Aller au Pukkelpop seul

FYI.

This story is over 5 years old.

Festivals

Je me suis rendu au Pukkelpop sans argent, sans tente et bien sûr sans potes

Sans dépenser un seul centime j’ai fini ivre, le ventre plein et failli devenir le meilleur ami de Rejjie Snow.
Matéo Vigné
Brussels, BE
Matéo Vigné
Brussels, BE

Pour ceux qui comme moi ont un budget fête rationnellement limité, l’été symbolise tout autant divertissement, fête et débauche que paradoxalement serrage de ceinture et comptage de centimes. C’est bien sûr pendant l’été qu’ont lieu les plus grands festivals. Or, tout cela coûte de l’argent. Des sommes à trois chiffres peuvent peser lourd sur un budget prévisionnel de festival. De même, si vous comptez faire des économies sur place, c’est raté. Souvent à l’heure de faire la conversion token-euro, on se rend compte que l’atmosphère du festival représente une économie basée sur un monde parallèle.

Publicité

C’est donc pour cela que j’ai décidé de briser tous les codes consuméristes de l’environnement du festivalier lambda et de me frotter à Pukkelpop sans un seul centime en poche, tout seul et sans tente pour dormir. Expérience.

Le premier détail que je remarque, le gain de temps. C’est simple, sans amis, sans tente ni affaires ni argent, les seules choses dont je dois me soucier sont mes habits (une chemise, un short, une bonne paire de baskets et un hoodie pour le soir), mon téléphone portable, ma pièce d’identité. Facile et léger. Pour me rendre sur place je prends le train direction Kiewit avec le billet gratuit reçu avec ma place de festival. Un malin sourire me vient lorsque je vois une ribambelle de festivaliers tenter les uns après les autres de faire rentrer telle une partie de Tetris les valises rectangulaires, les tentes rondes ou les matelas en forme de cônes dans un compartiment du wagon.

Au moment de la fouille, aux portes du festival, je vois tout le monde déballer leur stock de pâtes, leurs chaussettes, se faire tâter de long en large et en travers par la sécurité, je me dis que vider mes poches à moitié remplies, c’est plutôt agréable finalement.

Une fois sur place, tout est plein de couleurs qui attirent l’oeil. Stands de bouffe, jeux, endroits chill… Mais bien sur pas un rond. Musicalement parlant par contre, pas besoin d’essayer de raisonner les copains pour aller voir ce petit groupe dont tu connais qu’une seule chanson et qui ne correspond pas du tout aux goûts de la bande. Ma curiosité a pu s’exprimer librement en allant assister au concert de Superorganism et leur chanson Something For Your Mind, un classique pour les joueurs de FIFA 18. Aucune culpabilité.

Publicité

On dit qu’il faut boire pour oublier que l’on est seul, c’est ce que j’ai fait même si la solitude ne me dérangeait pas. Il y a toujours une bonne excuse pour boire. Il est possible d’assouvir à la fois sa petite conscience écologique et sa soif. Les Recycling Points où l’on échange vingt gobelets contre 1 ticket food/drink m’ont pas mal sauvé d’affaire. Une fois, j’ai échangé ma pile de verres contre deux cigarettes camel, une autre des tickets, des casquettes, un bon croc dans un cheeseburger ou dans une part de pizza… Le troc est devenu un élément permettant de développer une économie parallèle qui m’a été bénéfique à la fois pour survivre et tisser du lien social. Sans jamais citer que je faisais cette expérience pour VICE, la curiosité des gens n’a pas dépassé le simple « Waaah et tu vas faire comment ? » ou « Non j’y crois pas ». Normal. Néanmoins, dès lors que je sortais mon appareil photo jetable, les gens comprenaient que c’était sérieux.

Sur place, un stand HUMO distribuait des bulles de bandes dessinées en grand format pour y marquer des messages à destination des artistes. Les messages variaient. Les plus ringards comme « Dua Lipa je t’aime depuis que je t’ai vu la première fois sur YouTube » faisaient sourire, les plus teenagers comme « Free Hugs » me donnaient l’impression d’avoir fait un retour dans le début des années 2000 sans parler des multiples pancartes avec la totale : pseudo Snapchat, Instagram, Facebook et Twitter. J’ai essayé de tirer mon épingle du jeu en me prêtant au jeu et en personnalisant ma feuille à l’image de mes envies. Non pas de monter sur scène avec Dua Lipa, ni recevoir un câlin de Arcade Fire mais bien de trouver un endroit où dormir ce soir là. C’est donc sobrement que j’ai arboré une pancarte sur laquelle était écrit : « Looking for some place to sleep ». Voyant que cela ne marchait guère, j’ai vite laissé tomber, littéralement, sans aucune conscience écologique mon panneau par terre. Cette action fût probablement une des plus judicieuses car, croyez-le ou non, mon panneau est tombé sur deux tickets food/drink. Karma ? Je ne sais pas mais je me suis empressé de prendre un sandwich à la merguez. Beaucoup de choses se perdent au sol. J’y ai trouvé des briquets, des casquettes, des paires de lunettes en tout genre, mais surtout des tickets, beaucoup de tickets. Tant d’objets qui m’aideront dans ma quête.

Publicité

Déjà une bonne partie de la journée est passée et entre les rencontres aléatoires, les partenaires de troc et la chaleur, mon score dépassait largement les 10 tickets trouvés/échangés, 2 numéros de téléphone pour un possible after et surtout une faim et une soif rassasiées. Souvent les début des festivals n’ont pas forcément une programmation indispensable ou super intéressante, ça m’a laissé le temps de me faire un bon capital avant d’entamer la nuit.

Histoire de ne pas être seul, j’ai opté pour le mouvement perpétuel afin de rencontrer le plus de gens possible. Parler de la pluie et du beau temps peut vite découler sur une conversation complètement inattendue au sujet de la démilitarisation de la Corée du Nord ou sur un projet d’école de danse dans un quartier défavorisé de Namur… très aléatoire mais souvent très intéressant. Comme autre option, je me suis dit que mon aventure pourrait plaire aux artistes que je venais voir. Toujours sans citer mon réel but, l’écriture de cet article prouvant qu’il est possible de s’amuser seul et sans sous, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai abordé les personnes qui pouvaient du coup rendre cette aventure atypique. Hasard, chance, bon timing et surtout pas mal d’audace font un cocktail gagnant pour cela.

Dans un premier temps j’ai fait des aller retours devant l’entrée du VIP Lounge. Il ne m’a fallu que quelques minutes pour croiser Charlotte de Witte, bien sûr entourée de son Anti Charlotte de Witte Charlotte de Witte Crew comme arborait fièrement son staff. Elle avait l’air occupée, mais bon, j’étais sûr qu’elle avait le temps d’entendre mon histoire sachant qu’elle allait mixer deux heures plus tard. Je l’ai abordée. En voyant mon appareil photo jetable, mon accoutrement simple et surtout mes poches vides elle a ri, m’a dit : « Franchement, bon courage, mais j’aime bien le côté rétro avec l’appareil jetable ». S’en est suivi un verre d’Aperol Spritz offert gracieusement.

Publicité

Ma deuxième rencontre était au moment du concert de Rejjie Snow. J’y suis allé très tôt histoire de rencontrer des fans comme moi. C’est là que j’ai croisé le regard d’une personne aux traits familiers. Junior Goodfellaz en incognito, veste et casquette noire vissée sur la tête. Le beatmaker de l’Or du Commun, de Roméo Elvis, DJ pour Studio Brussels et figure du mouvement hip-hop actuel. Sans me presser je me suis dirigé vers lui et on a commencé à parler. Il a aimé mon histoire et m’a donné deux tickets. Chic type. Dernière partie de ce star-request, plutôt ratée, j’ai échangé des messages avec le fameux Rejjie pour passer un peu de temps avec lui en loges. Très actif sur les réseaux sociaux et très approchable sur Instagram, il m’a répondu mais malheureusement trop tard car il devait partir tôt du festival. Petit conseil, cela ne coûte rien d’essayer, c’était déjà cool d’avoir une réponse.

La nuit tombée, j’ai décidé de me diriger vers les personnes qui devaient se sentir un peu seules, comme moi: le staff. On papote, les profils sont assez différents, on trouve des jeunes qui cherchent uniquement à avoir des places gratuites, des personnes un peu plus âgées qui sont contentes d’aider, des parents de festivaliers qui sont venu accompagner leurs enfants et en profiter pour se rendre utiles… Bref de tout.

La marche ça fatigue. À force de faire le tour du festival afin de récupérer les tickets perdus, se faire des amis et donner un coup de main aux bénévoles je finis sur les rotules. Heureusement que la musique électronique est là pour redonner du jus à l’organisme. Au centre de cette Boiler Room immense, des milliers de festivaliers donnaient tout afin d’exprimer leur liberté et leurs envies de mouvement. Ce n’est pas une surprise de sentir que l’enchaînement Nastia, Marcel Dettmann, Charlotte de Witte a laissé des traces. J’ai donc fait de même. Pour ceux qui me connaissent, j’ai une façon de danser assez expressive et libre, ce qui attire souvent l’attention des gens et par ailleurs, anaphoriquement, leur sympathie. Ces petits contacts furtifs du style « Hey nice moves », « Cool dance », « Tu régales » ou autres mettent du baume au coeur.

Publicité

L’heure de l’after se rapprochait et le nombre de numéros de téléphone enregistrés augmentait, il était donc temps de penser à la couchette. J’ai appelé le premier contact. Messagerie. Raté. Le deuxième, enregistré sous « Pukkelpop Jeroen » répondit mais ne me donna pas de réponse positive. Ce n’est que le troisième, ou plutôt la troisième, « Pukkelpop Lea » qui m’invita avec son groupe. Un after fort agréable au camping où les cadavres de canettes de bières et de pâtes instanées flirtent avec les chaussures et les équipements de camping en vrac. J’avais trouvé mon plan pour dormir. Une personne allait me prêter sa tente et dormir avec une amie pour me laisser la place. Parfait. Je fus un tantinet trop optimiste. Le temps d’aller une dernière fois aux toilettes avant d’aller me coucher, que tout le monde était déjà endormi dans sa tente sauf cette fameuse « Pukkelpop Lea ». Cette dernière m’attendait, devant la porte de sa tente, ouverte, et me dit : « Oups, tout le monde dort, tu vas devoir dormir avec moi, j’espère que cela ne te dérange pas… Mais j’ai pas envie de dormir tout de suite personnellement ». Légèrement trop suggestif. J’ai directement compris le piège. Pour beaucoup cela aurait été une situation rêvée, pour moi un peu moins. J’ai poliment décliné l’invitation et suis retourné dans ma galère. Décidé à ne pas dormir en plein milieu du camping, je suis parti en mission commando. J’ai recroisé une personne de la sécurité (son nom m’échappe) avec qui j’avais discuté auparavant. Je lui ai expliqué ma situation et il m’a dit « Je vais te laisser rentrer sur le site du festival, vide » et a pris une photo pour immortaliser ce moment. J’ai donc fait une sieste en plein milieu de Pukkelpop. Plutôt cool. Sauf que la météo m’avait réservé d’autres plans, une pluie torrentielle s’est abattue sur moi après un sommeil d’approximativement 45 minutes. J’ai donc été contraint de trouver un abris et c’est la gare qui m’a sauvé. J’ai dormi là-bas pendant quelques heures en sécurité près des agents ferroviaires. Réglo.

Publicité

S’il y a une bonne chose à conclure de cette expérience, c’est que les gens sont avides de rencontres, surtout dans le monde festivalier. Malgré les prix, parfois exorbitants, il est facile de palier à cela avec certaines techniques, pas mal de chance et de culot. Il ne faut pas avoir peur de finir avec un torticoli à force de garder la tête baissée et éviter de chanter l’hymne des supporters de Liverpool, You’ll Never Walk Alone, trop souvent.

Suivez VICE Belgique sur Facebook.
Et retrouvez tous nos contenus Festival >> ici <<