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WTFood

On a trouvé l'endroit où les politiciens belges s'en mettent plein la panse

Ici, les cravates retournent à leur utilité première : cacher les éclaboussures de sauce sur une chemise de couturier en soldes.

Dans la série WTFood, on s’invite dans les cuisines belges ou liées à notre pays, à la recherche des tendances culinaires innovantes ou carrément bizarres.

À une centaine de mètres à vol de pigeon lépreux, le 16 rue de la loi. Plus connu par les activistes des marches pour le climat comme l’endroit le plus inaccessible et le plus chaud du pays, façon portes de l'enfer — et accessoirement, cabinet du Premier ministre. À trois coups de talon en trottinette électrique, le Sénat et la Chambre - qu’il faudrait commencer à apprendre à distinguer parce que, quand même, les élections sont dans quelques jours. Derrière une probable porte secrète cachée sous une tapisserie, la Maison des Parlementaires, et de l’autre côté de la rue, le Parlement flamand. Les plus grandes institutions belges ont toutes le regard tourné vers un seul et unique lieu, au carrefour du pouvoir : « Beat », un restaurant bruxellois qui tient entre ses mains grasses les estomacs des élus. Et les assomme à coups de plats si scandaleux qu’une affaire de coucherie royale ne ferait même pas le poids.

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Beat restaurant Bruxelles

Derrière la décoration bistrot chic se cache un concept qui en veut directement à leur cholestérol : des mets de tradition belge.

En entrant chez Beat, ce restaurant de spécialités belges, un vendredi midi, je suis accueillie par la moue désintéressée de la fine fleur des cabinets bruxellois, des bureaux classés et des chéquiers à plus de zéros que ce qu’on ne me lèguera jamais. Sauf qu’ici, les cravates retournent à leur utilité première : cacher les éclaboussures de sauce sur une chemise de couturier en soldes. Parce que derrière les fougères chics et la décoration de bistrot tendance se cache un concept qui en veut directement à leur cholestérol : des mets de tradition belge, mais qui auraient été préparés par le cuisinier d’un Trump en visite officielle dans un stand de lacquemants.

Moules frites, littéralement

Moules frites beat bruxelles

Des choux de Bruxelles frits au vol-au-vent à la mousse de champignons, c’est l’endroit parfait où emmener son homologue nippon sans se farcir pour autant la rue des bouchers ou une addition pour le coup pas vraiment « Comme chez soi ». En prime, on peut lui montrer des sosies de Charles Michel et lui raconter la fois où un Premier ministre belge a chanté la Marseillaise en direct à la télévision à la place de la Brabançonne.

Je tente de me mettre dans la peau d’un élu qui voudrait commander une entrée qui en jette, sans pour autant négliger le sel de la vie : le gras.

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À peine calée entre deux associés et des collègues de la Chancellerie venus incognito, le serveur débarque avec la carte. Lui non plus n’a pas l’air de savoir ce qu’il fait là. Prise au dépourvu, je tente de me mettre dans la peau d’un élu qui voudrait commander une entrée qui en jette, sans pour autant négliger le sel de la vie : le gras. J’opte pour des moules panées. Elles débarquent avec un gros ravier de mayonnaise et une montagne d’oignons jeunes. Elles sont des dizaines, croustillantes, enrobées de panure dorée. Point bonus : je pourrais tout aussi bien être végétarienne que ça n’y changerait rien. Dans leur costume frit, moule, poulet ou tofu : on n’y voit que du feu.

Requiem for un régime

 beat burger

À la table d’à côté, un mec en trois pièces se fout de la gueule de son rendez-vous du jour. Son interlocutrice, en tailleurs gris, lui répond poliment d’un petit rire nerveux. L’instant et l’atmosphère sont absolument parfaits pour sortir son couteau à steak, d’autant que le plat de résistance vient de débarquer. Les deux mets principaux, à vrai dire, parce qu’entre le repas de victoire des élections et celui qui console, il était trop tôt pour choisir. Dans un coin du ring, le petit poids lourd préféré de la maison : le Beat Burger. Un filet de poulet pané coincé entre deux véritables gaufres de Liège. Tant qu’à faire, j’ai commandé « The Belgian », sa version au vieux Brugge, oignons rouges et sauce du chef. Intimidée, je n’ose pas y mettre les doigts et adopte la technique hypocrite des traders autour de moi — la dégustation aux couverts. Mon amour-propre en prend un coup, mais c’est le jeu. Il y a une chose pourtant dans laquelle je refuserai toujours de planter une fourchette : un paquet de frites. Histoire de me consoler, j’ai donc demandé les fameuses « Belgian fries » de la carte, qui respecte les critères de qualité nationaux, avec un twist crasseux en plus. Mes frites sont en effet recouvertes de fromage fondu, dégoulinant entre chaque bâton de pomme de terre doré. Je ricane intérieurement en imaginant les futurs ballonnements de mes voisins en séance parlementaire.

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Spécu-loose

beat risotto speculoos

Dans l’autre coin du ring, le Kristof Calvo de la spécialité revisitée, le seul plat végétarien de la carte : un risotto. Sauf que cette assiette est clairement à la pêche aux voix. Elle ne se contente pas de vous servir le programme classique à base de champignons et de parmesan, non, celle-là veut vous en mettre plein la vue. Elle veut vous jeter du spéculoos aux yeux. La version de Beat débarque donc recouverte de chicons caramélisés et de biscuit aux épices concassé. Rien à redire, ce risotto pèse dans le game comme dans l’assiette. Ce plat de 500 grammes minimum est une réinterprétation à vous faire renier vos racines italiano-PS : les chicons braisés et le riz crémeux, c’est la coalition à laquelle il fallait penser. Le spéculoos est un peu redondant, mais que voulez-vous, en politique comme en cuisine, on en fait parfois trop — mais tout est si vite oublié.

Si je ne sais toujours pas pour qui voter, je sais maintenant que les hommes qui portent des cravates au restaurant sont finalement des gens comme vous et moi.

Le cœur et l’estomac lourd, il est temps de quitter à regret le repaire pépère de l’élite du quartier royal. Moi aussi, après un hamburger de gaufres, je me sens plus proche du peuple, mais surtout du food coma. Et si après cette virée dans le resto caché préféré des politiques, je ne sais toujours pas pour qui voter, j’en ressors avec l’impression que les hommes qui portent des cravates au restaurant sont finalement des gens comme vous et moi, à la poursuite des mêmes petits plaisirs de la vie : une bonne vieille crème brûlée au cuberdon — et tant pis s’ils ronflent cet après-midi en groupe de travail.

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