Maxime Gaget violences conjugales
Société

On a discuté avec des hommes battus

« La violence n’a pas de genre. Il faut revenir à une égalité ! »

En 2019, 145 féminicides ont été recensées en France par le collectif Féminicides et 122 par l’AFP. Selon le ministère de l’Intérieur, un homme meurt tous les treize jours sous les coups de sa compagne. Alors que le gouvernement d’Edouard Philippe a annoncé le 25 novembre dernier une série de mesures pour lutter contre les violences envers les femmes, celles envers les hommes restent souvent silencieuses, car nettement moins nombreuses. Aujourd’hui, les violences conjugales envers les hommes ne représentent que 11% des cas de violences conjugales selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRR). Elles sont aussi plus complexes à identifier car dans 60% des cas, la femme coupable était déjà victime de violences conjugales antérieures. Malgré tout, elles existent. Nous avons pu discuter avec trois jeunes hommes battus.

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« Si j’étais resté une semaine de plus je ne serais pas là pour raconter mon histoire », révèle Maxime Gaget. Ce dernier a passé 1 an et 4 mois entre les mains de son bourreau. À 29 ans, alors qu’il emménage à Paris, il rencontre Nadia, 36 ans, mère de 2 enfants. « Je me suis installé chez elle en 2007, après quelques réticences. J’étais aveuglé. Elle posait ses pièces sur l’échiquier avec stratégie, mais n’en montrait rien », rembobine-t-il. Aujourd’hui, il se confie sur son histoire sans tabou. La première forme de violence survient le 31 décembre de la même année. Alors qu’ils passent la soirée avec la famille de Nadia, elle l’emmène à l’écart et le gifle violemment. Déboussolé, Maxime ne réplique pas et met cette soirée de côté. Mais la violence devient de plus en plus présente les jours suivants. « À partir de là, son emprise augmentait chaque jour un peu plus. Elle me forçait à cacher les marques de coup avec du fond de teint et lorsque cela n’a plus été suffisant, elle m’a séquestré. J’ai fini par perdre mon travail », raconte-t-il.

La violence fait bientôt place aux actes de torture : Maxime est marqué au fer rouge, est forcé d’avaler des produits chimiques, n’a pas le droit d’accéder aux sanitaires. « J’étais en mode survie, je voulais protéger les enfants et surtout rester en vie. Elle détenait ma carte bancaire, ma carte d’identité et avait détruit mon téléphone. Puis, elle donnait son corps à un agent des forces de l’ordre. Je ne pouvais rien dire », confie-t-il posément. Son calvaire se termine le 1er mars 2009, lorsque le frère de Nadia contacte les parents de Maxime afin qu’ils viennent le chercher. Après l’avoir forcé à dire qu’il ne porterait pas plainte, Nadia le laisse finalement partir. « Au moment où j’ai mis les pieds dehors, je me souviens m’être dit : je suis vivant, je suis sorti. Mes parents ne m’ont reconnu qu’au son de ma voix et la photographe de la PJ a dû faire une pause pendant qu’elle photographiait mes blessures. C’est dire l’état dans lequel j’étais… », explique-t-il, une pointe d’émotion dans la voix. Dans son processus de reconstruction, il rédige, en 2015, le premier témoignage littéraire francophone des violences conjugales faîtes aux hommes : Ma compagne, mon bourreau.

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« À qui je pouvais en parler ? Et puis qui m’aurait cru ? » – Rudy

« Il existe un tabou considérable concernant les violences conjugales envers les hommes. Avec le Grenelle, nous aurions pu faire quelque chose pour les hommes et les femmes, mais ça a été axé pour elles. Ça crée une concurrence alors que nous pouvons travailler ensemble », explique Maxime, exaspéré. Son histoire n’est d’ailleurs pas un cas isolé. En France, selon le ministère de l’Intérieur moins de 3 % osent porter plainte. « Un homme qui va porter plainte a peur de subir des moqueries, d’être la risée de son entourage », confie Rudy, lui aussi violenté pendant près de trois ans. Pour ce menuisier ébéniste d’une trentaine d’années, les stigmates sont encore bien présents et il évoque son histoire difficilement. « Plusieurs fois, elle m’a percuté avec sa voiture, m’a mis à la rue, m’a frappé avec un vase… J’avais honte. J’ai fait 8 ans d’armée. À qui je pouvais en parler ? Et puis qui m’aurait cru ? Qui aurait pu entendre qu’un homme peut être victime d’une femme ? » interroge-t-il tristement.

C’est en parlant longuement avec une psychologue que Rudy prend conscience de ce qu'il a vécu et comprend avoir été, également, victime de violences sexuelles à de nombreuses reprises.
« C’est la psychologue qui m’a poussé à porter plainte, mais je n’ai pas été écouté. J’ai déposé plainte en août 2017 et à ce jour, je n’ai toujours pas de nouvelle. Si j’ai décidé de parler ouvertement, c’est pour faire passer un message. La violence n’a pas de genre. Il faut revenir à une égalité », déclare Rudy, irrité.

Romain, 34 ans, a subi la violence de sa compagne, pendant 4 ans. « J’ai compris ce que j’avais vécu en entendant parler des victimes de pervers narcissiques, explique-t-il. Il faut briser le tabou et les préjugés. Une fois, mon ex-compagne m’a giflé sur une place publique alors que je parlais avec plusieurs personnes. À ce moment-là, les gens se sont dit que je le méritais, que j’avais sûrement fait quelque chose qui justifiait ce geste, alors que si cela avait été l’inverse, cela aurait beaucoup choqué », déplore-t-il. Pour le jeune homme, originaire de Dijon, sortir de cette relation a été compliqué. « Nous nous sommes séparés à de nombreuses reprises et je finissais toujours par revenir. Les gens ont tendance à dire : "Moi, je serais parti depuis longtemps", mais quand nous sommes sous emprise on ne réalise l’ampleur que lorsqu’on s’en sort », indique Romain calmement. Tout autant que les préjugés, les hommes victimes de violence déplorent le manque d’information à disposition pour sortir de ces situations.

Un manque d’information qui touche à la fois les hommes et leur entourage. Manuela, révèle avoir été témoin des violences de sa mère envers son père pendant son enfance. « Maman a failli tuer papa plusieurs fois. Avec mes frères nous en avons été témoins. Dans mon immeuble à Paris et dans ma famille, tout le monde savait, mais il y a 30 ans, on n’en parlait pas, regrette Manuela. C’est Maxime Gaget qui a ouvert la voie. J’aurais aimé qu’on en parle lorsque j’étais plus jeune ». Vivant, désormais, en Bretagne, elle prend la parole pour montrer aux autres témoins qu’ils ne sont pas seuls et qu’il ne faut surtout pas avoir peur de demander de l’aide. Cette maman de 50 ans, vient d’ailleurs d’un milieu aristocratique et déplore cette notion de secret qui entoure encore ces violences. « Il faut en parler pour montrer que cela existe. C’est l’horreur pour les femmes, mais aussi pour les hommes », rappelle Manuela.

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