club 18-30
Illustration : Esme Blegvad


Life

Sexe, chaises longues et Anglais à l’étranger : l’héritage de l’agence de voyages Club 18-30

Depuis que Thomas Cook a retiré la marque Club 18-30 de ses agences, on a cherché à savoir pourquoi elle n’avait plus la côte et quel héritage elle a laissé derrière elle.

« Jägerbombs, shots de vodka, fellations et transpiration des couilles. » Ce sont les mots du rappeur Big Narstie pour décrire l’expérience typique du Club 18-30.

Lancé en 1968, le Club 18-30 était une agence de voyages all-inclusive qui envoyait les jeunes célibataires de la classe populaire britannique vers les destinations les plus ensoleillées d’Europe : Ibiza, Majorque et Ayia Napa. Avec son esprit sea, sex and sun – immortalisé dans le film Les Boloss – les vacances du Club 18-30 ont incarné l’image du passage à l’âge adulte incontournable chez les Britanniques jusqu’à sa fermeture annoncée par le groupe Thomas Cook en 2018. Aujourd’hui, presque un an après le dernier voyage de Manchester à Magaluf, seul les souvenirs restent.

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« Le Club était en gros des vacances de gars sous stéroïdes », se souvient Callum, un Mancunien de 26 ans qui travaille dans les études de marché. Il est allé, accompagné d’un ami de son école, en voyage à Ayia Napa grâce au 18-30 lorsqu’il avait 17 ans. Il s’est préparé des mois à l’avance pour ce voyage : « Je me suis tué aux solariums avant d’y aller et c’est la seule fois que j’ai été membre d’un club de gym, que j’ai fréquenté régulièrement pendant six mois », me raconte-t-il. Alice y est aussi allée lorsqu’elle avait 17 ans. Originaire de Rochdale, elle vit maintenant à Londres et travaille dans les relations publiques dans le domaine de la musique. Elle s’est rendue, en 2015, à Sunny Beach en Bulgarie avec sept amies. « On avait toutes nos ongles de fait, je me suis fait ma première épilation totale et certaines filles avaient pris de l’autobronzant », se souvient-elle.

Dès leur arrivée, les groupes de vacanciers, généralement du même sexe, se rendent dans les bars et les boîtes de nuit accompagnés par des fêtards trop enthousiastes pour s’adonner à tout ce qui pourra constituer un palmarès à leur retour au bercail. « On était entassés dans des cars, à boire des shots de schnaps bon marché, qui nous emmenaient jusque dans des bars où l’on devait manger des bananes qui sortaient des pantalons des mecs », se souvient Kate, 40 ans, institutrice à Manchester et qui est partie avec le Club en 1996. Alice a connu une histoire similaire : « On devait passer une orange à quelqu’un en utilisant son menton ou éclater un ballon entre les couilles de quelqu’un d’autre. » Le but de ces jeux était de réunir les gens dans le même lit. Comme Callum le dit : « J’ai entendu parler de vagin tout au long du voyage. »

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Des vacanciers à Magaluf. Photo : CFimages / Alamy Stock Photo

En effet, le sommet de la popularité du Club 18-30 coïncide avec un hédonisme nouveau et une libération de la sexualité. Le Second Summer Of Love [Les étés 1988 et 1989 au Royaume-Uni qui ont vu l’apparition de l’acid house et des rave parties, NDLR] marque le point de départ de ce laisser-aller, suivi par l’ascension des magazines machistes et de la culture laddette qui acclame toute une décennie où boire des quantités d’alcools était le summum de la fraîcheur. Une publicité de Saatchi & Saatchi des années 1995 présentait des slogans comme « Ce n’est pas que du sexe, du sexe et du sexe. Il y a aussi la mer et un peu de soleil » ou « Réveillez-vous au petit matin… dans Julie ».

Un nombre sans précédent de personnes s’est plaint de cette campagne. Trois artistes de Manchester ont trouvé cette publicité particulièrement répugnante, dangereuse et irrespectueuse envers les femmes. Ils ont lancé la même année une contre-campagne dans la ville, où les graffitis ont été annonciateurs du déclin de la marque – avec des avertissements pour les vacanciers comme « Le sida est une condamnation à vie ». Les années 2000 ont vu défiler des histoires sordides de grossesses involontaires, de viols et de morts sur les premières pages des journaux car les vacanciers se livraient de plus en plus à des comportements dangereux et scandaleux. Comme Alice me l’a raconté, ces vacances commençaient aussi à attirer un type de population différent — de vieux prédateurs masculins à la recherche de parties de jambes en l’air avec des jeunes femmes inexpérimentées et naïves.

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« On a été mis dans un hôtel avec des mecs qui ont passé les vacances entières à essayer de dormir avec nous, se rappelle-t-elle. Ils disaient qu’ils avaient 21 ans, mais on a découvert qu’ils en avaient 28 ou 29 ans et que la plupart étaient mariés et avaient des gosses. » Les responsables ont aussi participé à ces comportements limites : « Notre promoteur avait une liste des filles avec qui il avait couché tatouée sur le cul et qui descendait jusque sur sa jambe. Il n’arrêtait pas de me demander si je voulais y ajouter mon nom. »

« “S’amuser maintenant, réfléchir plus tard. Les responsabilités ? On s’en fout ! On doit profiter du moment présent parce qu’on ne le revivra pas” »

Ce déclin a eu sa place à la télévision. Il y a eu d’abord les interviews des Club Reps en 2002, puis Channel 5 a diffusé Curse of Club 18-30 en 2005 et la BBC a eu Sun, Sex and Suspicious Parents de 2011 à 2015. La baisse des profits de Thomas Cook a obligé les représentants des vacances à travailler de plus en plus à la commission et à accroître la commercialisation des activités liées à la consommation d’alcool. « Ils étaient impitoyables et essayaient de soutirer le moindre centime — de vrais cow-boys de la vente, explique Callum qui était en vacances lors de la crise de l’été 2010. Ils tapaient à votre porte, entraient dans votre chambre pour essayer de vous vendre un forfait. Une soirée sur la plage avec une croisière et deux tournées de bars coûtaient environ 200 euros. »

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Bien que les problèmes incessants aient poussé le Club 18-30 à revoir son image de marque, cela n’a pas fonctionné – les vacanciers voulaient des lieux exotiques à afficher sur Instagram, pas boire des softs drinks dans les mêmes stations européennes. D’après le livre de Daniel Briggs, Deviance and Risk on Holiday : An Ethnography of British Tourists in Ibiza, paru en 2013, la marque Club 18-30 n’a peut-être plus la côte, mais elle a contribué à lancer un nouveau modèle de vacances qui ne cesse de gagner en popularité. Caractérisé par la consommation excessive, c’est l’exemple même de ce que l’auteur décrit comme « le capitalisme extrême ».

Comme il me le dit : « “S’amuser maintenant, réfléchir plus tard. Les responsabilités ? On s’en fout ! On doit profiter du moment présent parce qu’on ne le revivra pas”. Cette façon de penser – façonnée par le marketing – a comme conséquence la dégradation de nos communautés et de nos traditions. Elle nous donne l’impression d’être dans le besoin de faire ou d’avoir quelque chose pour sentir que l’on vit quelque chose de satisfaisant et d’épanouissant. »

Tandis que le Club 18-30 a disparu, le capitalisme extrême continue de se développer sous différentes formes et indique que les soirées ainsi que la consommation excessive continuent.

Chercheur à l’université européenne de Madrid, Daniel Briggs explique que le Club 18-30 a semé des habitudes de vie pour les vacanciers ou plutôt, comme il le décrit, il a tracé « une carrière de vacances » : la répétition de comportements préjudiciables. « L’initiation du Club 18-30 a souvent servi de bases. Beaucoup retournent au même endroit pour y faire la même chose ou se rendent dans une destination différente mais similaire dans l’orientation – c’est-à-dire là où il y a une plage, où il fait chaud et où on peut boire. Donc là où ils peuvent faire la même chose », écrit-il dans son livre.

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Quand je demande à Callum s’il est allé une nouvelle fois en vacances avec le Club 18-30, il me répond que non. En revanche, il est retourné à Ayia Napa avec un programme similaire. « On ne s’est inscrit à aucun truc mais on a passé de super soirées », dit-il en admettant qu’il a « dépensé plus de 1 000 dollars en une semaine ». Alors qu’il reconnaît être « trop grand » pour ce type de voyage, sa carrière de vacanciers ne s’est pas arrêtée pour autant puisqu’il continue à se torcher. « J’ai atteint le niveau supérieur, dit-il. Maintenant, je passe quatre jours en festival, dans un champ, à écouter de la musique. »

Ces types de comportements ont des conséquences dévastatrices à la fois pour les vacanciers mais aussi pour l’avenir des stations elles-mêmes. Comme Daniel Briggs le décrit dans son livre, elles n’ont pas les ressources pour gérer les incidents et la criminalité qui résultent de ces « maudits britanniques ». Selon lui, les bars et les clubs appartiennent à des tiers qui ne se soucient pas des effets négatifs de leurs activités. Les stratégies marketing du Club 18-30 se perpétuent à travers les festivals comme Ibiza Rocks ou encore les boîtes de nuit comme le Pacha ou l’Amnesia. Il y a aussi, de la même façon, des ventes incitatives pour les pool party, les soirées mousses ou encore des zones VIP pour des évènements qui donnent l’impression aux vacanciers de « vivre un rêve » alors qu’ils dépensent encore plus d’argent.

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Aujourd’hui, la consommation d’alcool excessive est remplacée par le narcissisme excessif. « Les soirées du 18-30 ont commencé à être boycottées par ceux qui entretiennent leur image », m’explique Daniel Briggs. Dans le cadre de récentes recherches à Benidorm, il explique qu’il a « rencontré un gars qui ne buvait pas parce qu’il s’inquiétait d’avoir le bide d’un buveur de bière. Ce que les gens ne dépensent pas en alcool, ils le dépensent dans les vêtements et dans tout ce qui peut rendre leur corps esthétique – ce n’est plus possible de sortir en short et en t-shirt. » Cela devient un cycle interminable de répétition où le capitalisme dirige les comportements extrêmes : « Les gens vont vouloir continuer à être beaux et revivre leur jeunesse. Ils vont retourner aux mêmes endroits pour y faire la même chose », explique-t-il.

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Des touristes britanniques à Ayia Napa, 2006. Photo : Paul Panayiotou/Alamy Stock Photo

L’ironie du sort est que Daniel Briggs soutient que la disparition du Club 18-30 n’est peut-être pas une bonne chose. Remplacée par les petits week-ends, les enterrements de vie de garçon ou les festivals de musiques, les gens se permettent de plus en plus de voyager grâce aux budgets abordables des compagnies aériennes et des AirBnB. « Dans les vacances all-inclusive, vous y êtes pour une semaine. Votre consommation est excessive le premier et le dernier soir. Mais si vous partez que pour un week-end, vous allez amplifier votre consommation parce que vous voudrez profiter un maximum dans un temps réduit, explique-t-il. Aussi, il n’y a pas d’assurance lorsque vous partez par vos propres moyens. Tout le monde se dit “C’est juste un week-end, que peut-il arriver ?”. Derrière le Club 18-30, il y avait une entreprise et donc, même avec toute la débauche qui a été promue, il y avait des responsables pour les touristes. »

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Si ce que dit Daniel Briggs est vrai — que les vacanciers sont bloqués dans le modèle de vacances de leurs premiers voyages — est-ce que les anciens membres du Club 18-30 regrettent d’y avoir fait leurs premiers voyages ?

« Je ne regrette rien. C’était une belle expérience », explique Callum, avant d’ajouter que le sens de la camaraderie lui manque.

« Avec du recul, je pense que je ne l’aurais pas fait, mais pas à cause de l’alcool parce que dans tous les cas, j’aurais commencé à boire, dit Kate. J’ai le sentiment que le sexe ne devrait pas être le point central de vacances organisées ; c’est grossier. »
« Je n’ai rien fait que je puisse regretter – juste embrassé un tas de garçons inapproprié » dit Alice de son côté.

Quelles sont les chances que le Club 18-30 fasse son retour ? « Les gens adorent la nostalgie. Je pense qu’il pourrait très bien refaire surface », dit Alice.

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