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Gauche : ©Festival SNAP, Portrait de Maxime Maes par Arsene Marquis. Droite : performance lors du SNAP par Frédéric Oszczak
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Pourquoi on devrait tous se sentir concernés par le travail du sexe

« Les putes ne sont pas des extraterrestres sorties du lot. »
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Brussels, BE

Le festival SNAP!, pour Sex workers Narrative, Arts and Politics, a terminé sa tournée de printemps au Beursschouwburg à Bruxelles ce jeudi 16 mai après des étapes à Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux et Paris. Entièrement dédié aux représentations, discours et enjeux liés au travail du sexe, ce festival a été créé par des personnes concernées pour reprendre la parole sur leurs métiers et rencontrer un public curieux d’en apprendre davantage sur ces thématiques au travers de documentaires, conférences, tables rondes, concerts et performances.

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On a discuté sur le rooftop du Beursschouwburg avec Marianne Chargois, organisatrice et programmatrice du festival, et Maxime Maes, co-fondateur de l’Union des Travailleuses et travailleurs du Sexe Organisés Pour l’Indépendance (UTSOPI) peu avant leur performance en clôture de cette édition qui en appelle forcément d’autres.

Festival SNAP Marianne Beurschowburg

Photo par Frédéric Oszczak lors du SNAP! Festival au Beursschouwburg

VICE: Salut Marianne et Max. Pendant cette tournée de printemps, certaines rencontres ont-elles ouvert de nouvelles voies pour la défense de vos droits ?
Max : Peut-être pas de nouvelles rencontres mais on a recréé du lien et une dynamique avec des intervenants qu’on connaissait déjà, qui sont plus ou moins proches des mouvements de TDS, et des associations avec lesquelles on travaille depuis plus longtemps. Ça a permis de se questionner sur la situation actuelle et que ce que nous pouvons faire concrètement au niveau local.
Marianne : La tournée s’est construite dans l’idée de renforcer les liens avec les organisations LGBTQI et féministes. Notre public actuel est déjà sensibilisé d’une façon ou d’une autre, pour différentes raisons, même si on arrive à toucher quelques personnes qui ne connaissent rien à la question. À l’avenir, on aimerait que le festival soit beaucoup plus visible dans les médias et auprès du grand public.

« Qui sont les TDS ? Des femmes, des personnes LGBT, des gens précaires. Ces mêmes personnes qui sont minorisées partout dans la société. »

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Que diriez-vous justement au grand public qui ne se sent pas forcément concerné par le travail du sexe ?
Marianne : On veut faire comprendre aux gens que les restrictions de libertés et d’usage de soi faites aux TDS menacent tout le monde. Les gouvernements nous disent « vous n’êtes pas capables de consentir à ce que vous faites, pas capables de décider ce qui est bon pour vous dans une situation donnée et on va, depuis des positions de surplomb, vous dire comment disposer de votre corps et surtout comment travailler. Et puis on préfère que vous soyez salariés, exploités dans des entreprises ». Le droit du travail est cassé en permanence. Avec l’uberisation, tout le monde doit être sa petite entreprise. Mais on rétorque aux TDS indépendantes que ce qu’elles font n’est pas correct. Cette libéralisation s’accompagne d’un moralisme accru sur les représentations et les corps.

Max : On parle de droits humains. Fondamentalement. Qui sont les TDS ? Des femmes, des personnes LGBT, des gens précaires. Ces mêmes personnes qui sont minorisées partout dans la société. Dans la communauté LGBT+, tout le monde - les femmes et les hommes autant que les trans - peut être concerné par le travail du sexe à un moment. D’une manière ou d’une autre. Les putes ne sont pas des extraterrestres sorties du lot.
Marianne : On veut aussi « dépaniquer » le rapport au travail du sexe et au sexuel. Cette espèce d’obsession de la passe et de la prestation sexuelle. Avec le festival SNAP ! on a envie de dire: « Lâchez-nous le cul et considérons cette activité dans son rapport, dans son tricotage au politique et à l’économique ». C’est central en fait. Nous, on parle de tous ces sujets brûlants et essentiels de la société : les droits des minorités, le droit du travail, la gentrification des villes, le sexisme, le capitalisme et ses méfaits.

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« Les politiques qui nous soutiennent n’osent pas le faire publiquement. Ils se feraient taxer de sexistes, de prostitueurs, etc. »

Les élections, européennes notamment, approchent. Quel accueil avez-vous reçu du monde politique invité au festival ?
Max : Je me suis chargé de cette lourde tâche pendant toute la tournée du festival. À mon sens, on n’a pas eu assez de retours. Dans certaines villes, il n’y a pas eu de réponse du politique, mais on a eu un bon retour à Bruxelles, où deux ministres sont venus et ont posé des questions. On les a rencontrés et ils sont restés pour la table ronde et la première conférence. C’était assez chouette. En fait, je n’ai pas été surpris par cette mobilisation à Bruxelles. J’ai reçu beaucoup de réponses, négatives ou non, à mes mails. On n’est pas dans le même contexte politique qu’en France. Dans certaines villes françaises, il me semble qu’on voit de plus en plus une politique complètement déconnectée de la réalité du terrain. Alors que c’est le travail des politiques que l’on paie avec nos taxes !

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Portrait de Marianne Chargois par Arsène Marquis ©Festival SNAP

Marianne : Le travail du sexe est un sujet tellement clivant en France. Une majorité de féministes abolitionnistes aux lieux de pouvoir a réussi à faire passer l’idée qu’il fallait être abolitionniste pour être féministe en politique. Les politiques qui nous soutiennent n’osent pas le faire publiquement. Ils se feraient taxer de sexistes, de prostitueurs, etc. C’est beaucoup plus verrouillé qu’en Belgique.

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« L’enjeu est d’attirer des politiques qui ne sont pas encore sensibilisés ou sont opposés au travail du sexe, de leur dire "Venez rencontrer les personnes dont vous parlez constamment". »

Quels politiques se sont présentés à Bruxelles ?
Max : Pascal Smet (sp.a) qui bosse à la COCOM (Commission communautaire commune) et Cécile Jodogne (DéFI) qui travaille à la COCOF (Commission communautaire française). Ces personnes financent des associations de TDS et sont donc déjà impliquées. L’enjeu est d’attirer des politiques qui ne sont pas encore sensibilisés ou sont opposés au travail du sexe, de leur dire « Venez rencontrer les personnes dont vous parlez constamment ». Le bourgmestre de Bruxelles Philippe Close (PS), par exemple, était invité mais n’est pas venu.

En Belgique, seuls le MR, DéFI et le PS ont fait des propositions favorables au travail du sexe dans leur programme électoral.
Max : Certains sujets de société très complexes comme le travail du sexe ne rapportent pas de voix et sont très difficilement abordables. Si je dois faire un parallèle, l’usage des drogues est, lui aussi, très criminalisé. Pourtant la chasse aux drogués ne fonctionne pas. C’est prouvé depuis des années.

L’idée de dépénaliser le cannabis commence seulement à faire son chemin…
Max : Après 20 ans de travail sur la question ! Et on ne parle pas des autres drogues qui mériteraient une dépénalisation comme c’est le cas dans certains pays où le nombre de toxicomanes a baissé.

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Photo de maxime Maes par Frédéric Oszczak lors du SNAP! Festival au Beursschouwburg

Vous comptez interpeller le monde politique rapidement après avoir pris connaissance des résultats des prochaines élections ?
Max : On interpelle tout le temps le monde politique. Le SNAP! est un outil supplémentaire qui me semble vachement efficace et permet de questionner un peu plus par d’autres formes comme la soirée performances à venir.

« Partout dans le monde, les TDS luttent pour la décriminalisation et l’accès aux droits. »

Vous avez déjà des idées pour la prochaine édition du Festival SNAP ! Sex Workers Narratives Arts and Politics ?
Marianne : La première édition du festival s’est déroulée en 2018 à Paris, essentiellement avec des TDS et des intervenants résidents sur le sol français. Pour des questions de moyens financiers mais aussi parce que la pénalisation des clients impacte très gravement les TDS en France. On a voulu alarmer sur ces réalités contemporaines et dramatiques.

Aujourd’hui, on vise une programmation plus internationale. Partout dans le monde, les TDS luttent pour la décriminalisation et l’accès aux droits. Avec des spécificités selon les pays parce que les lois de criminalisation ou de discrimination ne prennent pas les mêmes formes partout. Dans tous les cas, les TDS s’organisent en collectifs pour changer le regard sur leurs activités et accéder aux droits humains.

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