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Culture

C’était votre Recyclart

Que retiendrez-vous de la Gare de la Chapelle ? Bières, décibels, culture, émotions ? Certains souvenirs sont intacts, d’autres un peu plus flous.
Marine Coutereel
Brussels, BE

Ces légendaires clubs belges et leurs soirées sans fin appartiennent désormais au passé. Ne reste plus que quelques souvenirs principalement flous à parcourir dans notre série VICE « NIGHTS TO REMEMBER ».

Forcer le Recyclart à fermer, c’était arracher d’une main sans pitié son cœur à la capitale. C’était mettre le feu aux poudres de l’indignation qui naît doucement de l’appauvrissement du paysage nocturne alternatif bruxellois. C’était verser de l’huile sur des initiatives bouillonnantes. Mais nous n’allons pas revenir sur le comment, le pourquoi, les déceptions, sur la révolte qui tapisse les gorges serrées, ni même sur les suppositions de réouverture.

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C’est pourquoi nous avons demandé à plusieurs personnes – acteurs du Recyclart, visages de la nuit bruxelloise ou simples amoureux de l’endroit – de nous raconter leur meilleur souvenir à la Gare de la Chapelle. On peut sentir la nostalgie et les pointes d’amertume que laisse une séparation difficile, mais aussi et surtout, l’immense gratitude pour ce que vous en avez retiré. À vous entendre, on a l’impression que vous parlez de votre premier amour. Promis, on ne pleure pas.

© Sasha Vernaeve

Wilfried Redant, organisateur des soirées Los Ninos

« Mon meilleur souvenir, je pense que c’est également le pire. C’était le concert de Mykki Blanco. C’était dingue, le public était survolté, Mykki aussi. Tellement survolté qu’on s’est pris la tête dans les backstages et qu’il a menacé les videurs avec des tessons de bouteille. Ensuite, il a disparu jusqu’au matin, tout le staff était super inquiet, on ne le trouvait plus. Il est réapparu comme une fleur le lendemain à l’hôtel.

Dans un autre genre, il y a aussi ce sms reçu d’un type après un de mes events : “Y avait pas mal de gays, mais en tant qu’hétéro, sache que j’ai eu la meilleur expérience sexuelle de ma vie sur un terrain de foot après ta soirée.”

Chaque dalle de ce bâtiment est recouverte de gouttes de culture et de sueur, et je serais carrément prêt à lécher le sol pour ne jamais rien oublier. »

Sasha Vernaeve, photographe
« C’était en 2007, j’étais étudiante en art et je devais trouver un stage d’une semaine. Comme j’étais une glandeuse, c’est ma mère qui s’occupait d’envoyer des demandes à plusieurs lieux culturels de Bruxelles. J’ai finalement été acceptée au Recyclart, que je connaissais un peu mais pas tant que ça. J’habitais dans le BW et j’y étais venue un an auparavant pour un concert de baby rockeurs, une affiche de folie pour la teenager que j’étais à l’époque : Plastiscines + Second Sex et les Naast.

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Mon souvenir le plus marquant restera quand même cette après-midi improbable à acheter des tonnes de bonbons et des bougies afin d’aménager des backstages “ambiance gothique” pour un groupe de métal qui jouait ce weekend-là. Bon, je double mon année mais après je m’installe enfin à Bruxelles et je pige rapidement que le Recyclart sera un lieu incontournable pour la teufeuse que je deviendrai. Ce sol glissant, ses chiottes crados, la grande place extérieure ou certains venaient juste descendre leur Cara… Le Recyclart, c’était le lieu parfait pour accueillir des soirées dont on ne se souvenait qu’à moitié le lendemain. »

© Ulrike Biets

Serge Coosemans, journaliste et chroniqueur
« Moi, ce que j’aimais surtout à Recyclart, c’est quand le truc partait complètement en sucette. Il y a eu trop de soirées sous speed à 130 BPM, c’était presque une norme à un moment. Il y a eu trop de soirées où c’était juste du post-punk berlinois de 1986 mais version Bruxelles 2006 aspergée de Cara Pils et ça me gavait. J’adore Marc Jacobs et j’adore Elzo Durt, l’équipe historique, avec qui j’ai boulotté, avec qui je suis pote, d’ailleurs parmi les seules personnes que je respecte dans l’univers. C’est justement quand les choses leur échappaient un peu que Recyclart devenait vraiment magique pour moi : les Black Lips, Michael Mayer, Tekel, Zombie Zombie ; DJ Nurse, Eric Georg et Darko aux petites heures… Et en 20 ans, le Recyclart m’a quand même ajouté trois couples, quelques aventures et une pléthore d’amitiés au compteur. Aucune nostalgie, cela dit. C’est même presque bien que ça ferme. Ça forcera à un reboot de ce genre de proposition nocturne bruxelloise, qui se fera forcément ailleurs, dans un contexte différent, avec un public un peu renouvelé. 2018, quoi. »

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© Ulrike Biets

Thomas Verbiest, étudiant en cinéma
« Mon premier souvenir, c’est même pas vraiment l’endroit. Ado, j’habitais pas à Bruxelles, j’étais coincé dans un petit village en Flandre, Lebbeke, ou le trou du cul du monde. Dès que je mettais les pieds dans la capitale, je parcourais les shops un peu cools et je récoltais tous les folders et magazines gratuits que je pouvais trouver. J’avais une admiration pour les agendas Recyclart. Les images et la mise en page étaient tellement soignées, ça dégageait un truc fort. Je surlignais au Stabilo tous les évènements auxquels je voulais aller, mais où je n’allais finalement jamais. Ils se sont empilés dans ma chambre, j’y découpais des images pour décorer mes classeurs de cours. Quand j’y ai finalement mis les pieds pour une soirée organisée là-bas en 2014, je n’ai pas été déçu, tout était là : cette esthétique edgy, cette diversité de proposition, ce public mixte. J’ai jeté tous les agendas quand j’ai déménagé. Ça m’a fait mal au coeur. »

Doris Vanistendael, photographe
« On a organisé la meilleure VICE party du monde entre ces murs. J’ai de vagues souvenirs de problèmes avec des cierges magiques, ces bâtonnets qui font des mini feux d’artifice. Je crois que Mauro a dû mixer avec seulement deux CD’s pour toute la nuit, et mes amis de Londres sont arrivés pour reprendre les rennes. Tiany Kiriloff était dans la file, je m’en rappelle parce que mon copain de l’époque était assez impressionné par cette meuf. Je ne sais pas exactement comment mais on s’est réveillés dans un IBIS près de la Gare du Midi le lendemain. »

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© Ulrike Biets

Niels Coppens, co-fondateur de 54KOLAKTIV et Toestand
« Désolé d’être aussi honnête, mais je n’ai pas vraiment le temps pour trier les centaines de souvenirs qui sont cachés dans ma tête. Mais j’ai ça. C’étaient les soirées EXIT 54, en 2013 et 2014, où on organisait des frontal showcases. »

© Niels Coppens

Thierry Vandenbussche, fondateur d’Observatorium
« Ma première soirée au Recyclart, c’était l’un de mes plus beaux souvenirs. Tu sais, une belle soirée d’été comme on en voit dans les films. Vive la Fête était programmé. On ne pouvait plus bouger. On dansait serrés comme des sardines dans une boîte de conserve, et tout le monde est devenu fou. Le quartier entier a même été bouclé. Par après j’ai travaillé pendant un moment derrière le bar. Je suis tombé amoureux de l’endroit, et plus tard j’ai eu la chance d’y avoir une place pour ma galerie d’art Outlandish. Mention spéciale pour Vincent Beeckman, qui a énormément compté dans le développement de cette scène artistique. Le Recyclart, c’était pour moi un endroit inspirant au cœur de Bruxelles, où tout devenait possible. Un mariage bizarre de skaters, de galeristes, de gens du quartier, de musiciens. Ce qui s’est passé ici a toujours été festif, inattendu et surprenant. »

© Recyclart

Elke Vanoost, réalisatrice et serveuse au bar Recyclart
« Je me souviens de deux choses en particulier. La première, c’est une soirée où en plus de l’affiche principale, il y avait également des DJs qui jouaient dans l’entrée des toilettes. Tout le monde a pigé que la musique dans ce coin-là était bien meilleure. Du coup, on s’est tous empilés dans le petit espace entre les WC. Personne n’en avait rien à foutre de l’odeur immonde ou du passage constant des gens qui voulaient aller pisser. À un moment donné, je me suis mangé un baffle parce que les gens poussaient tellement qu’il y a eu une sorte de réaction en chaîne. Ça m’a vraiment fait mal, mais je suis quand même restée danser. Comme tout le monde.

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L’autre, c’est un soir où je bossais au café alors qu’un groupe assez obscur en provenance du Maroc jouait dans la salle. La musique était géniale mais malheureusement il n’y avait pas un chat. Du coup, le groupe s’est installé dans le café où il y avait un peu plus de monde. J’ai rencontré un homme qui sortait littéralement d’une secte et qui tenait tout le temps une tasse de thé serrée entre ses deux mains. Une autre femme un peu plus âgée s’est soudainement agenouillée au sol et à commencé à s’agiter comme si Dieu lui était apparu. La musique était très mystique, mais bon, quand même. Une autre femme, qui était probablement sa fille, est venue la sortir de cette transe en l’enlaçant et en lui faisant du bouche-à-bouche, tout en la tirant vers l’arrière de la salle pour l’asseoir. Cette meuf a passé le reste de la soirée à regarder fixement devant elle. »

Malika Roose, étudiante en communication
« Je me rendais souvent aux soirées Extra Fort, où les photographes avaient carte blanche pour parler de leur travail. Cette fois-là, c’était un bon ami à moi qui présentait ses images. Il avait décidé de garder le silence et de présenter ses photos uniquement accompagnées de musique. C’était la première fois que je pleurais à cause de l’art. C’était tellement émouvant, pas spécialement émotionnel mais vraiment touchant, comment, grâce à de simples images, on peut assister aux débuts d’une relation entre deux personnes et la voir périr à petit feu à travers les images.
Ce n’est pas grand chose mais ça a laissé une grosse marque dans mon esprit, et changé la manière dont je percevais l’art en général. »

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A mber Meulenijzer, responsable communication du Recyclart
« Ce que je garde du Recyclart ? C’est ce qu’il dégage. Quand on y est, on ressent que c’est le reflet de Bruxelles, et pas seulement un endroit dansBruxelles. Il y avait une vision bien distincte. Un lieu où je me sentais bien, un lieu ouvert, où on ne craignait pas le dialogue; que ce soit avec la musique, les artistes, les légumes d’hiver, le bois et l’acier, les personnes âgées. Et même avec une ville comme Bruxelles. C’est comme ça que je vois Recyclart depuis le début, et ça restera toujours comme ça, qu’importe où nous atterrissons ensuite. »

Ulrike Biets, photographe et habituée
« Il y a presque dix ans, en 2009, Kap Bambino – un de mes groupes favori – jouait aux Nuits Botanique. L’afterparty avait lieu au Recyclart, ils donnaient un DJ-set avec Mon Colonel des Partyharders. Je me souviens de ce set comme étant encore plus crade, plus fort et plus intense que le concert qu’ils avaient donné un peu plus tôt dans la soirée. Nos potes du groupe bruxellois 1982 ont aussi joué cette nuit-là, off stage, directement contre le mur, très punk, très DIY. Bref, à la façon Recyclart. La salle était bondée, les gens étaient déchaînés, il y avait des confettis partout, et personne ne regardait son smartphone. »

© Ulrike Biets

Gijs Teerlynck, responsable production Recyclart
« Un souvenir ? Il y a des années, je me rappelle avoir été complètement retourné par le concert de Lightning Bolt. Puis bon, j’aime le Recyclart parce que c’est le seul endroit où je pouvais skater pendant ma pause déjeuner. C’est aussi le seul endroit où j’ai pu assister à un atelier “chicon en ville” et à un spectacle de bondage à quelques minutes d’intervalle. Je m’y suis même fait tatouer avec ma directrice et j’ai appris à un gamin de dix ans à servir une bière. C’était un endroit où je me sentais chez moi, quoiqu’il arrive. Et je pense que c’est le cas pour pas mal de gens. On va tous le regretter. »

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© Recyclart

Tatijana Culumarevic, productrice freelance
« J’ai perdu mes clés de voiture au Recyclart. En fait non, j’ai perdu les clés de la voiture de mon mec au Recyclart. C’était un caméraman et il y avait pour plus de 25.000 euros d’équipement vidéo dans sa voiture. Il était venu directement du taf à la soirée. C’était une clé à bouton-poussoir, donc tu n’avais qu’à faire un tour du parking, appuyer sur le bouton, puis t’en aller avec la caisse et tout ce qu’elle contenait.

J’ai attendu 2h du matin pour lui dire que je l’avais perdue, il était tellement furieux parce que ça voulait dire qu’il allait devoir attendre à côté de la caisse pour vérifier que personne n’allait la voler. À 6h, toute l’équipe de nuit, l’équipe backstage, mes collègues, le personnel des toilettes et des vestiaires étaient au courant de mon problème de clé. Imaginez une soirée free booze, et triplez-en la quantité de déchets. L’équipe présente a gentiment rassemblé les déchets pour que je puisse fouiller dedans. J’ai littéralement compulsé des tonnes et des tonnes de crasse et deux heures plus tard, j’ai fini par trouver les clés sous la scène. Je ne suis pas capable de me souvenir de comment j’ai atterri là et je crois que je ne préfère pas savoir. Je me rappelle juste que tout le personnel était super heureux pour moi, que tout le monde se serrait dans les bras, et que mon copain et moi avons terminé la soirée dans sa voiture. C’était la meilleure baise de ma vie. »

Sebastiaan Bassler, organisateur des soirées Rebel Up !
« Il y a eu la soirée de lancement de mon projet Rajasthan Street sounds LP avec des musiciens du Rajasthan, dans un Studio Marcel chauffé à blanc; la soirée Afrohouse où la salle était pleine à craquer; les bouillonnantes Tropical Boobs parties avec la clique du Recyclart, et les incroyables soirées du Holiday festival qui se sont déroulées dans une ambiance torride. L’année dernière, le dixième anniversaire de Rebel Upétait phénoménal, avec plusieurs concerts entre psyché turque et afro bass, et même un DJ dans les toilettes. Autant dire que les cuvettes n’ont pas été épargnées par le public. Et pour gérer tout ça, il y avait bien sûr le directeur du Recyclart, toujours un poil trop enthousiaste, ce bon vieux punk de Dirk, qui aimait monter sur scène pour annoncer les artistes et exciter le public avec ses cris primitifs. Maintenant, le fait que Recyclart n’est plus là, ça se ressent un peu comme une lobotomie, une perte. Tout ça parce que le gouvernement de la ville n’a pas osé mettre la main à la pâte. Pourtant, on le sait tous au fond de nous : le Recyclart ressuscitera. On se voit à l’ouverture. »

© Elke Vanoost

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