant fréquenté un lycée principalement blanc, ce film a été thérapeutique pour moi. Il m’a donné à voir une fille afro-américaine à l’écran – qui portait aussi des ras-du-cou et qui avait des cheveux naturels. Je me rappelle encore d’avoir vu The Craft le jour de sa sortie, dans une salle pleine à craquer, entourée d’amies, de pop-corn et de bonbons. Moi, avec mes cheveux en bataille et mes colliers à la Anne Rice ; Linda, mineure elle aussi, qui avait réussi on ne sait trop comment à se faire percer la langue ; CeeCee, fan invétérée de Hot Topic (avant que ça devienne mainstream). Ce soir-là en quittant le ciné, on était toutes en confiance. Et plusieurs années, on scandait spontanément « Légère comme l’air, droite comme un bâton » quand on se croiser les unes les autres dans les couloirs de l’école. Sans aucun doute, dans le cour de récré, c’était nous les weirdos. Mais on n’a jamais su si c’était le destin ou la magie noire qui avait causé notre rencontre.

Crédits

Texte Marquita Harris
Image extraite de The Craft

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