Société

Pitié, arrêtez de supposer que tou·tes les DJs noir·es jouent du hip-hop

« Je me tape des commentaires du style : "Tu fais du scratch", ou "Tu rappes, c’est ça ?" Pourtant mes mixes varient entre micro-house, breakbeats, house et techno. »
Souria Cheurfi
Brussels, BE
DTM Funk - Kappen - Wutangu DJ
Gauche : DTM Funk / Centre : Gael / Droite : Wutangu par Jitse Roels

À l'occasion du Black History Month, on revient sur l'histoire de la diaspora africaine, on célèbre sa culture et on creuse les questions que soulèvent le colonialisme.

Aussi ouvert que puisse paraître le monde de la nuit, il n’échappe pas aux préjugés, ni même au racisme. Et les discriminations ne sévissent pas que d’un côté du DJ booth. Témoins de toutes vos nuits, les DJs sont bien placé·es pour le savoir. Quatre DJs belges nous parlent de leur expérience et de ce qui doit changer pour faire évoluer les mentalités dans le milieu.

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David Tricot aka DTM Funk (30 ans)

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DTM Funk à Vunzige Deuntjes

« Je joue depuis huit ans, mais je ne me considère comme DJ que depuis ces quatre dernières années. Je joue de la musique groovy ; les percussions et le groove sont très importants pour moi.

Je pense que la vie nocturne et la scène musicale sont assez ouvertes en Belgique, mais on met toujours les gens dans des cases. Dès notre plus jeune âge, on nous met dans une case. Quand j'étais jeune, on m’a tout de suite collé l'étiquette urbaine sur le front (hip-hop, R'n'B). Mais j'ai toujours aimé être le vilain petit canard qui écoute d'autre trucs, alors je me suis tourné vers la house, la techno, la jungle, le dubstep et la disco.

« Pour beaucoup, la techno, c'est de la musique de Blanc·hes. »

Je ne sais pas si je peux appeler ça du racisme, mais j'ai déjà constaté qu'on trouve ça étrange de voir un·e Noir·e jouer de la house. Beaucoup de gens supposent que les personnes de couleur ne jouent que du R’n’B et du hip-hop. Et pas seulement les Blanc·hes ; les personnes de couleur aussi le pensent, parce que la société les y poussent.

Et puis je suis toujours un peu confus quand les gens commencent à m'expliquer la définition de la black music. La black music, ce n'est rien d’autre que de la musique avec du groove : le jazz, la disco, la house, le hip hop, la techno… J'ai vite découvert que les fondateur·ices de la plupart des genres musicaux étaient noir·es. Alors que pour beaucoup, la techno, c'est de la musique de Blanc·hes.

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Pour changer ça, la Belgique a besoin de plus de role models de couleur. Je n’ai aucun DJ racisé à prendre en exemple ici. J'espère que je pourrai un jour servir d'exemple à des personnes racisées qui, comme moi, pensent que la couleur de peau n'a rien à voir avec les goûts musicaux. »

Soundcloud

Mbunga Kongi Milka aka Zoulou (30 ans)

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« Je suis DJ depuis environ quatre ans et je ne pense pas avoir un style musical précis ; j’adore la musique sous toutes ses formes. Bien sûr j’ai des préférences musicales, notamment pour la Rumba, et je joue surtout des sons old school - Chicago house, New Wave etc.

Je trouve le monde de la nuit bruxellois très ouvert. C’est une petite ville mais y a tellement de diversité que tout le monde peut s’y retrouver. Tu peux sortir dans toutes sortes de soirées, et chaque année, de nouveaux concepts naissent. Ça bouge.

« J’ai déjà eu droit à un commentaire du style : “C'est étrange de voir une black qui mixe du post punk.” »

Évidemment, les préjugés persistent, même dans ce milieu. C’est dans la nature humaine de juger, je pense. J’ai déjà eu droit à un commentaire du style : « C'est étrange de voir une black qui mixe du post punk. » Je lui ai simplement répondu que la musique n’a ni genre, ni frontière et qu’on est tou·tes libres d’écouter ce qu’on désire. J'aime acheter des disques et écouter de nouvelles symphonies.

Il est temps de réaliser qu’on a tou·tes des goûts et des personnalités différentes. Faut arrêter avec les stéréotypes basés sur la couleur, et d’autant plus lorsqu’il s’agit de musique, la forme d’art par excellence qui rassemble des personnes issues de toutes les cultures. Plus de frontières, libérez vos esprits… »

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Gael Kapenda aka Kappen (30 ans)

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« Je mixe depuis 2011, donc ça fait maintenant neuf ans que je suis DJ. J’étais notamment résident au Wood à l’époque. Je n’ai pas vraiment un style en particulier, mais mes mixes varient entre micro-house, breakbeats, house, et parfois des morceaux un peu plus techno.

« On me demande si je fais du scratch ou du rap ! »

Je trouve le milieu de la nuit belge assez ouvert, et je peux m’estimer heureux de ne jamais avoir eu droit à des commentaires racistes dans le cadre de mon travail. Par contre, souvent, quand on ne me connaît pas et que je dis que je fais de la musique, je me tape des commentaires un peu limite du style : « Tu mixes du hip-hop ? », « Tu fais du scratch ? », ou encore « Tu rappes, c’est ça ? ». Ça me fait rire tellement c’est gros, mais quand j’y pense c’est un peu triste d’être automatiquement limité à une culture.

Même si la nightlife paraît être un lieu d’ouverture d’esprit et de liberté, il y a encore pas mal de boulot à faire. Je pense que beaucoup manquent de curiosité et d’intérêt pour les autres. Et il en faut pour faire des découvertes et passer outre les clichés habituels. »

Soundcloud

Celia Lutangu aka Wutangu (32 ans)

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Wutangu - Photo : Jitse Roels

« Je joue depuis 4-5 ans mais ça ne fait que deux ans que je m’y mets plus sérieusement. Je tourne autour de ce qui est musique électronique africaine principalement, mais je ne m'impose aucune restriction, donc ça peut passer du rap, au gabber, en passant par le vogue et la club music.

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Je pense que les Belges ont l’oreille curieuse, donc c'est un public agréable. Mais comme partout, le monde de la musique et de la nuit est chasse gardée et c'est pas toujours facile de faire sa place en étant original·e et non-conformiste. Et malgré cette ouverture d’esprit sur le plan musical, il y a encore beaucoup de préjugés quant aux styles de musique joués par les personnes racisées. C’est triste, surtout quand on sait que les Noir·es en particulier ont inventé et fait évoluer tellement de styles de musique différents - si pas tous ! Pour moi, ce n’est rien d’autre que de l'ignorance et un désir de rendre inférieure une communauté.

« Je suis assez souvent confrontée à des remarques racistes et homophobes/sexistes. Mais j’essaye de faire abstraction. »

Je me rends surtout compte de ce problème quand je joue dans des endroits où les gens ne me connaissent pas. Je suis assez souvent confrontée à des remarques racistes et homophobes/sexistes. Mais j’essaye de ne pas me focaliser là-dessus et de faire abstraction.

Le seul moyen de faire avancer les choses aujourd’hui et d'éviter ce genre d’incidents, c'est de mettre des personnes concernées par ces oppressions en position de pouvoir et d'influence - organisation et programmation - et pas uniquement sur le devant de la scène en tant qu'artistes. Et puis que tout ça ne soit plus une histoire de quota. »

Soundcloud

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