Pire que le changement climatique : la mauvaise géo-ingénierie

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Pire que le changement climatique : la mauvaise géo-ingénierie

Il n'y a rien de plus destructeur pour l'environnement qu'une bonne grosse idée de merde.

En 1991, un volcan a fait éruption aux Philippines, crachant dans l'atmosphère des particules qui ont temporairement refroidi la surface de la planète en réfléchissant la lumière solaire. Aujourd'hui, devant la pression exercée par le changement climatique, certains scientifiques et activistes envisagent de reproduire ce processus en altérant délibérément les systèmes naturels terrestres grâce à la géo-ingénierie solaire.

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Pourtant, un nouvel article publié dans Nature Ecology & Evolution met sérieusement en doute le bien-fondé de cette piste. Si une nation ou un groupe de nations s'embarquait dans un ambitieux projet d'ingénierie solaire et que celui devait être abandonné par manque de moyens, ou suite à un conflit géopolitique, il pourrait se retourner contre nous et mettre en danger de très nombreuses espèces vivantes.

Tandis que le volume des émissions de gaz à effet de serre continue d'augmenter, scientifiques et activistes commencent à envisager des solutions de plus en plus radicales pour atténuer le réchauffement climatique – dont l'utilisation d'une technologie encore hypothétique qui consisterait à propulser des aérosols dans l'atmosphère, pour un coût accessible à la plupart des gouvernements.

« Je pense qu'il est tout à fait possible que quelqu'un, quelque part, prenne cette initiative sans consulter quiconque », explique Gernot Wagner, directeur exécutif de Harvard Solar Geoengineering Research Program, par téléphone.

Dans l'étude publiée dans Nature Ecology & Evolution, Christopher Trisos, chercheur en écologie au Centre américain de synthèse socio-environnementale, et ses collègues ont tenté de comprendre quels effets la propulsion d'aérosols aux propriétés réflectives pourrait bien avoir sur la biodiversité – sur la base d'une injection de particules effectuée en continu sur une période allant de 2020 à 2070. « Personne n'avait jamais étudié en détail les conséquences d'une utilisation de techniques de géo-ingénierie sur la biodiversité et les écosystèmes », explique Trisos par téléphone.

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La bonne santé de la biodiversité est essentielle pour nos sociétés ; nous dépendons d'elle à tous les niveaux, de l'alimentation en passant par la production de médicaments. Hélas, celle-ci est gravement menacée par le changement climatique. Les organismes doivent s'adapter ou disparaître devant la pression climatique extrême, et des écosystèmes entiers menacent de s'effondrer. « La biodiversité sous-tend de nombreux aspects du bien-être humain », renchérit Trisos.

Le chercheur et ses co-auteurs ont comparé une simulation de géo-ingénierie climatique dans laquelle les aérosols sont injectés au niveau de l'équateur de 2020 à 2070 avec un modèle de changement climatique prédisant une augmentation régulière des températures terrestres. Ils ont découvert que les conséquences d'une injection d'aérosols seraient bien pire pour la biodiversité que si nous n'utilisions pas de technique de géo-ingénierie du tout.

Selon le scénario pensé par Trisos et ses co-auteurs, les gaz à effet de serre continueront à faire des ravages après 2020, même si nous envoyons des nuages de particules réfléchissantes dans l'atmosphère. Pire, les températures atteindront des seuils plus hauts si l'on choisit l'option de la bio-ingénierie, par opposition à l'option non interventionniste, selon les chercheurs.

Comparaison de l'évolution des température avec et sans géo-ingénierie solaire entre 2020 et 2070. Source : Trisos et. al.

Que se passerait-il exactement en cas d'injection d'aérosols dans l'atmosphère ? Dans un premier temps, les organismes n'auront plus à changer d'habitat en réponse à la hausse des températures. Les espèces très mobiles, comme les oiseaux migrateurs, retourneront à leur écosystème d'origine ; les espèces caractérisées par leur incapacité à changer de milieu dans un temps très court, comme les coraux, auront alors des chances de survie supérieures à ce qu'elles étaient avant le début du projet de géo-ingénierie. Hélas, après quelques décennies, les organismes vivant dans des zones très riches en biodiversité – comme le bassin de l'Amazone – devront de nouveau se déplacer.

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Imaginons que nous sommes en 2070. Les gouvernements ne s'entendent plus sur la stratégie à employer pour gérer le changement climatique, et ne peuvent plus se permettre de dépenser des milliards de dollars en injection d'aérosols. Ils interrompent donc cette activité du jour au lendemain. En dix ans à peine, 50 ans d'efforts de géo-ingénierie sont réduits à néant, puisque les températures s'élèvent brutalement jusqu'aux seuils qu'elles auraient de toute façon atteint sans intervention humaine.

Pour survivre à la vague de chaleur extrêmement brutale, les espèces terrestres doivent alors se déplacer 4 à 6 fois plus vite qu'elles ne le font actuellement, et environ 3 fois plus vite qu'elles ne l'auraient fait en 2070 si l'option de la géo-ingénierie n'avait pas été retenue. Dans les zones tropicales, qui possèdent la plus grande biodiversité que nous connaissons sur Terre, les organismes doivent migrer de 9,8 km par an, ce qui est très au-dessus de la vitesse maximale moyenne à laquelle la majorité des espèces terrestres peuvent se déplacer.

Comparaison du rapport vélocité/temperature avec et sans géo-ingénierie en 2020 puis en 2070. Source : Trisos et. al.

90% de la surface de la Terre sera concernée par ce phénomène. Les écosystèmes commenceront à se fragmenter – c'est-à-dire que les espèces qui le composent se déplaceront dans différentes directions sous la pression climatique.

« Dans de nombreux cas, la température changera dans une direction, et les précipitations dans une autre », m'explique Alan Robock, climatologue à l'Université Rutgers et l'un des co-auteurs de l'étude, dans une interview téléphonique. De même, certains habitats possédant des températures et des précipitations spécifiques disparaitront purement et simplement, préludant à l'effondrement des écosystèmes dont ils faisaient partie. À partir de là, on imagine que l'extinction de masse – dont celle de notre propre espèce – est inévitable.

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Évidemment, il ne s'agit là que d'un scénario parmi d'autres, dans un océan de possibilités. Aussi spéculatif qu'il soit, il a tout de même vocation à nous mettre en garde : la géo-ingénierie est tout sauf une option facile, efficace, et aisément contrôlable. Trisos et ses co-auteurs, qui insistent sur la nécessité d'approfondir les recherches sur les conséquences possibles de la géo-ingénierie solaire, estiment que notre meilleure option reste la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

« La seule solution fiable à disposition, c'est d'arrêter d'émettre du CO2 », explique Robock. « On a parfaitement identifié le problème, c'est incroyable que l'on ait encore rien fait. L'énergie solaire et éolienne sont désormais à notre disposition, il faut les utiliser. Un point c'est tout. On ne peut pas tricher en choisissant l'option des grands projets certes ambitieux, mais totalement incertains. »