VICE Student Guide

J’ai tenté de mettre du piment dans ma vie avec des tutos pourris

En l’espace d’une soirée, j’ai (presque) appris à réparer un lavabo avec des nouilles instantanées, siffler avec les doigts et alerter la police quant à la possible existence d’un psychopathe en ligne.
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Cet article a été réalisé dans le cadre d'un partenariat entre VICE+ et Scarlet.

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Pour certains, YouTube est une fabuleuse plaine de jeu, un espace dématérialisé où tout est possible, parfois même le point de départ d’une gloire qui dépasse le cadre d’une vidéo résolution 1080p. Mais honnêtement, pour la plupart des gens dotés d’une connexion potable, c’est un lieu de perdition. L’antichambre de la procrastination. Le purgatoire des âmes perdues dans des chiottes damnées. Et je n’échappe pas à la règle. C’est toujours pareil : j’ai un article particulièrement important à finir, mais il est déjà 23 heures passées. C’est aussi généralement pile le moment que je choisis pour débuter mon pèlerinage dans les méandres les plus sombres de YouTube. Ça commence toujours par une bande-annonce à regarder « pour le boulot », avant de se poursuivre, dans l’ordre, avec des vidéos intitulées « Charles Manson, le démon d’Hollywood », « Enfermé 48 heures dans un sous-marin nucléaire », « Les quatre niveaux d'expertise de l’omelette », et enfin « Épisode 116 : mon évolution capillaire ». En général, échouer sur une vidéo de Gaëlle Garcia me fait quitter YouTube et réfléchir au sens de ma vie. Cette fois pourtant, j’ai décidé de mettre à profit ces longues heures perdues sur Internet pour apprendre, m’instruire, me nourrir de la connaissance du monde, bref, me bonifier façon 2.0. Sauf que même avec les meilleures intentions du monde, YouTube m’a fait dévaler la pente du bizarre — et sans les freins.

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J’avais pourtant débuté sagement avec une vidéo du chef Jack Scalfani. Le titre est simple (« Comment couper un oignon sans pleurer »), les explications courtes en comparaison avec les autres adeptes du « tuto DIY » et concoctées par un YouTubeur aux près de 500 000 abonnés. Sauf que dès les premières secondes de la vidéo, quelques détails me chiffonnent et me font dévier de mon objectif initial : Jack possède une énorme chevalière en or, sertie de pierres précieuses. Il porte aussi ses lunettes de travers, a des couteaux mal aiguisés et une technique de découpe franchement dangereuse. Les commentaires sous la vidéo ont par ailleurs été désactivés. Mais qui est ce chef, manifestement autoproclamé ? Une recherche sur Google m’apprend que Jack a une autre chaîne dédiée à la pêche, est surnommé dans plusieurs articles « le chef fainéant », a eu un AVC en juin 2018 et est cité par plusieurs sites inconnus pour des « actes atroces ». Bref, encore une star déchue des Internets. Je laisse tomber la découpe de mon oignon. Finalement, le truc du masque de ski fonctionne très bien.

Reste que je commence à avoir faim, mais qu’à cette heure-ci et après ma précédente déconvenue, pas question de se lancer dans quelque chose de trop élaboré. J’ai bien au fond d’un tiroir un paquet de nouilles lyophilisées, mais la date de péremption m’indique que le sachet est probablement désormais radioactif. Je me souviens alors de cette vidéo d’un internaute chinois, totalement folle : Wang Wei y utilisait des nouilles instantanées pour réparer n’importe quel objet : un lavabo, un vase brisé, une table fondue, une carrosserie de voiture trouée et même la tête d’une statue de bouddha. Je ne sais pas si toutes les religions autorisent ce type de rénovation et je décide plutôt d’émietter les nouilles dans la litière de mon chat en pariant sur leurs qualités absorbantes.

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J’abandonne la bouffe pour ce soir et m’intéresse maintenant à mon hydratation. Je bois peu, et l’unique fois où j’ai dû avaler cinq litres d’eau pour une opération m’a laissé un souvenir traumatisant. Je suis pourtant décidée à ne plus me faire l’impression d’un chameau et à préserver mon corps en cherchant quelques astuces pour rester bien hydratée. La première chaîne sur laquelle je tombe a un titre plutôt univoque : « Jon boit de l’eau ». Elle consiste en pas moins de 8 355 vidéos — à ce jour — du même gars barbu buvant de l’eau. Souvent un simple verre, mais parfois aussi des comparaisons de flotte venue des quatre coins du monde. Dans certaines, il ajoute quelques effets colorés, parce que hé, qui est contre un peu de fun après huit mille vidéos à s’envoyer de l’eau plate ? Inspirée par Jon, j’engloutis mon verre d’une traite. On dirait bien que cette fois, ce n’était pas si difficile.

Apprendre à siffler avec les doigts en 59 secondes ? Mon prochain challenge est tout trouvé. Une minute plus tard, j’ai mal à la commissure des lèvres et je me suis bavé sur les mains plus de fois que ne le supporte ma dignité. Tant pis, je n’ai qu’à plus jamais mettre les pieds à un concert ou un dressage de chiens. Dans la foulée et parce que la colonne de droite de YouTube semble avoir compris ma démarche, je clique sur une vidéo qui me promet d’apprendre à masser un opossum comme personne, par une femme au brushing impeccable et manifestement sous anxiolytiques. Apparemment, c’est extrêmement bon pour entretenir la flexibilité de l’animal, en complément d’une alimentation saine et équilibrée. Puisque je n’ai pas d’opossum sous la main, je réveille mon chat, le pose sur la table la plus proche et l’attrape sous les quadriceps, presse ses pattes et tire la peau de son dos. Les chats et les opossums doivent être très différents, parce que mon félin finit par feuler et aller se réfugier sous une armoire. Dans les commentaires sous la vidéo, les gens semblent soit passablement défoncés, soit faire partie d’une secte d’adorateurs d’opossums. Probablement les deux.

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Puisque je suis moi-même désormais un peu stressée, je me mets en quête d’une petite vidéo de relaxation. Après avoir scrollé avec angoisse quelques vidéos d’ASMR et d’initiation au massage tantrique, je tombe sur la chaîne d’un certain « Wishwasher2007 ». Dessus, des centaines de vidéos de machines à laver, de cycles et de marques différentes. Dans la section « à propos », son propriétaire se vante de disposer de la plus grande collection de vidéos de machine à laver du Royaume-Uni — et je veux bien le croire. Nous sommes en 2019 et je découvre qu’il existe des fétichistes de la lessive. Je me rappelle aussi que j’ai du linge qui traîne depuis plusieurs heures dans mon tambour et qu’il est temps de l’en sortir. Merci « Wishwasher2007 » !

Et pendant la lessive, j’ai une idée : peut-on casser Youtube en tapant « YouTube » dans la barre de recherche de YouTube ? Sept caractères plus tard, j’ai ma réponse : non, mais on peut apprendre comment regarder des vidéos sur YouTube, et en 720p s’il vous plaît. J’enclenche le tutoriel, mais très vite, ça dérape. On y voit un homme filmer un écran, filmant un homme, filmant un écran. De temps à autre, la caméra dévie vers le reste d’une pièce couverte de gribouillis. Dans un coin, une poupée faite de billets de banque et en fond, des rires de petites filles. Je découvre en lisant les commentaires qu’Alan Resnick, le propriétaire de la chaîne, est une espèce de légende dont tous essaient de percer le mystère. Artiste torturé ou véritable psychopathe du web, ce tuto est le plus dérangeant qu’il m’ait été donné de voir.

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Je regarde derrière le canapé et m’empresse de cliquer sur une autre vidéo. Elle a beau s'intituler « Bague de fiançailles à base d’ongles humain », le reste du contenu de la chaîne est nettement moins flippant. Son propriétaire est un amateur de couteaux, certes, mais fabriquées dans les matériaux les plus invraisemblables qui soient : en algues, en pommes de terre, en glace, en sous-vêtements et même en… Bismuth. Tous sont vantés comme les « plus tranchants » du monde — ce qui est étonnant pour une lame faite à base de vieux slips.

J’ai un peu le tournis. Tous ces gens semblent au moins doués pour une chose, que ce soit transformer des nouilles en coffre-fort ou mettre brillamment en scène la folie. Mon seul et unique don semble être de me mener vers les vidéos les plus bizarres du net. Alors, en désespoir de cause, je clique sur un lien intitulé « Assis et souriant #301 ». Durant plus de huit heures, un homme en tailleur sourit béatement à une caméra. Je me détends : finalement, en comparaison, ma vie n’est pas si pourrie.

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