Marcia Resnick : la photographe du New York féministe des années 70
À gauche : Anya Phillips au Max's de Kansas City. À droite : Damita Richter prend la pose avec un pistolet en plastique. ©Marcia Resnick  

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Marcia Resnick : la photographe du New York féministe des années 70

« Quand les femmes ont compris que le point de vue des hommes blancs occidentaux était considéré comme universel, elles ont su qu'elles devaient changer les choses »

À gauche : Anya Phillips au Max's Kansas City. À droite : Damita Richter prend la pose avec un jouet. ©Marcia Resnick

Marcia Resnick, photographe née à Brooklyn, documente les communautés artistiques de New York depuis plus d'un demi-siècle. Quand elle était au lycée dans les années 1960, elle se mêlait aux hippies vieillissantes dans les clubs de Greenwich Village tel que le Café Au Go Go et le Café Wha? Et dans les années 1970, elle habitait un loft à Tribeca avec des voisines telle que Laurie Anderson.

Pendant les années 70 et lors des années les plus folles de la ville, Resnick a passé la plupart de ses nuits au CBGB, au Max's Kansas City et au Mudd Club. À cette époque, elle a également commencé à photographier les « bad boys » de la scène artistique. Resnick voulait voir comment des hommes aussi puissants que Jean-Michel Basquiat, Iggy Pop et William S. Burroughs réagissaient lorsqu'une femme qui était derrière la caméra, les soumettant au regard féminin.

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Resnick a également été émerveillée par les femmes avec qui elle a vécu, travaillé, et fait la fête. Ces mêmes femmes qui ont fait trembler la scène de l’époque. Bien qu'elle soit moins connue que sa série Bad Boys - publiée plus tard sous le titre de Punks, Poets and Provocateurs, NYC Bad Boys 1977-1982 (Insight Editions, 2015) - la série Wild Women capture l'esprit révolutionnaire et le pouvoir créatif d’artistes comme Joan Jett, Debbie Harry et Susan Sontag.

Wild Women est une composition d’œuvres assez inattendue qui incarne l'esprit assez DIY de l’époque. On s’est entretenu avec elle pour savoir ce que cela fait de faire travailler avec sur les gens dont elle était proche et la façon dont la libération des femmes a secoué les années 70 et 80.

À gauche : Debbie Harry dans sa chambre d'hôtel. À droite : Debbie Harry avec des légumes après un show. © Marcia Resnic

VICE : Comment es-tu entré dans le monde de l'art et de la photographie ?
Marcia Resnick : J'ai toujours aimé l'art. Quand j'avais cinq ans, mon père a mis un de mes dessins dans la vitrine de son imprimerie à Brighton Beach. Un client l'a aimé et l'a intégré dans un spectacle au Brooklyn Children's Museum. C'était ma première exposition d'art.

Je suis allée à l’université de New York pendant deux ans, puis j’ai étudié à l'Institut des Arts de Californie (CalArts) où j'ai suivi les cours de « Post-Studio Art » avec John Baldessari, j'ai aussi été encadré par Robert Heinecken de l'Université de Californie à Los Angeles, avec Ben Lifson en directeur de thèse.

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J'ai décroché mon Master en photographie en 1973 lors de la première vague du mouvement de libération des femmes. Les facs cherchaient à embaucher des femmes pour plus de parité. Quand le Queens College m'a offert un emploi, j’ai saisi l’occasion. J’ai traversé le pays en prenant des photos sur la route. J'avais décoré ma voiture avec les noms de tous mes copains sur le capot.

Lydia Lunch à quatre pattes. © Marcia Resnick

Comment c’était New York quand vous êtes revenue ?
New York était une ville dangereuse et au bord de la faillite, mais bon marché et pleine de possibilités. J'ai trouvé un endroit près de Bowery et Houston Street et j'ai emménagé avec mon ancien colocataire de Cooper Union, Pooh Kaye , artiste et danseur. On payait 70 dollars par mois. Et mon salaire était de 100 dollars par semaine pour enseigner deux cours de photographie de quatre heures, un jour par semaine.

Soho était le centre du monde de l'art. On trainait dans des galeries, des bars arty, des fêtes dans des lofts d'artistes. Mickey Ruskin possédait le Max's Kansas City, c’est là que Warhol et ses superstars, les artistes de premier ordre et célébrités du rock se retrouvaient pour faire la fête. Pooh faisait le ménage chez Mickey, on avait des entrées.

À gauche : Joan Jett au pool hall. À droite : Laurie Anderson avec son violon. © Marcia Resnick

Comment êtes-vous venu à vivre dans un loft rempli d'artistes ?
J'ai trouvé un immeuble sur Canal Street entre Washington et West Streets dans le quartier maintenant connu sous le nom de Tribeca. Chaque étage était divisé en deux lofts de 2 000 mètres carrés. Les deux premiers étages étaient une salle de shoot à la méthadone géré par la ville. Les lofts des quatre autres étages étaient délabrés.

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Pooh vivait dans l'autre loft et nous avons construit une salle de bains et une cuisine pour nous deux. Mon loft avait quatorze fenêtres. J'ai fabriqué une grande chambre noire. En hiver, je dormais dans cette chambre noire, à l'intérieur d'un sac de couchage, à même le sol. Le loft était glacial, le vent s'infiltrait partout.

Après avoir vu Laurie Anderson faire une performance sur la façon dont son loft a été dévoré par un incendie, je l'ai invitée à emménager dans le bâtiment et elle est devenue ma voisine. Parfois, des patients du centre s'aventuraient dans notre appartement, mais il a vite été déplacé.

À quoi ressemblait la vie nocturne à l'époque ?
Les peintres faisaient des films. Les écrivains faisaient de la performance. Les sculpteurs faisaient des installations. Les artistes collaboraient les uns avec les autres.

Je sortais tous les soirs au CBGB, au Max's et au Mudd Club. Le Mudd, c'était mon préféré. Il y avait des concerts, des expos, des pièces de théâtre, des défilés de Betsey Johnson, et même le Rock'n'Roll Funeral Ball, une performance qui mettait en scène des mannequins avec des seringues dans les bras. On y croisait Joe Strummer, David Bowie, Marianne Fidèle, Nico, Grace Jones et Diana Ross.

Pour me sentir moins coupable de tout le temps que je passais dans les clubs, je me suis dit que la photo nocturne serait mon art. Je devais batailler pour avoir accès aux backstages. J’essayais de faire des portraits aussi intéressants que si je les avais shooter en studio.

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Patti Astor à une fete. © Marcia Resnick

Quels sont les projets sur lesquels vous travailliez dans les années 70 ?
En 1975, avec l'aide de subventions gouvernementales, j'ai autopublié trois livres d'art conceptuel : Landscape, See et Tahitian Eve. En 1978, j'ai publié Re-visions (The Coach House Press), un livre de photos autobiographique avec des mises en scène humoristiques.

Après l'introspection de Re-visions, j'ai fait volte-face. Je voulais explorer un autre monde, explorer un sujet qui me troublait… l'espèce masculine. Ma série, Bad Boys, est née d'une fascination : une femme photographie des hommes.

Pat Place avec un dragon pour enfant. © Marcia Resnick

Qu'est-ce qui vous a inspiré pour créer Wild Women ?
En travaillant sur la série Bad Boys, je n'ai pas pu m'empêcher de travailler sur un projet parallèle que j'ai appelé Wild Women . La plupart du temps, les hommes jouaient dans les groupes punks, mais certaines femmes fascinantes se lançaient aussi dans leurs propres projets artistiques, musicaux, littéraires et cinématographiques.

Patti Smith et Debbie Harry de Blondie sont finalement devenues très commerciales. Laurie Anderson s'est classée deuxième sur les charts pop britanniques avec son single électronique « O Superman » (à sa grande surprise). Jusque-là, ses performances n’étaient connues que dans le monde de l'art.

Lisa Lyon pose comme une bodybuildeuse. © Marcia Resnick

Lisa Lyon était une pionnière qui a remporté le premier championnat féminin de culturisme professionnel. Elle était le porte-drapeau d’un style de vie orienté vers le sexe, la drogue et le rock'n‘roll. Nous sommes rapidement devenues des amis. On ne portait que du noir et on aimait la vie nocturne du Lower Manhattan, et le photographe Marcus Leatherdale nous avait même surnommé les "Weird Sisters".

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Quelles sont les choses les plus radicales que vous et les femmes de cette époque avez faites ?
Quand les femmes ont compris que le point de vue des hommes blancs occidentaux était considéré comme universel, elles ont su qu'elles devaient de changer les choses.

Carly Simon au Hurrah. © Marcia Resnick

Quand j'étais à CalArts, Linda Benglis, qui était une artiste invitée pendant un semestre, s'est liée d'amitié avec moi. Son art et son style ont eu une influence énorme. Je l'ai photographiée arborant sa nouvelle coiffure courte et lisse devant sa Porsche jaune. Un jour, le magazine Artforum a refusé de publier son travail, alors elle a payé pour une publicité où on la voyait nue, seulement vêtue d'une paire de lunettes de soleil, en train de se masturber avec un gode surdimensionné. Elle a envoyé le monde de l’art se faire foutre.

Bebe Buell et sa fille de trois ans Liv Tyler. © Marcia Resnick

En réalisant Re-visions - qui sera réédité en 2019 aux Editions Patrick Frey -, j'ai beaucoup appris sur les femmes, et sur moi-même. J'ai découvert des femmes indépendantes, créatives, qui évoluaient dans un monde « d'homme ». Chaque femme que j'ai photographiée m'a appris quelque chose. Chacune des artistes féminines, écrivaines, musiciennes, danseuses ou pionnières sexuelles que j'ai photographiées avait un talent et une vision à part.