Comment faire son chemin, quand on est trans et actrice
À gauche: Pascale Drevillon, photo par William Gignac. À droite: Gabrielle Boulianne-Tremblay, photo par Justine de l'Église

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Culture

Comment faire son chemin, quand on est trans et actrice

Dans un petit milieu comme le Québec, où il manque souvent de diversité à l’écran comme sur les planches, deux actrices atypiques défoncent les portes et tracent leur chemin.

Après-midi pluvieux, Théâtre Aux Écuries, à Montréal.

La comédienne Pascale Drevillon explique à quatre classes d’élèves du primaire ce que signifie la transidentité. Ils ont entre 8 et 11 ans, sont à la fois calmes, curieux et allumés.

Pascale vient tout juste de faire la lecture publique de la pièce Sœurs sirènes. Elle y incarne Charlie, un jeune plongeur de compétition qui déteste se changer au vestiaire avec les autres garçons, qui aime porter secrètement du rouge à lèvres couleur peau et qui veut porter un maillot de bain de fille.

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« À main levée, qui pense que Charlie était un garçon, au début de la pièce? »

Presque toutes les petites mains se dressent vers le ciel.

« Et qui pense qu’à la fin, c’était une petite fille? »

Toutes les mains se lèvent. Aussi simple que ça.

Ce que les élèves n’ont peut-être pas saisi – parce que rien ne le précisait – c’est à quel point Pascale comprend viscéralement Charlie. Elle aussi, plus jeune, se cachait pour se changer dans les vestiaires, portait du rouge à lèvres couleur peau; elle aussi est née garçon et est maintenant femme.

Sois trans et tais-toi

Depuis toute jeune, Pascale rêve de brûler les planches, de crever l’écran.

En 2011, trois ans après sa transition, elle a auditionné pour les grandes institutions québécoises, et du premier coup, l’École supérieure de théâtre de l’UQAM l’a acceptée, raconte-t-elle, les yeux pétillants.

Mais elle a cru qu’elle n’y serait pas bien reçue en tant que femme trans. Des amis comédiens lui avaient conseillé de taire sa transidentité, l’avertissant que sa carrière serait plus difficile, qu’on la mettrait dans une boîte, si elle en parlait ouvertement.

Pascale Drevillon dans la peau de Charlie, Soeurs Sirènes. Photo: William Gignac

Même son de cloche dans un atelier de théâtre privé, fréquenté hors de son parcours scolaire. Quand on lui a demandé pourquoi elle avait joué avec une voix aussi grave, elle a répondu avec humour « Parce que je suis trans? » Son explication a été reçue par la professeure par un « Ça, tu ne dis plus jamais ça. Personne n’a besoin de savoir ça. » Bien sec, sans explication.

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« Je me suis dit : Pour que j’aie une carrière en tant qu’actrice, il ne faut pas que personne ne le sache. »

Ainsi, pendant deux mois, Pascale a essayé de cacher sa transidentité à ses pairs. Elle empruntait une voix doucereuse, féminine à l’excès. Au bout de deux mois, n’en pouvant plus de refouler son identité, et voyant son masque s'effriter peu à peu, elle a fait son coming-out à sa cohorte, à la fin d’un cours. Son professeur en a été agacé, croit Pascale. Elle a su entre les branches qu’il s’était offusqué de cette sortie, ne l’ayant pas trouvée nécessaire.

Un milieu homogène

« Les gens en casting au Québec manquent cruellement d’imagination », a laissé tomber Pascale, après la projection du court métrage PRE-DRINK, au Concordia Film Festival, aussi présenté à Cannes l’an dernier. Elle y interprète le rôle d’une jeune femme trans qui passe une soirée arrosée avec son meilleur ami homosexuel.

Elle déplore qu’on se limite trop au physique d’un acteur pour déterminer les rôles qu’il peut jouer, et en a profité pour écorcher la manie du showbiz du Québec de toujours servir les mêmes acteurs sur un plateau.

Alex Trahan et Pascale Drevillon dans PRE-DRINK, production Midi La Nuit. Direction photo: Léna Mill-Reuillard

« On va toujours miser sur la personne qui est connue, même si elle est connue parce qu’elle a fait une connerie. Ou de la téléréalité. Ou quelque chose qui passait à TVA, mais qui était à chier. Elle va toujours être privilégiée sur une personne qui a peut-être complètement autre chose à apporter, qui est peut-être plus valide, mais qui ne rentre pas dans le moule. »

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Lorsqu’on s’est rencontrées de nouveau dans un café la semaine suivante, elle a poussé la réflexion plus loin. Elle dénonce en outre l’absence de diversité sur les scènes et les écrans, en complète déconnexion avec la réalité.

« On commence tranquillement à inclure de la diversité corporelle, ou des couleurs de peau qui ne sont pas toujours les mêmes. Mais c’est tellement long! » s’exclame-t-elle.

« Au Québec, on est tellement en retard… On ne parle même pas d’identité. On y arrive, mais on est encore dans l’orientation sexuelle. On est 15 ans en retard. »

Peser sur le gaz

Après-midi gorgé de soleil, café cozy dans Hochelaga-Maisonneuve.

La comédienne et poète Gabrielle Boulianne-Tremblay déguste un smoothie glacé à l’ananas, par ces premières grandes chaleurs du mois de mai.

Je lui demande si le Québec est en retard dans la représentation des personnes trans à l’écran.

« Dans certains autres pays, ça va plus vite. Je ne pense pas qu’on est en retard, mais je ne pense pas qu’on est dans la course. Je pense qu’il faut peser un peu sur le gaz », avance Gabrielle.

Elle rêvait de devenir actrice depuis toute jeune, et, des années après un très bref séjour dans une école de jeu privée, le cinéma lui est tombé dessus par hasard, au détour d’une annonce dans les réseaux sociaux.

On cherchait une actrice trans non opérée pour jouer le rôle de Klas Batalo dans le film Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, qui raconte la vie de quatre jeunes ayant une soif révolutionnaire, trois ans après le printemps érable. Gabrielle s’est lancée. Au bout de trois auditions, elle a décroché le rôle.

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Gabrille Boulianne-Tremblay, qui incane Klas Batalo. Crédits : Éva-Maude TC

Son jeu sensible et généreux lui a valu une nomination dans la catégorie meilleure actrice de soutien aux prix Écrans canadiens en 2017. Une première pour une femme trans. Pour Gabrielle, cette nomination a permis de faire bouger les choses.

« Ils m’ont mise avec des cisgenres. Ils m’ont incluse, comme les femmes, parce que je suis une femme! C’est une belle ouverture des prix Écrans canadiens, et ça a fait jaser beaucoup. Ça a un impact, j’espère le plus positif possible. Ça normalise. Plus on voit de différence, plus ça devient normal que tout le monde soit différent. »

Éternelle optimiste, Gabrielle croit que le milieu québécois est en train de changer peu à peu.

« Je pense qu’il y a une ouverture qui se fait, mais ça commence. Je crois qu’il y a du travail de sensibilisation à faire, comme tu le fais, comme Pascale et moi on fait. Je pense que ça va tendre vers quelque chose de plus en plus équitable pour tout le monde. »

Personne ne lui a jamais conseillé de taire sa transidentité pour mener une carrière avec succès, et c’est tant mieux pour elle.

Au contraire, pour son entrée dans le milieu du cinéma, on est allé la chercher pour ce qu’elle était, ce qui, pour Gabrielle, représente la consécration des souffrances qu’elle a surmontées toute sa vie.

« Ça m’a tellement décomplexée. Je me voyais comme un monstre, dans ma tête. Ça m’a aidée à l’apprivoiser. Je ne vois plus de monstre. Juste, c’est Gabrielle. Je l’ai vécu comme une libération, une célébration de qui je suis. Ça m’a fait : “Hey, regarde! Parce que tu es comme toi, tu as ta place, c’est toi qu’on cherche.” Tu te sens moins scrap du dedans, c’est valorisant. »

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Confinées à des rôles trans?

Pascale joue une femme trans dans PRE-DRINK. Elle interprète une fille trans dans Sœurs Sirènes. Elle joue une travailleuse du sexe trans dans la deuxième saison de Catastrophe, à Super Écran. Elle prépare une performance artistique, GENDERF*CKER, dans laquelle elle explore les deux genres. Gabrielle s’est fait connaître au grand écran dans un rôle de femme trans.

Est-ce dire qu’une femme trans est condamnée à jouer des rôles trans?

Pas du tout. En tous cas, Gabrielle et Pascale ne l’espèrent pas.

« En tant qu’actrices ou acteurs, on veut des défis nous aussi. On ne veut pas que camper notre propre vécu, explique Gabrielle. Ça adonne que je suis trans, mais je ne veux pas être “l’actrice trans”. Ça peut faire un temps, mais, un moment donné, il faut en revenir. »

Gabrielle Boulianne-Tremblay est aussi porte-parole pour Interligne, organisme d'aide pour les personnes concernées par les enjeux LGBTQ.

Et pour preuve qu’elles ne sont pas confinées à la transidentité : Pascale a joué en mars un rôle de femme dans la pièce Hamster, au théâtre de la Licorne, à Montréal – devenant au passage la première femme trans à jouer dans la saison régulière d’un théâtre institutionnel. Elle interprétera un autre rôle de femme dans une pièce de théâtre au Prospéro, en novembre.

Pour sa part, Gabrielle vient d’obtenir un rôle dans un film dont elle ne peut parler encore, mais dans lequel elle jouera une mère. Pas une femme trans. « Plus on va faire des projets, plus on va élargir nos horizons », s’enthousiasme-t-elle.

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Déployer ses ailes

Dans ses rêves les plus fous, Gabrielle s’imagine décrocher un rôle dans un film d’action, un thriller psychologique, un film d’horreur – ou n’importe quel film de Xavier Dolan, chuchote-t-elle à mon cahier de notes, avant de s’esclaffer. De son côté, Pascale rêve d’incarner une femme fatale, une veuve noire, une goth queen.

« Avant d’être trans, je suis aussi une actrice. Je suis une fille qui s’est entraînée, qui peut jouer n’importe quoi. Et plus c’est éloigné de moi, plus j’ai du fun. Mais les gens oublient ça », s’inquiète Pascale.

C’est qu’elle est très militante, côté féminisme et transidentité. Elle participe à de multiples tables rondes et conférences sur le sujet, elle se donne comme devoir de « parler pour ceux qui n’ont pas énormément de voix ».

Et elle craint que ça puisse lui nuire. Qu’on la voie tellement affirmée qu’on ne dissocie plus l’actrice de l’activiste, qu’on ne l’imagine pas jouer une mère, une femme enceinte, ou même une pitoune, pour reprendre ses mots. « À ce point-ci, je sais pas si je suis juste paranoïaque, ou si je ne donne pas la chance au coureur », relativise-t-elle. Une chose est sûre, tout ce qu’on lui a dit sur la nécessité de taire sa transidentité a laissé des marques.

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Mais Pascale trouve important de continuer à lutter contre la transphobie, contre les clichés. Trop souvent, les femmes trans sont représentées à l’écran comme travailleuses du sexe, regrette-t-elle.

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Elle rêve d’une série plus proche de la réalité, plus grand public, peut-être, où on verrait le quotidien d’une femme trans, simplement, dans le style du feuilleton comique Les hauts et les bas de Sophie Paquin. « Je voudrais que quelqu’un écrive ça pour moi », dit-elle, tout sourire.

Gabrielle aussi rêve d’une plus grande place pour les actrices trans. Qu’elles viennent saturer le marché, qu’il n’y ait pas assez de rôles trans pour tout le monde et que les acteurs débordent dans les rôles cisgenres.

« Il faut que les actrices trans trouvent le guts d’aller jusqu’au bout de leur formation ou de leurs projets, et qu’on se rende compte qu’on est nécessaires aussi. On est capables de jouer, on est capables d’apporter quelque chose dans une narration. »

D’ailleurs, elle nous souffle que son agente reçoit ces temps-ci beaucoup de CV de mannequins, d’acteurs et d’actrices trans.

Peut-être que la révolution est en marche, après tout.

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GENDERF*CKER de Pascale Drevillon sera présenté le 4 août à la Maison de la culture de Maisonneuve.

Le prochain recueil de poésie de Gabrielle Boulianne-Tremblay sera publié cet automne chez Del Busso.

Justine de l'Église ne présente pas de spectacle mais est sur Twitter.