J’ai téléchargé mon archive Facebook
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Culture

J’ai téléchargé mon archive Facebook et je vous conseille de ne pas le faire

De nos jours, la machine à remonter le temps la plus performante se télécharge sous format zip et pèse, en ce qui me concerne, 1,41 GB.
Marine Coutereel
Brussels, BE

Encore un article à propos de Facebook, posté sur Facebook ? Oui. L’hôpital qui se fout de la charité ? Non. Je ne suis pas là pour vous inciter à quitter Facebook, même si on a tous compris que les doigts de Mark sentaient bien la merde. Que tout le monde s’offusque et semble tomber des nues me fait quand même sérieusement douter de la vivacité d’esprit générale. Mais je ne suis pas là non plus pour faire le procès de quiconque.

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Le plus angoissant, dans tout ce rameutage autour du Cambrigde Analityca, des #DeleteFacebook et des polémiques concernant l’utilisation frauduleuse des données personnelles, c’est que tout le monde semble s’être accordé sur un plan d’action universel : télécharger son archive Facebook.

Certains vendent leurs âmes au diable; j’ai vendu la mienne à Facebook. Compressée sous fichier zip et pesant 1,41 GB, j’ai, lors d’un accès de folie qui a bien duré trois jours, minutieusement parcouru mon ancien moi.com.

Pour télécharger votre archive (encore une fois, j’insiste, ne le faites pas, surtout pas un soir où vous vous sentez seul), vous n’aurez qu’à dérouler la flèche en haut à droite sur Facebook (à côté du point d‘interrogation) et cliquer ensuite sur Paramètres. En bas de la liste, cliquez sur « Télécharger une copie de vos données ». Vous recevrez un mail quand le fichier zip sera prêt. Une fois décompressé, le dossier est assez rédhibitoire. J’ai pris mon courage à deux doigts et ai commencé à cliquer partout.

Information importante : j’ai toujours été une meuf à journal intime. Du carnet Diddle à cadenas au cahier Atoma estampillé « Si vous trouvez ce journal, ne l’ouvrez pas » (tu parles d’un teasing), j’ai toujours espéré un reconnaissance posthume. Quand il m’arrive d’y replonger le nez, je me retrouve partagée entre la nostalgie de mes jeunes années, la honte de mes premiers émois érotiques et l’hilarité devant ma pitoyable littérature romantique d’adolescente torturée. Évidemment, avec l’arrivée des réseaux sociaux, des blogs et d’MSN, ma vocation d’Anne Frank bis est quelque peu passée au second plan.

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En ouvrant ces archives, je me suis rendue à l’évidence : il était là, mon journal intime 2.0. L’encre n’avait même pas déteint et aucune page n’avait été arrachée dans un accès de rage après une remarque désobligeante de Dimitri, mon crush de sixième, sur mon absence de poitrine.

Malheureusement au cours de ces dix dernières années, j’ai été plusieurs fois victime de ce qu’on pourrait appeler « une crise de panique social media ». Entendez par là la suppression de toutes mes photos, statuts, amis superflus, posts débiles. Le rêve du profil blanc, de la meuf mystérieuse, du fantôme Facebook. Je n’ai jamais tenu plus d’une semaine avec ce genre de conneries snobinardes, mais cela explique sans doute le poids plume de mon archive.

J’ouvre le dossier et découvre 4 sous-dossiers : html, messages, photos, vidéos. Dans html, plusieurs raccourcis vers des pages web, qui recouvrent en fait l’intégralité de votre archive.

ADS : Liste succincte de toutes les pages que j’ai likées, et qui pourraient donc être de potentiels centres d’intérêts utilisés dans le ciblage des annonceurs. Rien de nouveau sous le soleil. Ensuite, je peux voir sur quelles pubs j’ai cliqué. Dans mon cas, pas mal de marques de fringues, ou de jeux concours sans intérêt. Enfin, les annonceurs qui possèdent mes coordonnées. Une dizaine, pas plus. Ça me surprend, je suis plutôt le genre de nana qui accepte toujours les conditions d’utilisations les yeux fermés en tapant avec plus d’entrain que Gilbert Montagné sur son clavier. Ce dossier est nul.

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Effet psychologique : Mon niveau d’excitation est sous zéro.

APPLICATIONS : En l’ouvrant, je tombe sur la liste des toutes les apps installées en me connectant via le plugin Facebook. Enfer et damnation, aurais-je donc passé ma vie à faire des quizz afin de savoir de source sûre quand je trouverai l’amour, à quelle célébrité je ressemblais, quel était mon nom indien, comment j’allais passer la Saint-Valentin 2013, et qui était l’ami secrètement amoureux de moi ? Oui, nametests.com, Les Tests Zanorg, WeAreTests, QuizzStar, HeroQuizz, Meaww Quiz et QuizzConnector me le confirment.

Effet psychologique : Je n’arrive plus à me souvenir de mon nom d’Indien. Ours bondissant, faucon intrépide ou serpent de lumière ?

AMIS ET CONTACTS : Liste de toutes les personnes enregistrées sur mon téléphone ou ajoutées en ami, qu’ils aient par la suite été supprimés ou non. Pour les amis, on a même droit à une liste spéciale reprenant ceux qu’on a viré, avec la date tragique de fin de relation. En gros, un résumé de tous vos exs, et de quand ça c’est plus ou moins mal fini. Par contre, je suis assez déçue : je ne trouve nulle part la liste des gens qui m’ont bloqué. J’ai toujours voulu connaître le nom de ces traîtres et Facebook ne m’apporte ici aucune réponse.

Effet psychologique : Mon niveau d’excitation reste proche de zéro. Cela dit, certaines amitiés mortes et aventures sexuelles sans lendemain ont ressurgi dans ma mémoire, avec force détails. Certains que j’aurais sans aucun doute préféré oublier à tout jamais.

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EVENT : Encore un fois, tous les évènements auxquels j’ai participé depuis dix ans. Salut le coup de vieux. Les vendredi Nancy et les Indie Club au Wood, les Forma.T au Fuse, les Rock me on Electro et les Fight Klub au Kanal, SebastiAan à la GESU CHURCH, les pendaisons de crémaillère, les TD confettis, les bals d’unif catastrophiques, Miss & Mister Saint-Louis au You, etc. Damn, c’est qu’on savait s’amuser.

Effet psychologique : J’ai soudainement envie d’enfiler des bracelets fluorescents et de plonger dans une soirée mousse sur fond de Waka Waka.

SECURITY : Plein de chiffres, de dates, d’adresses IP. Je n’ai pas envie de me plonger là-dedans. Trop rationnel, ON VEUT DE L’ÉMOTION. Je remarque quand même, grâce à une recherche dans la page, que j’aurais changé de photo de profil 304 fois. Je ne vous avais pas encore dit que j’étais une attention whore ? Voilà qui est fait.

Effet psychologique : Mon esprit cartésien voudrait bien calculer le nombre de fois que je me suis connectée sur le site, mais mon amour propre refuse.

TIMELINE : Je ne pourrai malheureusement pas vous aider sur celui-ci, j’ai récemment passé une soirée entière à supprimer tous mes statuts et publications. Et il semble que Facebook ne les aurait pas enregistrés. Aurais-je trouvé une faille dans le système ?

Effet psychologique : Regrets amers. J’aurais dû télécharger cette putain d’archive avant de tout supprimer. Morale : réfléchir avant d’agir. Toujours.

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Après cette mise en bouche aux frais de Mark, entrons maintenant dans le darkweb de mon archive, à savoir les dossiers Messages et Photos.

MESSAGES : Je ne meurs pas d’envie d’ouvrir celui-ci. Le dossier contient un liste de pages html numérotées. On ne sait donc pas quelle page correspond à quel contact. Cliquons au hasard sur le 666.html. S’ouvre alors l’ensemble des messages échangés avec cette personne. Après en avoir ouvert quelques-unes, je ressens ça comme une gifle en pleine face. Tout y est. Vous allez retomber sur des conversations que vous ne pensiez même pas avoir eues. Dix ans d’échanges maladroits, de ruptures, de travaux de groupes, de moqueries, d’organisation, de plans drague lourdingues, de séances de psychothérapie entre copines, de small talk, de menaces de meufs jalouses et de conversations Kamoulox en retour de soirée.

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Certains noms sont remplacés par « Facebook user », sans doute que la personne a changé de compte depuis lors, ou vous a disgracié de sa friend list. Se replonger dans ces messages anonymes afin de savoir de qui ils proviennent exercera mieux votre mémoire qu’une app d’entraînement cérébral pour 65+.

Plus je fais défiler les conversations, plus je me sens mal. Je suis partagée entre l’envie d’exploser de rire à mes propres blagues, l’étonnement devant ma précision à détailler physiquement mes coups d’un soir à mes copines, et l’effroi devant certaines de mes réponses, qui se sont avérées par la suite être des balles tirées dans les pieds déjà tordus de mes relations apocalyptiques.

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Effet psychologique : Relire les conversations de rupture ou de ghosting, ça fait mal. En gros, vous allez souffrir une deuxième fois, soit de votre propre comportement, soit du manque des tact des autres. Si comme moi, vous avez l’esprit d’escalier et pensez que vous ne réagissez jamais de la bonne manière, n’ouvrez pas ce dossier, sauf si vous avez envie de chialer un bon coup à la lumière crue de votre laptop. Vous vous rendrez compte que toutes les personnes qui sont entrées et sorties de votre vie vous manquent, à quel point vous avez pu être une garce sans coeur, et vous serez sans doute d’accord avec votre mère qui vous disait que vous viviez les plus belles années de votre vie. Vous comprendrez aussi que, dix ans après, vous n’êtes toujours pas une adulte responsable, et que vous êtes toute prête à ressauter à pieds joints dans les mêmes plans foireux.

PHOTOS

Le dossier photo en lui-même n’apporte pas beaucoup d’informations. Ce sont les photos que vous avez uploadées sur la plateforme, vous devriez donc vous en souvenir. Par contre, là où ça devient intéressant, c’est lorsque vous allez dans le dossier Messages, puis dans le sous-dossier Photos. Normalement, vous trouverez ici de quoi vous payer une bonne tranche de rire gras après les torrents de larmes suscités par le dossier précédent.

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Ce folder est une putain de mine d’or car il rassemble toutes les photos envoyées ou reçues par message privé. J’y ai personnellement redécouvert les nombreux screenshots de mon ex pris la main dans le sac de l’infidélité et envoyés aux copines dans l’attente d’un plan d’action girlpower, pléthore de montages Photoshop douteux, ainsi que pas mal de photos de profil de types emballés la veille pour approbation générale par mes complices de perdition. La cerise sur le gâteau, ce sont les photos floues jugées trop X-rated que pour être postées sur Facebook, capturées au Sony Cybershot quand les iPhones n’avaient pas encore la mainmise sur les reportages de soirées.

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Entre deux screenshots d’sms sans réponse reçus à 4h du matin de mecs en chien « T’es où ? » « Tu fais quoi ? » « Tu dors ? » , j’ai à mon grand plaisir également remis la main sur la crème de la crème de mon Messenger Art, à savoir ma série de selfies sobrement intitulée Photobooth saw me crying. Le concept est simple mais efficace : dès que je me faisais larguer comme une merde, je capturais à chaud mes réactions lacrymales démesurées sur Photobooth et les envoyais à mes amies dans l’attente de réconfort féminin et d’une attaque verbale acide sur ce rebut de l’humanité qui avait osé m’écarter sans ménagement de sa vie, et ce par un simple mail.

Effet psychologique : avec le recul, je me demande si ces types valaient vraiment la peine que je me mette dans des états pareils. Et surtout, est-ce que Photobooth existe encore?

CONCLUSION : Ça fait bien trois jours que j’ai les mains plongées dans cette archive, et j’ai comme l’impression que c’est un puits sans fond. Je me suis baladée entre les fantômes oubliés de mon passé, mes soirées black-out, mes relations catastrophiques, mes fou-rires et mes déceptions. En gros, j’ai remué ma propre merde et ça pique un peu les yeux. Je suis bien contente que cette période sombre de ma vie soit à présent derrière moi, mais je suis également étrangement heureuse d’avoir vécu jusqu’au bout chaque petit folder de ce fichier de l’enfer. Je renvoie d’ailleurs d’anciens messages à mes potes tellement j’en rigole, et je commence à piger que ma prochaine archive va tourner en Inception.

Merci Mark pour le voyage. C’est donc ça, mourir : voir son activité Facebook défiler devant ses yeux. Sur ce, si vous vous en sentez la force, je vous laisse télécharger votre zip sur un extrait de conversation nocturne au piètre accent prophétique :

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