On a interviewé Philippe Couillard
Philippe Couillard et Florent Tanlet, le candidat libéral dans le comté de Taschereau à Québec. Photo par Alice Cliche

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Drogue

On a interviewé Philippe Couillard

Le chef du PLQ discute d’immigration, de cannabis, de féminisme et de gestion de l’offre.

Le premier ministre sortant est un homme pour le moins pragmatique, calme et posé. Il réfléchit et prend le temps de répondre à chaque question, et prend plaisir à pimenter ses réponses de références historiques et culturelles.

Mais en pleine campagne électorale dans le comté de Taschereau à Québec, Philippe Couillard se laisse un peu aller, souhaite échanger avec la population jusqu’ici représentée à l’Assemblée nationale par la péquiste Agnès Maltais, qui a décidé de ne pas se présenter aux élections de 2018. La circonscription « d’intellectuels » de la ville de Québec reste donc à prendre. Et le candidat libéral, Florent Tanlet, qui l’a perdue par quelques centaines de votes en 2014, pense avoir de bonnes chances de la remplacer.

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Philippe Couillard devant son autobus de campagne. Photo par Alice Cliche.

« Chantez-moi une bonne toune, » a dit le premier ministre sortant à un groupe de choristes, qui riposte en chantant une version de Viva la Vida de Coldplay.

En prévision du scrutin d’octobre prochain, VICE a discuté avec Philippe Couillard de ses accomplissements et de ses promesses – et de ce à quoi ressemblerait un Québec sous un autre gouvernement libéral, après près de 15 années consécutives (exception faite du PQ entre 2012 et 2014) avec le parti libéral au pouvoir.

VICE : Le départ du Lac-Saint-Jean de la famille syrienne que vous aviez vous-même parrainée vers Montréal a été perçu comme emblématique de l’échec des politiques d’immigration en région. Vous avez proposé comme solution de les faire venir en petits groupes. Comment pallier le grand écart entre les régions et les grandes villes par rapport aux migrants?

Philippe Couillard : La communauté dans ma région a été très accueillante et il n’y a eu aucun problème là-dessus. Je pense qu’on doit tous ensemble se rendre compte que [l’immigration] est critique pour l’avenir économique du Québec et l’avenir des régions spécifiquement.

Il faut aborder ça sur le point de l’économie régionale et du besoin de main-d’œuvre. Quand on fait ça, le discours est toujours positif. Actuellement, on a une nouvelle politique d’immigration : les migrants remplissent une lettre d’intention avec un profil qu’on veut appairer avec le profil des régions et un désir de s’installer dans une région spécifique. Ce genre de chose là va nous aider à l’avenir. On a besoin de former la main-d’œuvre qu’on a déjà, comme les femmes, les personnes handicapées, les personnes plus âgées et les Premières nations, et des immigrants. Les [municipalités] sont mobilisées, les maires sont mobilisés, et les entreprises aussi. Je pense qu’on est dans la bonne direction.

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Plusieurs voudraient que le Canada annule ou révise l’entente sur les tiers pays sûrs qui pousse plusieurs réfugiés à passer par le chemin Roxham pour entrer au Canada plutôt que de passer par les postes frontaliers. Vous avez plutôt mis l’accent sur une compensation financière d’Ottawa. Pourquoi?

J’écoute ceux qui en parlent, et ce qu’ils suggèrent, ça ne tient pas la route. De transformer toute la frontière en poste officiel, ça ne peut pas marcher en pratique. Faut s’assurer que les lois puissent être respectées, et on ne veut pas que la demande d’asile devienne un moyen de contourner la manière légale d’accéder à l’immigration. Mais on a des obligations internationales, qui consistent à donner aux gens un processus juste, pour faire valoir leur point de vue.

La demande à Ottawa n’est pas seulement pour de l’argent. C’est la rapidité des processus. C’est beaucoup trop long entre le moment où la personne fait sa demande d’asile et la décision. Je sais qu’ils travaillent là-dessus, mais c’est beaucoup trop long. Même chose pour l’émission des permis de travail et la mobilisation de la communauté autour. Donc oui à l’aide financière, la rapidité de la prise de décision et l’émission de permis de travail plus rapide.

Donc on laisse l’accord comme il est?

Moi, je suis quelqu’un de réaliste, pragmatique. Pour modifier l’accord, il faut le soutien des États-Unis. La conséquence de modifier l’accord serait d’envoyer plus de demandeurs d’asile aux États-Unis. Est-ce que quelqu’un pense sérieusement en Amérique du Nord que l’administration Trump va accepter ça?

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Et si Trump perdait en 2020, est-ce que ça changerait quelque chose?

Mais on le remplace par quoi? Est-ce que c’est possible de transformer toute la frontière en un poste d’accueil officiel? C’est pas simple! Moi je prends le système tel qu’il est aujourd’hui et je le fais fonctionner tel qu’il est. On s'acquitte de nos responsabilités internationales. On s’affaire à ce que les gens aient un processus juste, mais que ça ne serve pas à contourner ou accélérer l’accès à l’immigration par les voies actuelles. Ça va faire en sorte que les citoyens vont accepter ce phénomène d’immigration.

Suzanne Pilote, la femme de Philippe Couillard, s'assure que son veston est impeccable. Photo par Alice Cliche

Le Québec sera une des provinces les plus restrictives par rapport au cannabis au volant. Vu l’imprécision des appareils de détection salivaire, la tolérance zéro ne va-t-elle pas ajouter une pression inutile sur le système de justice?

Un appareil vient d’être certifié, mais il va y avoir [des cas qui vont se retrouver] devant les tribunaux. On doit commencer à former les policiers. Quand on a fait la tournée du Québec, ce qu’on a entendu, c’est qu’on doit être le plus prudent possible pour ne pas banaliser ça. On nous a dit : « Ouvrez la porte prudemment et il sera plus possible à l’avenir de l’ouvrir plus largement s’il n’y a pas d’effets d’imprévus, surtout négatifs. »

Est-ce que l’interdiction de cultiver le cannabis à domicile est vouée à l’échec étant donné que la loi fédérale le permet?

On ne pense pas que c’est perdu d’avance puisqu’on a un droit constitutionnel de réglementer ça. Si ça se présente devant les tribunaux, on va faire valoir ça.

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Pour avoir l’acceptabilité de la légalisation, on nous a demandé d’être prudent, de faire en sorte que les ouvertures se fassent progressivement, de bien vérifier l’impact. Il y a des gens qui ne veulent pas nécessairement que leur voisin cultive du cannabis. Il ne faut pas penser qu’il y a un enthousiasme généralisé pour ça. Il faut écouter tout le monde, tenir compte de toutes les variations des régions du Québec.

Quand on a fait la tournée, la question de l'âge limite n’a pas vraiment été remise en question. Si on a l’âge légal de voter, comment justifier qu’il n’ait pas l’accès à un produit légal? On ne veut pas que les jeunes se le procurent par le crime organisé et les Hells Angels. Par contre, la question de la culture à domicile a beaucoup été abordée lors des consultations, comme la quantité permissible par personne. Le message au-dessus de tout ça, c’est de ne pas banaliser.

Dans l’état actuel de l’opinion et de la population, il faut être au diapason de ce que les gens veulent et les opinions vont varier d’une région à l’autre. Il y a aussi des disparités par rapport à l’implantation des succursales de la Société québécoise du cannabis entre Québec et Montréal.

Photo par Alice Cliche

Outre l’opinion publique, vous ne pensez pas que la culture à domicile pourrait aider à autonomiser les consommateurs?

Je ne suis pas persuadé. Encore une fois, on va voir ça devant les tribunaux dans notre droit et légitimité de réglementer ça.

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On a beaucoup parlé de féminisme en ce début de campagne. Vous considérez-vous féministe et quelle est votre définition du féminisme?

Si la définition du féminisme est de militer et d’agir pour l’égalité totale entre les hommes et les femmes, alors oui, je suis féministe. Mais je suis toujours mal à l’aise de voir un homme se déclarer unilatéralement féministe. Je trouve que ce sont des femmes qui doivent me dire : « T’as fait des progrès là, t’as d’autres progrès à faire là. »

J’aimerais ça, un jour, que des femmes me disent que j’ai des politiques gouvernementales féministes. Par exemple, lorsqu’on parle de la participation des femmes à la politique, il n’est pas uniquement question du nombre, mais aussi question de responsabilités. Moi, j’ai une vice-première ministre, j’ai une ministre responsable de l’économie, une ministre de l’enseignement supérieur. Je vais avoir une ministre de la santé qui gère près de 40 milliards de budget. Ça, c’est important aussi. La taille des responsabilités compte. Je ne prétends pas à la perfection, mais je pense que personne ne peut nier que mon gouvernement est allé plus loin que n’importe quel autre.

Le gouvernement fédéral négocie présentement l’ALÉNA avec l’administration Trump, et plusieurs ont suggéré que la gestion de l’offre pourrait être sur la table, du moins en partie. Êtes-vous à l’aise avec la manière dont les négos se déroulent? Le Québec est-il suffisamment représenté à la table des négociations?

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Oui, le Québec est présent. Raymond Bachand est là pour vérifier. On a fait de nombreuses missions aux États-Unis. Juridiquement, on ne peut passer à côté de la deuxième plus grande province du Canada pour conclure une entente.

Nous, on veut le maintien de la gestion de l’offre pour l’agriculture, on veut que l’exception culturelle soit réinscrite et que le système de règlement des différends soit équitable et neutre. C’est un message politique important. Sur le plan légal, tant que je n’ai pas vu les textes, je ne peux pas répondre à cette question-là.

Dans un processus d’accord international, le gouvernement du Québec doit déposer un document, ce qui est suivi d’un débat d’une journée et ensuite d’un vote avant que le Québec soit lié à un tel accord. Moi, j’ai dit que je ne déposerai pas de document à l’Assemblée nationale qui amenuiserait la gestion de l’offre au-delà de ce que les agriculteurs sont prêts à accepter.

Photo par Alice Cliche

Si on regarde ce qui s’est passé ailleurs dans le monde, la fin d’une telle gestion n’a pas eu des conséquences que négatives. Politique à part, pourquoi cette peur de discuter de la question au Québec?

[Les marchés qui ont abandonné la gestion de l’offre] ne nous inquiètent pas parce qu’on ne veut pas prendre du lait de la Nouvelle-Zélande et l’amener au Canada. C’est pas simple. Par contre, les États-Unis sont nos voisins immédiats – le Maine, le Vermont, ça, ça peut avoir un impact sur notre agriculture. On a choisi le modèle de [gestion de l’offre], qui est moderne, car il assure un modèle d’agriculture familial et un niveau de vie acceptable pour les agriculteurs. Ça, c’est important. Il y a un prix prévisible pour les transformateurs.

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Si monsieur Trump veut parler d’agriculture, qu’il regarde la sienne. Il a un système qui est rempli de subventions gouvernementales, un système de gestion de l’offre complet pour le sucre et les arachides tout à fait similaire au nôtre. Il n’a pas de leçons à donner à personne sur le protectionnisme. Un des pays les plus protectionnistes au monde pour l’agriculture, c’est les États Unis. On a choisi un système différent et c’est notre légitimité de l’avoir.

Quand je l’ai indiqué à mes interlocuteurs américains, ça les a surpris que les Québécois allaient très majoritairement soutenir les agriculteurs, même si ça veut dire payer un ou deux sous de plus pour le litre de lait. Pourquoi? Parce qu’on est peu nombreux, mais quand on est unis après 400 ans, on sait qu’on peut réussir, et même face à des géants.