Noisey

Rien ne ressemble au Wild Classical Music Ensemble

Le groupe de post-punk belge composé en partie d'handicapés mentaux nous montre qu'on peut aujourd'hui faire encore bouger un vieux dinosaure laissé pour mort comme le rock. À condition de lui laisser suffisamment d'espace pour laisser exploser sa folie.
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Le Wild Classical Music Ensemble est un groupe belge. Le Wild Classical Music Ensemble est un groupe belge dans lequel jouent des Wallons et des Flamands. Le Wild Classical Music Ensemble est un groupe belge dans lequel jouent des handicapés mentaux et des non-handicapés mentaux. À ce stade des présentations, faut-il encore le préciser ? Le Wild Classical Music Ensemble n’est pas exactement un modèle de calme et de stabilité. Ça tombe plutôt bien, le rock n’étant pas vraiment affaire de calme ni de stabilité – jusqu’à preuve du contraire.

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Il s'agit ici d'un rock comme il aurait dû se déployer depuis 60 ans, un rock élargi, émancipé, éclaté : en liberté. Voilà ce que le Wild Classical Music Ensemble propulse sur disque ou – plus encore – sur scène, où il donne sa pleine (dé)mesure. On a pu amplement le vérifier lors de son concert à la Maroquinerie, le 23 mars dernier, dans le cadre d’une Gonzaï Night particulièrement carabinée – les fantas(ti)ques trublions Snapped Ankles étant également de la party.

Ce soir-là, Damien Magnette (batterie) et Wout Wittevrongel (guitare), les deux membres non-handicapés du Wild Classical Music Ensemble, tiennent discrètement mais sûrement la baraque à l’arrière-scène, en appui de leurs quatre acolytes : Wim Decoene (sampler), Johan Geenens (flûtes, synthé, chant), Linh Pham (chant, électronique) et Sébastien Faidherbe (basse, chant). Showman invétéré, à la silhouette rondelette, ce dernier s’impose vite comme le point d’attraction principal, apostrophant le public ou le rejoignant pour mieux se rouler à terre – sans lâcher le micro. Du début à la fin, naviguant entre post-punk patraque, krautrock erratique et electro-pop loufoque, le concert fait déferler des vagues de jouissive énergie collective, (vraiment) très loin des mornes rivages ordinaires.

Le Wild (comme l’appellent les familiers du groupe, on ne saurait mieux dire) était de passage à Paris pour présenter son troisième album, Tout va bien se passer, fraîchement sorti chez Born Bad, label qui s’y connaît un peu en matière de musique sauvage (cf. Usé en particulier). Succédant à Wild Classical Music Ensemble (2008) et Tapping is clapping (2015), ce nouvel album est sans conteste le plus accessible des trois, celui dont les morceaux ressemblent le plus à des chansons.

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Lesdites chansons déraillent toutefois allègrement, à commencer par la première, « Train Station », folâtre rengaine ferroviaire scandée par une litanie de « Il est en avance, il est en retard ». Torrent tumultueux d’invectives, la deuxième (« Bande de ») évoque, quant à elle, une variante belge électrocutée de The Fall – un pur bonheur, quoi. Se détachent encore Ik ken blij, cocktail indécidable de joie et de furie, et « Oorlog », longue et hypnotique échappée sonique. Aussi imprévisible que délectable, le reste est à l’avenant, l’album (7 morceaux, 33 minutes) étant du genre court mais intense.

Instigateur et coordinateur de ce groupe résolument hors normes, Damien Magnette – qui mène d’autres projets en parallèle – nous en avait relaté la genèse dans un précédent entretien. Nous le retrouvons aujourd’hui pour faire le point.

VICE : Le Wild Classical Music Ensemble a pris forme en 2007. Quel regard portes-tu sur l’évolution du projet ?
Damien Magnette : Quand le truc a démarré, je ne savais pas trop dans quoi nous nous engagions. Nous étions vraiment dans une démarche totalement expérimentale. Je n’avais pas d’objectif particulier en tête. Au fil des ans, le projet a pas mal évolué sur le plan musical avec le départ de certains membres et l’arrivée d’autres. Trois sont là depuis le début (Linh, Johan et moi), Sébastien est arrivé en 2013, Wim et Wout plus récemment. À chaque fois, il a fallu se réadapter à de nouvelles personnalités, remodeler le set pour le live. Je l’ai toujours vécu comme quelque chose de positif, apportant des couleurs différentes à la musique. De manière générale, j’ai énormément appris en jouant et en tournant avec le Wild.

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Le groupe est de plus en plus reconnu, en tout cas en France. Comment le vis-tu ? Est-ce important pour toi ?
Je suis évidemment très content de voir le projet se prolonger et faire l’objet d’une telle reconnaissance. En Belgique, elle existe aussi mais surtout en Wallonie, beaucoup moins en Flandre. Au départ, nous gravitions dans la sphère des musiques improvisées et expérimentales – notre premier album étant sorti chez Sub Rosa – et nous étions surtout invités à jouer dans des festivals de cette sphère. Avec le deuxième album, paru chez Born Bad, nous nous sommes rapprochés du rock et nous avons élargi notre public, le soutien de Born Bad aidant forcément. Par exemple, nous avons partagé l’affiche avec d’autres groupes du label lors de soirées de concerts, ce qui amène des gens à prendre de plein fouet la musique du Wild sans s’y attendre du tout [Sourire]. Ce désir de décloisonnement, d’ouverture des esprits est vraiment un aspect essentiel du projet.

De quelle manière fonctionnez-vous pour créer vos morceaux ?
C’est un vrai travail collectif, fondé sur l’échange d’énergie entre les membres du groupe. Nous tâchons toujours de trouver d’abord les bases musicales des morceaux en faisant des impros. Les paroles et les chants viennent ensuite, en travaillant aussi beaucoup à partir d’impros. Au fur et à mesure, j’oriente plutôt dans telle ou telle direction. De la même façon, en fin de processus, je me charge de structurer les morceaux.

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L’improvisation joue donc un rôle central dans votre processus créatif.
La part d’improvisation est inévitable dans un groupe comme le Wild. Elle fait même partie intégrante du projet. Selon moi, vouloir faire de la musique bien ordonnée et structurée avec des personnes handicapées, cela relève du non-sens intégral. Cela équivaut à faire dessiner un gaucher de la main droite. Toute la force de ce type de projet tient précisément au fait de poser un cadre qui soit suffisamment large pour laisser la folie exploser à l’intérieur et lui permettre de s’exprimer au mieux.

À quelle fréquence vous retrouvez-vous pour faire de la musique ensemble ?
Cela reste irrégulier car nous habitons tous dans des zones différentes en Belgique. Le projet est chapeauté par l’association flamande Wit.h – dont la mission consiste à créer des projets artistiques réunissant des personnes handicapées et des personnes non handicapées – mais nous organisons nous-mêmes la vie du groupe, de manière très libre. Par exemple, nous nous retrouvons pour de petites résidences avant de partir en tournée. Nous avançons à notre rythme. De toute façon, nous ne pouvons pas aller plus vite. Nous sommes lents par nature [Sourire].

Comment se profile l’avenir ? As-tu des envies particulières ?
A court terme, nous allons faire une résidence avec Lee Ranaldo, en vue d’un concert commun pour le vernissage d’une exposition en Belgique. J’ai envie d’aller vers une musique de plus en plus accessible, toujours dans l’idée d’un décloisonnement maximal. Après, je ne suis sûr de rien : si ça trouve, le prochain album sera un album de noise [Rires].

L'album Tout Va Bien Se Passer du Wild Classical Music Ensemble est toujours disponible chez Born Bad Records.

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