Environnement

Pénuries d’eau, meurtres et chaos : les prochaines canicules s’annoncent sinistres

Changement climatique signifie une planète plus chaude – et plus violente.
Indians stand in line to fill water jugs.
Les habitants de Chennai devant un réservoir mobile durant la sécheresse de juin. PHOTO : R. PARTHIBHAN

Si pour une partie de l’humanité, la vague de chaleur n’a été tout au plus qu’une période de langueur étouffante, pour les autres elle s’est plus apparentée à une âpre période de fureur et de déchaînements de violences.

Les températures excessives qu’ont connu des millions de Français durant le mois de juillet auront été responsables de quatre décès, d’une piètre qualité d’air dans les grandes villes et de l’annulation de différents événements. Au-delà d’une simulation à moindre frais d’une journée tout à fait banale au cœur de la Vallée de la Mort, la vie a poursuivi son cours languide et transpirant.

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C’est bien sûr sans comparaison avec la vague de chaleur et de sécheresse qui s’est abattue sur l’Inde plus tôt dans l’été et où la police a dû escorter les camions-citernes et les protéger des émeutiers assoiffés. Un des chauffeurs a été sévèrement battu, un homme en a poignardé six autres et D Anand Badu, un jeune homme de 33 ans, est mort des séquelles que lui ont laissé une attaque à la bûche et aux « diverses mais mortels armes par destinations ». Il s’était opposé à ce qu’un homme et ses trois fils puisent de grandes quantités d’eau d’un accès public.

Si les explosions de violences liées aux canicules peuvent sembler choquantes, elles pourraient bien devenir presque banales. Pour Andres Miles-Novelo, un chercheur en psychologie sociale et spécialisé dans l’expression de la violence à l’université de l’Iowa, la différence comportementale face aux vagues de chaleur extrêmes réside simplement dans le fait que les États-Unis sont un pays au climat globalement tempéré et dont les ressources naturelles sont abondantes. Il nous avertit cependant que le réchauffement climatique rendra les catastrophes naturelles beaucoup plus fréquentes et que même les larges privilèges de l’Amérique ne la mettront pas à l’abri des déchaînements de violences de ses citoyens.

« Vous devenez très irritable et votre corps essaye désespérément de répondre à cet inconfort. Bien sûr ça n’est qu’un moyen de conceptualiser les effets des grandes chaleurs » – Andres Miles-Novelo

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« Ici, il n’est pas du tout question d’être civilisé ou non », nous dit Miles-Novelo, coauteur d’un article regroupant des années de recherches académiques sur la corrélation entre les événements climatiques extrêmes et les comportements agressifs. « Nous sommes habitués à tirer autant d’eau que l’on désire d’un simple robinet. Dans 20 ans, ça ne sera probablement pas envisageable ».

Les étés sont déjà beaucoup plus chauds qu’il y a quelques dizaines d’années. Durant les années 1960, les Etats-Unis n’ont été exposés qu’à deux vagues de chaleur. En 2010 cette moyenne avait grimpé à six par an. La seconde semaine de juillet a vu plusieurs records de température être battus à travers le monde. 37°C sur le tarmac de l’aéroport JFK à New York ; 39,2°C en Hollande ; 38,8°C en Belgique et jusqu’à 42°C à Paris. Ce genre d'événement nous démontre avec force que la crise climatique met à mal les concepts sur lesquels nous étalonnons notre échelle de la normalité. « Ce qui était avant un cas extrême deviendra notre quotidien, un évènement comme un autre », lâche laconiquement Scott Power qui est à la tête du département des recherches climatiques du bureau gouvernemental de la météorologie en Australie.

Scott a récemment coécrit un papier dans Nature Climate Change où les simulations exposées montrent que si l’humanité continue de défoncer l’atmosphère au rythme auquel elle est coutumière, 58% de la surface de la planète sera sujette à de nouveaux pics de chaleur intense chaque année. Ces températures étouffantes ne seront pas équitablement réparties. Dans les pays pauvres ou vulnérables la fréquence des occurence extrêmes passe à 67%. Et la situation de crise en Inde en est une triste et exacte illustration.

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« La plupart des pays en voie de développement et beaucoup d’archipels se trouvent plus près de l’équateur que les pays développés, ce qui augmente leurs “chances” d’être victimes de catastrophes sans précédent », nous dit-il. Son article prédit implacablement que « plus les événements sont extrêmes, plus la résilience des communautés et des écosystèmes est poussé dans ses retranchements ».

Cependant, il serait parfaitement injuste de cristalliser les effets négatifs des changements climatiques sur la société – en particulier les explosions de violences – sur les pays pauvres. Nombreuses sont les études qui ont démontré le lien étroit entre les hautes températures et les comportements agressifs au sein même des pays dit civilisés et riches. Ce ne sont pas les chauffeurs de bus de Vancouver, régulièrement victimes d’attaques à main armée quand le mercure monte, ni les taux de rixes anormalement hauts à Minneapolis durant les épisodes caniculaires qui exprimeront le contraire. Miles-Novelo compare les effets de la chaleur sur le cerveau à ceux de la colère. « Vous devenez très irritable et votre corps essaye désespérément de répondre à cet inconfort. Bien sûr ça n’est qu’un moyen de conceptualiser les effets des grandes chaleurs ».

Le plus gros problème, ou en tout cas celui dont nous devrions le plus nous préoccuper, réside dans les mouvements de foule massifs et violents pour le contrôle de ressources devenues rares. Ce que les scènes de violences autour des points d’eau en Inde mettent bien en lumière. Les considérations économiques et culturelles ont bien sûr aussi leur rôle à jouer. Dans le cas de l’Inde, des centaines de personnes fuient massivement la pauvreté et les sinistres écologiques de la frontière Est. Qualifiés d’intrus, ils ont été sommairement exécutés par des gardes armés au cours de ces dernières années.

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Nous devons réaliser l’ampleur de cette tendance et qu’il ne s’agit pas de cas isolés. Miles-Novelo émet l’hypothèse que ce sont les pénuries déclenchées par les changements climatiques en Amérique centrale, la violence urbaine latente et la surpopulation des centres de détention qui sont en partie la cause de ce qui se passe à la frontière Sud des États-Unis.

À mesure que notre planète brûle, les USA pourraient expérimenter ces événements douloureux au sein même de leur territoire. « Il n’est pas question de migrants, dit Miles-Novelo. Imaginez un raz-de-marée sur Miami. Plus de deux millions de personnes vivent dans le comté de Miami-Dade. Ça ne se passera pas super bien si personne n’y est préparé ».

C’est un fait, nous somme déjà pris dans le cercle vicieux. D’après les recherches de Scott Power, il faut s’attendre à une augmentation, autant en intensité qu’en fréquence, des vagues de chaleur au cours des décennies à venir. Quand bien même nous réduirions drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre. Même si les objectifs des accords de Paris sont respectés. L’inertie climatique est forte et le réchauffement climatique ne se stabilisera pas avant une très longue période.

Et ça n’est là qu’un exemple qui explique pourquoi le monde sera de plus en plus instable, chaud et violent dans le futur qui s’offre à nous.

« Comment pourrions nous compenser les dommages que nous avons causé, certaines conséquences de nos actes sont encore invisibles, nous dit Miles-Novelo. C’est, à mon avis LE prochain sujet à mettre sur la table ».

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This article originally appeared on VICE US.